Le Général Sékouba KONATE, second personnage du régime militaire, Ministre de la Défense, Président de la Transition, acteur de premier plan du coup d’Etat du 23 décembre 2008 qui a vu l’arrivée du CNDD au pouvoir après avoir renversé le régime du Général Lansana CONTE mort la veille, n’est pas un simple observateur des événements de cette terrible période. Il est certainement l’un des mieux placés pour en parler. Récemment, il a nommément mis en cause des personnalités civiles dans l’organisation des massacres du Stade du 28 Septembre.
Mais au-delà de ces révélations, il n’est pas inutile de se pencher sur le contexte ayant abouti à ces tragiques événements au cours desquels la scène politique guinéenne a connu ses crimes les plus abominables et les plus spectaculaires, comme les viols publics de femmes en plein Stade.
Le CNDD, avec son chef, le bouillant Capitaine Moussa Dadis Camara, avait eu sans conteste au début de son pouvoir, des velléités réformistes, chaleureusement applaudies par une population épuisée par la misère, la corruption, le narco-trafic. Mais c’était sans compter sur le « système » du CNDD.
En effet, dès leur prise du pouvoir, les militaires putschistes ont été envahis par toutes sortes de personnages douteux, opportunistes de la pire espèce, forbans internationaux, arrivistes de tout acabit, ayant flairé l’aubaine de s’embarquer dans les fourgons du nouveau pouvoir en partance. Ce sont eux qui, dès le départ ramait pour que les militaires ne rendent jamais le pouvoir à un civil démocratiquement élu, comme ils l’avaient solennellement promis à leur arrivée au pouvoir.
Entre ceux là et ceux qui, par réalisme, préféraient plutôt que les militaires « prennent leur part » avant de laisser le pouvoir aux civils, le débat a été tranché par le Chef du CNDD. En effet dans son discours mémorable tenu à Boulbinet en mars 2009, le Capitaine Moussa Dadis Camara avait violemment pris à parti le monde politique aux aguets pour ramasser le morceau.
Ce jour là, il a proclamé clairement son intention de rester au pouvoir en se portant candidat à l’élection présidentielle qui devait clôturer la transition. Dès lors, tout est allé très vite. Tous les efforts du CNDD allaient dans le sens de la confiscation du pouvoir, car tout le monde savait ce que valent des « élections démocratiques » en Guinée. Mais le problème de ce schéma est que non seulement les militaires continuaient à « prendre leur part », avec l’énorme corruption dans les contrats miniers (avec les Chinois principalement) et la planche à billets qui avait explosée, mais ils voulaient également garder le pouvoir. Des manœuvres ont été tentées par le CNDD pour « mouiller » certains politiciens dans leur projet, mais peu d’entre eux étaient partants. Regroupés au sein des Forces Vives, les politiciens dans leur grande majorité pensaient être certainement mieux servis en s’emparant du pouvoir pour eux-mêmes que d’être à la solde des militaires. Avec le soutien de la CEDEAO et de la communauté internationale hostiles aux militaires, ce calcul était parfaitement jouable. C’est ainsi que les Forces Vives ont vigoureusement combattu le principe de la candidature d’un militaire aux prochaines élections présidentielles annoncées pour 2010. De là, la confrontation était inévitable. Aucun des deux camps n’était prêt à reculer. Autour de Dadis, les multiples « conseillers » dont nous avons parlé plus haut, tous des pousse-au-crime, multipliaient les appels à en découdre une fois pour toutes avec les politiciens pour avoir enfin la voie libre. Pour avoir leur place au soleil, ils ont tout fait pour que Dadis ne reculât devant rien pour mener à bien ce projet. Ainsi, sans le savoir, le Chef du CNDD était utilisé par des forces dont il ignorait lui-même la détermination. Les grandes manœuvres pour les futures élections ont débuté avec a visite de Dadis à Labé. Des sources indiquent qu’au retour de cette visite, un nouveau Premier ministre originaire du Fouta aurait été nommé. Au cours de cette visite à Labé, tout le monde avait remarqué que la délégation était accompagnée d’une imposante escorte militaires « bérets rouges », armés jusqu’aux dents, agressifs et vociférateurs, apparemment prêts à en découdre avec tout manifestant. Dans le même temps, les Forces Vives avaient appelé pour le 28 septembre 2009, à une manifestation « pacifique » au Stade du 28 septembre. De retour de Labé, le chef du CNDD a mis en branle tout son pouvoir pour empêcher la manifestation de se tenir. Même les marabouts et autres sorciers ont été mis à contribution.
Mais rien n’y fait. Au sein même des Forces Vives, aucun dirigeant n’avait les moyens de faire annuler la manifestation qu’une grande partie de la population attendait.
Au grand jour du 28 septembre 2009, alors que le Stade était solidement cadenassé depuis la veille et sans qu’on sache comment, peu après 10 heures, une main anonyme a ouvert les portes du stade et les dizaines de milliers de manifestants s’y sont engouffrés dans l’enthousiasme. En fait ils étaient tombés dans une souricière diabolique. Quelques temps après, on a vu arriver des cars bondés de militaires en béret rouge ou avec des brassards rouge. Ils se sont déployés partout sans que personne n’y prête attention. Et le massacre et les viols ont commencé.
Dans un incroyable chaos et des bousculades monstres, c’était le sauve qui peut, vers les sorties où des militaires attendaient les fuyards agressés au couteau ou à la baïonnette . On a vu avec horreur sortir du stade, des femmes dénudées, le sang coulant sur leurs cuisses. Des crimes sans précédent dans ce pays qui a pourtant connu les pires crimes politiques de l’Afrique contemporaine sous la Première République ! On apprit par la suite que beaucoup de leaders des Forces Vives avaient été sauvagement agressés et seraient admis dans les formations hospitalières de la place en attendant leur évacuation à l’étranger. Dans les familles, on commençait à s’inquiéter des proches non rentrés du Stade. En fait il y a au moins 101 personnes dont on n’a pas retrouvé les corps jusqu’aujourd’hui. Certains auraient été enterrés dans des fosses communes entre Coyah et Conakry. Des corps largués en mer auraient été recueillis sur la côte. Cinquante six autres morts dont les corps ont été récupérés par leurs familles. On compte des dizaines de femmes violées sur place ou amenées par les militaires pour servir d’esclaves sexuels. On compte des centaines de blessés. Le peuple de Guinée était traumatisé et terrorisé par ces horreurs inédites dans son histoire. Progressivement, des informations ont commencé à filtrer sur les auteurs des massacres : la garde prétorienne de Dadis (le BATA ou « Bérets rouges ») commandée par Aboubakar Toumba Diakité, de jeunes recrues d’une garde prétorienne de Dadis en formation à Kalea et d’anciens rebelles de l’ULIMO tapis dans l’ombre dans le Sud-Est de la Guinée depuis la défaite de leur chef Alhaji KOROMA.
Depuis cette époque, le peuple de Guinée attend la vérité : qui a ordonné ces crimes et qui les a perpétrés ? Le débat actuel est loin d’être clos. Il est de bonne guerre que des complices tentent de se dédouaner à bon compte. Les compères se renvoient tous la responsabilité des crimes commis. Mais c’est sans doute peine perdue car la vérité finira un jour par triompher. Le peuple de Guinée et les victimes rentreront dans leurs droits. Les coupables et leurs complices seront démasqués. Pour que la Guinée sorte de cette succession presque ininterrompue de crimes depuis son indépendance, l’impunité doit cesser définitivement.
Mamadou Baadiko Bah