De Nicolas Sarkozy, on pensait tout savoir, sur le personnage, son immodestie permanente, quand elle n’est pas remplacée par sa constante victimisation et son incroyable faculté à tout ramener à son nombril. Le documentaire de France 3, « Le Président et le dictateur » de ce jeudi a achevé de détruire l’image d’un homme qui non seulement pense que le monde a été créé pour tourner autour de lui, mais qui surtout a fait preuve d’amateurisme, voire d’infantilisme, quitte à mener une partie du monde dans le chaos.
Sarkozy, pareil à Oui-Oui qui s’amuse
Terrible portrait oui, que celui dressé au travers des images de ce documentaires. Sarkozy, se rengorgeant de l’action de son épouse d’alors, avec quelle gourmandise le mot « Cécilia et son travail formidable » vient gonfler sa permanente autosatisfaction quand il lui rend un hommage qu’il prétend modeste et qui n’est en réalité que ridicule.
Bien sûr, la voix off à la manière de « Desperate Housewives » ainsi que les petites musiques de manège bien placées accentuent l’effet « Oui-Oui fait la guerre à la Libye, Oui-Oui, s’amuse avec ses petits drapeaux sur les cartes, ou Oui-Oui est tout bien content d’avoir tué son ancien copain ». Certes. Mais les images, malgré tout ne trompent pas, ne peuvent masquer le sourire satisfait, béat lorsqu’il annonce la mort de Kadhafi, donnant davantage à penser que l’ex-dictateur libyen a bel et bien été abattu par un barbouze de la DGSE, ou par un homme de main pour satisfaire un ego blessé et des raisons qui n’ont rien à voir avec celles d’État.
Mais le pire, au final, n’est même pas ce contentement permanent qui le fait paraître petit homme prenant sa revanche sur la vie, s’amusant tel un enfant avec les jouets des grands. Non, le pire, au final, est cet hallucinant amateurisme dont Nicolas Sarkozy fait preuve à tout instant.
Sa mission en Libye ? Un plantage total
Comment penser qu’on peut aller voir une personnalité névrosée telle que Kadhafi, dont le rôle en Afrique et dont les prétentions africaines sont des plus importants, sans un minimum de préparation, de connaissance et surtout d’entourage adéquat ? Lui part avec les éternels conseillers politiciens qui s’y connaissent en culture africaine et arabe comme moi en mécanique quantique, emmène dans ses bagages une Rama Yade arrangeante, un Kouchner pris au piège de ses ambitions
On emmène dans ses bagages les mêmes conseillers élyséens qui sévissaient sous Chirac (rappelons-nous juste la gestion calamiteuse de la crise ivoirienne) et on s’étonne ensuite du plantage complet de la mission ? Personne pour voir que la mine fermée de Kadhafi lors de cette première visite est le signe qu’il y a un sérieux quiproquo à solutionner ? Pas de spécialistes de la région, de vrais connaisseurs de la Libye, de vrais experts du monde arabe pour tirer la sonnette d’alarme ? Non, au contraire, ils repartiront convaincus que cette visite fut un succès.
Un amateurisme sur tous les plans
L’amateurisme, tout le temps, quand on invite le leader Libyen à venir poser sa tente bédouine et qu’on le laisse prendre les commandes du séjour, quitte à le rallonger pour lui plaire davantage afin que le dictateur libyen ne manque rien de la ville lumière, du petit tour en bateau mouche à la tour Eiffel.
L’amateurisme, quand « le donneur de leçon honni du café de Flore » devient par miracle le conseiller incontournable qui sort de son chapeau un miraculeux conseil de transition qu’on s’empresse de légitimer, sans aucune garantie, sans aucune connaissance du terrain et des hommes.
Amateurisme toujours, de vouloir tirer la couverture à soi, rien qu’à soi et de démarrer une guerre malgré l’avis contraire ou les interrogations des pays alliés. Amateurisme enfin, de ce président qui joue à la guerre depuis son bureau, et prend des poses de vainqueur une fois l’ennemi à terre sans se soucier du lendemain et que son conseiller Guaino n’hésitera pas, le ridicule étant la chose la mieux partagée au monde, à le comparer à Churchill.
Daesh peut remercier l’ex-président
Le lendemain, justement, désormais on le sait, fut terrible. Outre le fait que la France a davantage perdu de parts de marché après l’intervention de Nicolas Sarkozy qu’avant, la Libye plongée dans le chaos pour satisfaire l’ego d’un pseudo philosophe va-t’en-guerre et d’un président narcissique a entraîné avec elle toute la sous région, donnant naissance ensuite aux mouvements islamistes radicaux qui sèment la terreur.
Des coptes assassinés, des guerres tribales, la menace d’un califat islamiste, un pays aujourd’hui disputé par des chefs de guerre et un gouvernement en perdition. Daesh et son expansion terroriste peuvent remercier Nicolas Sarkozy. Voilà où nous a mené son amateurisme, à installer durablement en plus de la misère pour le peuple libyen qu’il prétendait pourtant libérer, la déstabilisation complète de toute la sous-région alimentée par les trafics armes issues de cette guerre libyenne, dont des armes lourdes ou légères parachutées par la France elle-même.
« Selon le rapport S/2012/42 de l’ONU, publié le 18 janvier 2012, le conflit armé en Libye a permis à des groupes violents au Sahara, tels que Boko Haram et Aqmi, d’accéder à de vastes caches d’armes. Les armes évoquées par le rapport onusien sont des lance-grenades, des mitrailleuses avec visée anti-aérienne, des fusils automatiques, des munitions, des grenades, des explosifs, ainsi que l’artillerie légère anti-aérienne montée sur véhicule. » (Le rapport de l’ONU, 2012)
Plus préoccupé par ses ambitions que notre intérêt
Comment penser qu’un président de la République puisse commettre de telles erreurs de débutant et lancer une guerre sans penser aux lendemains, au post militaire ? Comment peut-on faire preuve d’autant d’incompétence en ne préparant absolument pas l’après guerre ? Les Américains ont eu le fiasco Bush père et fils, nous avons eu le fiasco Sarkozy, et c’est peut être même pire tant le monstre créé semble grossir encore et encore.
Daesh, Boko Aram, Aqmi peuvent tous remercier Nicolas Sarkozy d’avoir été si susceptible, si vaniteux, si amateur et plus préoccupé d’inscrire son nom dans l’histoire pour satisfaire ses ambitions démesurées que d’œuvrer réellement dans l’intérêt de la démocratie libyenne ou même du nôtre. Les morts des militaires français au Mali sont là pour le rappeler.
Et c’est cet homme-là qui prétend aujourd’hui revenir aux manettes de la France ? Fort de l’expérience de ses erreurs et de son amateurisme, sans doute ?
« Pour Obama, Cameron et Sarkozy, le véritable crime de Kadhafi était l’indépendance économique de la Libye et son intention déclarée d’arrêter de vendre les plus grandes réserves de pétrole africaines en dollar américains. Le pétrodollar est un des piliers de la puissance impériale américaine. Kadhafi a eu l’audace de planifier la mise en place d’une monnaie africaine commune, adossée à l’or, de créer une banque pour toute l’Afrique et de pousser à l’union économique entre pays pauvres ayant des ressources en matières premières prisées. Que cela soit réalisable ou pas, rien que d’y penser était intolérable aux États-Unis. […] A la suite de l’attaque de l’Otan sous couvert d’une résolution du Conseil de sécurité, Obama a, selon les écrits de Garikai Chengu, « confisqué les 30 milliards de dollars de la Banque centrale libyenne que Kadhafi avait mis de coté pour la mise en place d’une banque centrale africaine et d’une monnaie commune à l’Afrique, adossée à l’or ». John PILGER