Le monde politique guinéen est effarant par son cynisme ubuesque. Tel leader, seul député de son parti, se voyait au perchoir de l’assemblée nationale. Son ambition contrariée, il s’aigrit contre l’opposition, l’accusant de trahison alors qu’aucun pacte ne les lie. Tel autre, d’un parti encore bien tendre pour affronter le suffrage, aussitôt élu député sur une liste d’un parti de l’opposition qu’il veut s’en affranchir, sans s’interdire pour autant de solliciter le même parti pour la mairie d’une des 5 communes de la capitale. Sa requête refusée, il invectivera contre ceux qui ont mis une limite à ses prétentions, oubliant que ce sont les mêmes qui lui ont permis d’avoir une onction de souveraineté. Ces deux cas ne sont pas isolés. Ils tiennent d’une longue tradition.
En effet, depuis la première république, avec l’affaissement moral qui n’a cessé de s’approfondir, le mérite et l’effort qui le constitue ne sont pas considérés, dans l’imaginaire de beaucoup de Guinéens, comme essentiels pour l’ascension sociale. La sorcellerie, le maraboutisme et autres irrationalités ont toute leur place. Mais aussi la ruse et le mensonge, le vol et la tricherie. Avec pour corollaire l’effronterie audacieuse. Il faut réussir, qu’importe le cheminement pour y parvenir. La fin ne justifie-t-elle pas les moyens ? Tous les moyens? Ceux qui y souscrivent sont confortés par l’exemple d’Alpha Condé devenu Président de la République en 2010. A partir d’une base électorale de 18% contre 44% à son rival, n’a-t-il pas rendu possible l’impossible ?
C’est cet exemple qui inspire aujourd’hui les amis de Sidya Touré. Ce qui a réussi à l’autre doit aussi lui réussir. Il veut, donc il peut. Il doit être le seul candidat de l’opposition à la prochaine élection présidentielle. N’ayant aucune chance d’accéder au second tour dans un scrutin majoritaire à 2 tours et pressé par l’âge, il faut trouver un stratagème lui permettant d’éliminer toute concurrence au sein de l’opposition et d’être celui qui sera face à Alpha Condé à la présidentielle de 2015. L’idée de la candidature unique de l’opposition à cette élection procède de cette préoccupation avec la volonté de l’accréditer auprès du plus grand nombre de petits partis. La voix du nombre prendrait alors la voix de Dieu. Ainsi toute autre candidature que celle de Sidya Touré serait un sacrilège entravant le chemin de la victoire en 2015.
La subtilité que semble revêtir cette approche oblige à s’interroger sur sa légitimité. En effet, pourquoi un parti comme l’Ufdg qui incarne quasiment l’opposition en Guinée accepterait-il de transmettre à des partis de peu de poids le soin de décider à qui son électorat sera dédié à la présidentielle de 2015 ? Représentant 75% du poids de l’ensemble de l’opposition à l’assemblée nationale, il réunit 4 fois plus de suffrages et presque autant en nombre de députés que L’Ufr, le parti de Sidya Touré. Si ainsi, en terme de représentativité, il n’y a guère de discussion, serait ce alors un problème de leadership ? Son candidat naturel, Cellou Dalein Diallo, en manquerait- il au point de rendre nécessaire le recours à Sidya pour sauver l’alternance en 2015? Examinons ce point de plus près en passant en revue des éléments importants qui le constituent.
Compétence. Expérience des politiques publiques. Ils sont tous les deux universitaires réputés brillants. Plutôt praticiens que théoriciens de l’économie, ils en maitrisent les mécanismes. Ils ont tous les deux une expérience éprouvée de la gestion macroéconomique pour avoir conduit des programmes avec les institutions de Washington en leur qualité de ministre et de premier ministre. Ce sont des technocrates familiers avec le fonctionnement de l’administration et qui ont en commun des qualités d’hommes d’Etat : lucidité sur les réformes dont le pays a besoin, sens de la méthode pour leur mise en œuvre, capacité de synthèse nécessaire à l’anticipation et à la décision. Cellou Dalein tout comme Sidya et tous les deux ont la compétence qu’il faut pour conduire des politiques capables de changer rapidement et durablement les conditions de vie de notre population.
Courage. Qui peut disputer à Cellou Dalein le courage qui est le sien depuis qu’il est entré en politique ! Il a été de tous les combats et au premier rang. Il a payé de sa personne, de ses biens, de ses militants. Pour n’évoquer que la résistance au régime d’Alpha Condé, c’est lui qui a sonné, dès Avril 2011, le tocsin de la mobilisation. Depuis la première manifestation au cours de laquelle est tombé Zakariaou Diallo, premier martyr du pouvoir actuel, c’est lui qui a rassemblé et qui a pris la tête du front du refus de la dictature face aux forces de répression. Une dure répression : près de 60 tués, de centaines de blessés, des dégâts matériels importants. Cellou Dalein a toujours été là : dans toutes les manifestations, avec et devant les manifestants. La pugnacité du discours de Sidya a, sans doute, toute sa place dans le combat politique contre Alpha Condé. Mais qu’il plaise ou non à ses affidés qui veulent nier la réalité, c’est la détermination de Cellou Dalein et la force qu’il constitue qui ont permis de résister à la volonté de dictature d’Alpha Condé et obligé son pouvoir à tenir compte des positions de l’opposition.
Capacité de résilience. Pour les thuriféraires de Sidya Touré, face à l’habilité tortueuse d’Alpha Condé, il faut un politicien retors. Le leur. C’est lui qui est capable de rendre coup pour coup et sans concession. A contrario, Cellou Dalein, sans ruse et plutôt accommodant, ne résistera pas aux traitrises que le pouvoir prépare pour la prochaine élection présidentielle.
Ce jugement est bien trompeur et ceux qui l’émettent devraient se méfier de l’effet boomerang : en politique, la faute à ne pas commettre est de sous estimer l’adversaire. En effet, en considérant qu’autour de tout pouvoir, en Guinée comme ailleurs, s’exercent des jeux féroces de pouvoir, il serait bien naïf de considérer Cellou Dalein comme un enfant de chœur. Il a été en situation de responsabilité dès le début de sa vie professionnelle et occupé les premiers rôles, et avec quelle durée, tant à la banque centrale que dans le gouvernement. Lorsqu’il décide d’entrer en politique, c’est pour prendre l’UFDG là où il se trouvait et le hisser au niveau où il est aujourd’hui. Ceux qui connaissent les ressorts humains ne se trompent pas : Il y a du roseau dans cet homme et sous les gants de velours, une main de fer.
Vision. Les deux acteurs politiques ont pour inspiration le libéralisme. Ils partagent les valeurs de liberté, de démocratie, de responsabilité et de tolérance qui fondent cette doctrine.
Dans le discours de l’un comme de l’autre, le renouveau de l’Etat est au cœur de leur ambition pour le pays. Un Etat fort et juste. Le droit égal pour tous les Guinéens, pour tous ceux qui vivent dans notre pays, pour tous ceux qui veulent y venir pour s’installer et investir. C’est cet Etat impartial qui permettra à la nation de se retrouver avec elle même sur le socle de la confiance. Mais l’Etat restauré c’est aussi l’Etat efficace capable de formuler des projets et programmes et de maximiser les investissements publics dans les domaines des infrastructures et des secteurs sociaux. Investissements qui contribueront à l’amélioration des conditions de vie de la population mais aussi qui constitueront le lit du développement du secteur privé.
Dans leurs pensées, grâce au climat de confiance suscité par l’état de droit, c’est le dynamisme du secteur privé, par ses investissements dans les secteurs créateurs de richesse, qui assurera le progrès économique et social dans le pays. Il n’est pas exclu que l’Etat intervienne dans des domaines où le rôle du marché peut se révéler insuffisant. Notamment dans l’agriculture et la PME en raison de leur potentiel de création d’emplois. Mais l’Etat doit faire par lui-même le moins possible. Il doit, quand il intervient, aider à faire et faire faire.
Nos deux protagonistes ont ainsi une vision partagée de la Guinée : un peuple rassemblé, une nation unie, un Etat vertueux dans l’exercice de ses missions et assurant la régulation globale de l’activité économique de façon à permettre au secteur privé d’être dynamique et de créer la richesse pour les Guinéens.
En vérité, le débat sur le candidat qui doit porter l’opposition à la présidentielle n’a pas de fondement légitime. En fait, c’est l’idée même de la candidature unique qui est une vraie fausse idée. Il faut la récuser et l’enterrer. Parce qu’elle est contraire à l’esprit de notre constitution qui consacre l’élection présidentielle au suffrage universel à deux tours. Par son mode et pour son enjeu qui font de cette élection un rendez vous majeur avec le peuple, chaque parti (pour peu qu’il soit structuré) et son leader (pour peu qu’il croit à son ambition pour le pays) voudront connaitre leur représentativité populaire pour en tirer, le cas échéant, une légitimité. Au demeurant, dans quel pays, doté d’un tel système électoral, a-t-on vu prospérer la candidature unique ?
L’offre politique, au premier tour, est, en toute hypothèse, éclatée rendant quasiment impossible qu’un parti l’emporte à ce stade. << Au premier tour on mobilise sa famille politique. Au deuxième tour, on l’élargit en négociant une alliance>>. Ce credo est celui de tous les partis politiques y compris les partis africains lorsqu’ils sont confrontés au suffrage universel et au scrutin majoritaire à deux tours. Dans le respect de l’esprit républicain et de la démocratie, l’alliance électorale ne peut ainsi concerner que le deuxième tour avec le candidat le mieux placé. En toute hypothèse, ce sera le cas également en Guinée lors de la prochaine élection présidentielle.
Si l’idée de la candidature unique doit donc être abandonnée, cela ne doit pas mettre en cause l’unité d’action de l’opposition dont la mission est de rendre l’optimisme aux Guinéens et les conduire sur le chemin de la victoire contre Alpha Condé. A cet égard, une double exigence s’impose.
D’abord une exigence de confiance. Les partis d’opposition les plus représentatifs doivent d’ores et déjà accepter de s’asseoir autour de Cellou Dalein pour discuter d’un Pacte de confiance comportant un programme de gouvernement. Ils doivent se mettre d’accord sur leur responsabilité partagée dans la construction de la victoire à la présidentielle et leur vision commune pour le changement de l’avenir des Guinéens. La perspective ainsi tracée convaincra la population que l’opposition a une conscience claire d’une part de l’enjeu de l’élection présidentielle et d’autre part, une fois la victoire acquise, de la gouvernance qui sera mise en œuvre pour le développement du pays. C’est cette confiance qui mobilisera les Guinéens pour chasser Alpha Condé du pouvoir par les urnes et les mettre en mouvement sur le chemin de l’effort.
L’autre exigence est celle de la vigilance. Il faut, bien entendu, poursuivre le combat engagé pour le respect du calendrier électoral notamment en ce qui concerne l’antériorité des communales par rapport à la présidentielle. Mais aussi pour la restructuration de la CENI, le recrutement de l’opérateur, l’actualisation du fichier électoral et le recensement.
Dans le même temps, une fois la confiance installée, la réflexion doit s’engager sur ce qu’il convient de faire pour sécuriser les suffrages favorables à l’opposition. On observera qu’aux législatives, l’opposition a gagné là où sa vigilance a été de mise ; elle a perdu partout où celle-ci a été faible ou absente. Mais une vigilance sur l’ensemble du territoire comme celle qui s’est exercée à Kaloum ou à Matoto requiert des moyens humains, matériels et financiers importants. C’est pourquoi, il faut envisager la possibilité de mutualiser les moyens de façon à être bien représenté dans chaque bureau de vote par des hommes de qualité disposant de tous les moyens pour assurer efficacement leur mission. A cet égard, l’opposition serait bien inspirée d’examiner, sans grand délai, la possibilité d’obtenir des conseils et l’assistance sur le terrain des mouvements citoyens comme Y EN A MARRE au Sénégal, ou BALAI CITOYEN au Burkina Faso, qui ont une expérience réussie dans la résistance aux pouvoirs qui veulent prendre l’Etat en otage.
S’asseoir et discuter. C’est un impératif pour l’opposition si elle veut gagner la prochaine élection présidentielle. Mais l’efficacité qui en est attendue est subordonnée au respect de l’esprit républicain et de la démocratie. Chaque parti doit être à sa place ; l’ambition de chaque leader doit être à la hauteur de son parti. Et avoir en conscience la morale qu’enseigne la fable de La Fontaine : La grenouille et le Bœuf.
NB: Les opinions n’engagent pas le site guineeenmarche.com
Alsény Kolenté Bangoura