Fouineuse, comme construite par son parcours. Mayena Jones, journaliste d’origine sierra-léonaise a grandi en Côte d’Ivoire avant de servir, aujourd’hui, au Nigeria comme correspondante du célèbre média anglais. Son enquête, diffusée dans la nuit du 2 au 3 juin 2019, secoue la République. En 48 heures, le Chef de l’Etat, le ministre de la Justice et le porte-parole du Gouvernement se sont relayés face à la presse pour enchainer les démentis contre la production diffusée sur les supports de la BBC, brandissant des documents supposés prouver l’implication d’Aliou Sall, frère du président de la République, dans un scandale de corruption autour du pétrole et du gaz. Par mails interposés depuis la publication de son enquête, elle a accordé une interview à Emedia.sn. Un exercice qui semble hautement encadré par sa hiérarchie, avec un maximum de précautions prises, sans doute pour éviter un faux-pas qui risquerait de s’avérer dangereux dans la bataille en passe d’être engagée sur le terrain judiciaire par le pouvoir sénégalais. Nous publions l’interview en anglais ainsi que la traduction en français.
Face à la presse, Aliou Sall, incriminé dans votre enquête, a nié les accusations de corruption portées contre lui et indexe, à son tour, le fait que vous n’ayez pas cherché à équilibrer votre travail car, dit-il, vous n’avez interrogé que des « opposants radicaux », sans prendre en compte la version du camp pouvoir qui est le sien, mais également de la société civile. Considérez-vous que cela affaiblit votre production ou est-ce qu’il y a d’autres parties à attendre de cette enquête ?
La BBC a donné un plein droit de réponse à Aliou Sall, au président (Macky) Sall, à Frank Timis, à BP et à Kosmos Energy (la compagnie qui a racheté les droits d’exploration à Frank Timis avant de les revendre à BP, ndlr).
Pourquoi la version anglaise, diffusée sur votre chaine YouTube dure trois fois plus longtemps que la version sous-titrée en Français (29 minutes contre 11 minutes) ?
Il existe une version numérique en résumé, de 11 minutes, (celle diffusée sur Facebook, ndlr) en anglais et en français. Le document le plus (détaillé) qui est en ligne sur la chaine YouTube BBC Africa (en anglais) est également disponible en français pour nos partenaires télé.
Vous attendiez-vous à une telle réaction de la part de l’un des principaux mis en cause, moins de 24 heures après vos accusations ?
Comme dans toute enquête, nous nous attendons à ce que les principaux acteurs donnent leur version des faits.
En combien de temps avez-vous mené cette enquête ?
Un an.
Tous les documents brandis ont-ils été mis à votre disposition à partir du Sénégal ?
Nous ne faisons pas de commentaires sur les sources.
Il semble qu’en dehors des chiffres que vous avancez, documents à l’appui, l’essentiel du contenu de votre enquête ait déjà été sur la place publique sénégalaise. En la menant de votre côté, aviez-vous également l’impression que ce fut le cas ?
La BBC a fourni d’importantes nouvelles informations sur le deal, notamment en ce qui concerne les termes du contrat d’Aliou Sall (avec Petro-Tim, ndlr), les paiements de BP à Timis Corporation ainsi que le paiement de 250 000 dollars US à Agritrans (la société d’Aliou Sall, gérée par son oncle Abdoulaye Thimbo, ndlr).
L’ancien Premier ministre, Abdoul Mbaye, que vous interrogez dans une partie de l’enquête, avait déclaré à la presse locale n’avoir jamais signé un document concernant Petro-Tim, notamment au cours d’une interview en 2014. Pourtant, comme le confirme votre enquête, il semble qu’il ait bien contresigné le décret d’application de la cession des blocs offshore de Saint-Louis et Kayar à Frank Timis, étant le tout-premier Premier ministre de Macky Sall, du 3 avril 2012, date de l’accession au pouvoir de ce dernier au 1er septembre 2013, un intervalle qui couvre la date de signature du décret d’application…
C’est un sujet qui devrait être abordé avec Abdoul Mbaye…
Finalement, on se retrouve face à une situation où le Président Macky Sall, qui a pourtant signé le décret d’application, serait tardivement au courant des négociations entre Petro Tim et son frère, tandis que son ex Premier ministre d’alors, Abdoul Mbaye, dit n’avoir pas été au parfum d’un décret sur lequel il a pourtant apposé sa signature. Inquiétant, à ce niveau de responsabilité, non ?
Ce n’est pas quelque chose que nous pourrons commenter…
Philippe Caldwell, l’ancien gestionnaire de fortune de Frank Timis, que vous interrogez dans une partie de l’enquête, est présenté par Aliou Sall comme un ex employé qui garde sans doute une dent contre son ancien patron. Avez-vous eu l’impression, en l’interrogeant, d’avoir à faire à quelqu’un qui a eu une dent contre le principal mis en cause et qui a pu motiver son témoignage à charge par un combat crypto-personnel ?
Nous ne faisons pas de commentaires sur les sources.
Le Sénégal est un pays où les lanceurs d’alerte comme on en connait en occident sont très frileux pour céder des documents à ce points confidentiels. Aviez-vous rencontré des difficultés particulières à en disposer au Sénégal ?
Nous ne faisons pas de commentaires sur les sources.
Qu’est-ce qui a pu vous permettre d’en disposer finalement ?
Nous ne faisons pas de commentaires sur les sources.
Toute l’enquête a-t-elle été réalisée au Sénégal ?
Nous ne sommes pas en mesure de commenter les lieux de l’enquête.
Êtes-vous surprise de l’ampleur aujourd’hui prise par la partie publiée ?
Nous avons constaté que c’était un sujet important pour le peuple sénégalais.
Dans la cession des actions de Frank Timis à BP, une autre compagnie, Kosmos, avait été citée à l’époque. Quelle a été son degré d’implication dans les documents que vous détenez ?
Nous ne faisons pas de commentaires sur les sources.
Face à la gravité de telles accusations, est-il possible d’envisager des sanctions, en Grande-Bretagne, contre BP ?
C’est une question pour les autorités de la Grande-Bretagne et des Etats-Unis.
Pour terminer, comment vous présenteriez-vous, en quelques mots, et quel rapport personnel particulier avez-vous avec le Sénégal ?
Je suis la correspondante de la BBC au Nigeria. Je suis originaire de la Sierra Leone, mais j’ai grandi en Côte d’Ivoire. Je me considère d’abord et avant tout comme une Africaine, et j’en suis très fière. Enfant, j’ai eu des amis sénégalais et j’ai grandi en mangeant de la nourriture sénégalaise, en écoutant de la musique sénégalaise… C’est l’un de mes pays africains préférés et je ressens un lien fort avec sa population et sa culture.
Merci.