« Ce chronogramme de la CENI n’est pas fait pour respecter la démocratie dans ses fondements » C’est un véritable déluge de réactions qui s’abat sur l’establishment politique guinéen depuis la publication du chronogramme des futures élections présidentielles et locales. Un calendrier électoral dont l’ordre des séances est jugé parfait, convenable ou illégal, selon qu’on soit de la mouvance ou de l’opposition.
Lansana Kouyaté, l’ancien, Premier ministre et président du Parti de l’Espoir pour le Développement National (PEDN) a exprimé sa vive désapprobation de ce nouveau chronogramme qu’il trouve unique et non vertueux des fondements de la démocratie. Il dresse par ailleurs un violent réquisitoire contre les ‘’dysfonctionnements’’ qui caractérisent le rapport et la vie des institutions républicaines. Bien que se montrant solidaire des actions envisagées par les autres partis de l’opposition, Lansana Kouyaté semble ne pas encore digérer le manque de solidarité, il y a quelques mois, de la part ses camarades pour les mêmes causes pour lesquelles, souligne-t-il, ils sont en train de se battre maintenant. Lisez !
Comment votre parti, le PEDN perçoit le nouveau chronogramme électoral qui vient d’être dévoilé par la CENI ?
Lansana Kouyaté : Le PEDN a suivi avec beaucoup d’intérêt et surtout avec beaucoup d’appréhension, le chronogramme donné par la CENI. Ce chronogramme est unique, il n’est pas fait pour respecter la démocratie dans ses fondements. Comme il fallait s’y attendre, c’est une manière de maintenir les maires, les délégations spéciales qui ne sont spéciales que de nom, ils sont devenus des maires, des conseillers à plein temps parce que mis en place de façon arbitraire et de façon totalement opposée à la Constitution. Moins que la date, le chronogramme, c’est l’enchevêtrement des séquences, qui crée problème. C’est un problème qui sera excessivement difficile à résoudre. Si la CENI, imitant les CENA d’ailleurs telle que la commission électorale du Bénin qui avait pris en son temps, des décisions respectueuses de la démocratie ; la Cour Suprême, la Cour Constitutionnelle du Bénin qui avaient pris des décisions courageuses en son temps sous le règne du président Mathieu Kérékou… Si notre CENI ne peut pas s’en inspirer alors, elle laisse une mauvaise trace dans l’histoire de la Guinée. Il faut reconnaitre que la position primitive, initiale de la CENI était d’organiser les communales avant les présidentielles. Mais comme tout vient de la haut et je dirais même de la haut du haut…
C’est-à-dire ?
Lansana Kouyaté : Le président de la République. C’est son injonction comme il sait le faire dans toutes les institutions, ce n’est en rien différent des ordres qu’il donne à l’Assemblée ou encore à la Cour Suprême, etc. C’est le pouvoir unique. C’est la pensée unique, si pensée il y a d’ailleurs. La CENI vient de donner un chronogramme qui a d’autres objectifs que répondre aux désidératas du Président qui a fait injonction et qui a renversé l’ordre initialement prévu par la CENI. C’est cela la vérité.
Cet ordre inscrit dans le chronogramme convient à votre parti ?
Lansana Kouyaté : Pas du tout. Son objectif, l’un des premiers manquements à la démocratie en Guinée, a été de remplacer les maires élus par des maires nommés avec des arguments qui n’avaient pas la solidité dont il file de coton. On a trouvé toutes sortes d’arguments pour dire qu’ils ont fait ceci ou cela. On n’a vu aucun jugement concernant ceux qui ont été relevés et on n’a vu aucune raison judiciaire pour mettre les délégations spéciales. Elles ont été installées et ça été le premier manquement auquel les Guinéens n’ont pas réagi. On n’est dans la même foulée et comment voulez-vous que ces maires ne se sentent pas obligés d’intervenir pour influencer les élections ? La Constitution est claire, la loi électorale est claire, l’ordre des choses est établi que les délégations spéciales peuvent être créées dans les conditions qui sont définies par la loi et leur mandat ne serait dépassé six (6) mois.
Dans le code électoral, il n’est cependant pas prévu que les élus locaux interviennent dans la gestion directe du processus électoral… ?
Lansana Kouyaté : Oui, on peut le dire mais tout est normal en Guinée sauf ce qui est anormal et c’est ce qui prévaut malheureusement. On sait très bien que les élus locaux sont intervenus dans la gestion des élections. Qu’est-ce que les chefs de quartier n’ont pas fait ? La CENI n’est pas indépendante, tout le monde le sait. Il y a eu des détournements lors des élections législatives qui ont été faits chez des sous-préfets. On a vu des images où des sous-préfets disaient : Ne nous photographier pas !
Pour sa part, le Porte-parole du gouvernement suggère plutôt à l’opposition de renforcer la surveillance au niveau des démembrements de la CENI que de gaspiller son énergie à des questions liées à de simple ordre annoncé dans le chronogramme ?
Lansana Kouyaté : L’ordre annoncé par qui ? La CENI avait fait comprendre aux uns et autres qu’il y aura les communales avant les présidentielles. J’ai discuté avec certains des membres de l’opposition qui y croyaient et je leur ai dit vous vous trompez. Celui à qui on a affaire ne laissera jamais les communales se faire avant les présidentielles…, ce sera après. Récemment lorsqu’un journaliste d’une des radios privées m’a dit que le problème est réglé avec le découplage des deux élections, je lui ai demandé, découpler dans quel sens ? Ce sera dans le sens inverse. C’est-à-dire, les présidentielles d’abord avec les maires et les délégations ensuite les communales. Ce n’est pas une question d’ordre, c’est plutôt une question d’implication directe de l’administration. D’ailleurs, les maires et les délégations spéciales ont plus droit de s’y mêler que les fonctionnaires. C’est même pénalement condamner que les fonctionnaires, les ministres s’impliquent dans des élections. Ça s’est vu quand des ministres sont rentrés dans des bureaux pour déchirer des bulletins. On aura tout vu dans ce pays.
L’opposition entend retirer dans les prochains jours ses députés et représentants du parlement et de la CENI, organiser des marches et des désobéissances civiles pour protester contre cet ordre de la tenue des élections indiqué dans le chronogramme. Est-ce que le PEDN adhère à ces différentes actions envisagées par les autres partis de l’opposition ?
Lansana Kouyaté : Écoutez, j’ai eu très tôt raison. La marche est reconnue par nos lois. C’est un droit que je considère d’ailleurs comme inaliénable pour tout gouvernement que de laisser les gens manifester pacifiquement dans l’ordre pour faire des revendications. Aujourd’hui que cela reprenne… j’avais dit d’ailleurs qu’on ne devrait même pas arrêter, on ne m’a pas écouté. Étant donné que c’est un droit, il faut l’exercer tant que la situation n’est pas normale. On n’est pas conte quelqu’un, on veut simplement que la Guinée soit un pays normal, qui reste les lois, un pays où gouvernés et gouvernants respectent le caractère sacré des lois, votées pour cela. Mais à l’époque, je n’ai pas été entendu. Quand à la suspension dans l’Assemblée, j’ai suspendu ma participation depuis longtemps, je ne suis même pas rentré. Parce que je savais qu’on a affaire à un système de diktat et que cela ne donnait aucune place à un dialogue serein pour l’avenir de ce pays. Ceux qui sont là bas, pensent plutôt à autre chose qu’au salut de ce peuple. Parce que les lois qui y sont votées, sont pour la plus part des lois qui ne vont pas dans le sens de l’honneur et de la dignité de ce peuple. Il y a aujourd’hui des problèmes qui font florès et tout le monde le connait. La question de l’insécurité qui devient endémique, la paupérisation de la population… Bon Dieu, pourquoi l’Assemblée en tant que incarnation de la volonté populaire, élue pour le peuple, ne s’accapare pas de ces sujets, faire des propositions constructives et mettre l’exécutif en demeure de les appliquer ? Parce que simplement, on croit que quand il y a un président, on suit ce qu’il veut. Il y a eu dans beaucoup de pays démocratiques, l’exécutif a voulu une chose mais même majoritaire à l’Assemblée, cette chose n’est pas passée. Je peux vous en donner plein d’exemples même dans certains pays africains. C’est là où la démarcation entre l’exécutif et le législatif est respectée, c’est là où le législateur est investi d’un pouvoir qui lui a été donné par le peuple et qui est respecté en tant que tel. Je dirai donc avant même mes collègues, je ne les blâme pas, chacun a ses raisons, que je n’avais pas voulu qu’on arrêta les marches parce qu’il y avait dix mille raisons de marcher. Avant eux, j’ai décidé de ne pas siéger à l’Assemblée en protestation du viol total de la décision du peuple qui a donné la majorité à l’opposition mais c’est les tripatouillages qui avaient faits en amont et en aval jusque le Premier président de Cour Suprême aille à dire que son institution est incompétente pour juger… Alors cela veut dire qu’il y a une calamité qui s’est abattue… parfois cherchez, vous y trouverez.
En clair, vous êtes solidaire des initiatives des autres partis de l’opposition ?
Lansana Kouyaté : Je dirai que c’est plutôt eux qui sont maintenant solidaires à ce que j’avais prévu. Ne m’amenez pas à pousser le train où j’ai servi de locomotive.
Lu sur guineenews.org