Chantier phare du quinquennat, le barrage et la centrale de Kaléta, en Guinée, viennent d’entrer en service. Et devraient bientôt combler la moitié du déficit national en électricité.
Kaléta est partout. Dans les discours, dans les médias, sur les affiches… Trois ans après le lancement du chantier, désormais presque achevé, le barrage de Kaléta est devenu l’emblème du quinquennat. Situé à 150 km au nord-est de la capitale, sur le fleuve Konkouré, ce complexe hydroélectrique, doté d’une puissance de 240 MW, devrait permettre de résorber une bonne partie du déficit énergétique du pays, estimé à 400 MW. La première turbine devait commencer à tourner le 31 mai, la deuxième le 30 juin et la troisième le 31 août – à peine plus d’un mois avant le premier tour de la présidentielle.
Potager
À quelques jours de sa mise en service, le site était donc surveillé tel le lait sur le feu. Comme le 23 avril, où le chantier de Kaléta accueillait une délégation du ministère de l’Énergie pour une étape aussi cruciale que spectaculaire : la mise en eau du barrage. « Aucune communication sur cette journée pour le moment, ni à la radio ni à la télévision ! Vous avez bien compris ? C’est une instruction de l’État », lance sur un ton cordial mais ferme Elhadj Lansana Fofana, le directeur général du projet, au seul autre journaliste présent, un reporter de la Radio télévision guinéenne (RTG). Dans cette dernière ligne droite, il faut éviter toute précipitation dans la communication.
La visite est assurée par des ingénieurs du bureau français Coyne et Bellier, filiale d’Engie (ex-GDF Suez), et des cadres chinois de China International Water & Electric (CWE), qui réalise l’ouvrage. Son coût total, 446,2 millions de dollars (406,2 millions d’euros), est financé à 25 % par l’État guinéen et à 75 % par China Exim Bank. À l’extérieur comme à l’intérieur du complexe, on retrouve çà et là des petits bout d’empire du Milieu : potager de légumes du pays, mobilier chinois, tableaux de la Grande Muraille…
« Près de 600 Chinois et 2 500 Guinéens ont travaillé vingt-quatre heures sur vingt-quatre pour faire sortir de terre cet ouvrage. Nous en avons aussi profité pour former 1 000 jeunes, s’enthousiasme Cheick Taliby Sylla, le ministre guinéen de l’Énergie et de l’Hydraulique. Nous sommes satisfaits du travail accompli en trois ans et fiers de savoir que, grâce à Kaléta, il n’y aura plus de délestages à Conakry ni dans les préfectures de Coyah, Dubréka, Forecariah, Kindia, Mamou, Dalaba, Pita et Labé. Dès le mois de juillet, nous devrions même avoir des excédents (sur la zone) qui, plus tard, pourront alimenter trois États de l’Organisation pour la mise en valeur du fleuve Sénégal [OMVS] : le Sénégal, la Gambie et la Guinée-Bissau. »
Des diplomates britanniques et américains participaient aussi à la visite. Les premiers pour évaluer l’avancement des travaux, l’un d’eux expliquant que « l’énergie est la première préoccupation des entreprises et des investisseurs étrangers désireux de s’installer en Guinée ». Les seconds, plus préoccupés par l’impact social et environnemental de l’ouvrage, que l’État affirme être minime, assurant que 280 ha de terres ont déjà été reboisés et que 500 familles déplacées de trois villages ont été relogées.
Ruines
Sur le terrain, la situation est pourtant plus complexe. Au pied du barrage, un ancien village ressemble aujourd’hui à un champ de ruines. À quelques dizaines de mètres, on remarque en effet des maisons individuelles flambant neuves dont une partie de la population a pu bénéficier. Les autres construisent eux-mêmes des abris de fortune… Au grand dam des cadres du ministère de l’Énergie, qui demandent aux autorités militaires d’employer une méthode plus musclée pour les chasser définitivement. « Ce ne sont pas des gens d’ici… Ils viennent, car ils pensent que le barrage créera des emplois, mais ce n’est pas le cas ! »
De fait, dans un premier temps, le complexe sera exploité par CWE, avec une équipe restreinte d’une vingtaine de personnes. Mais les pouvoirs publics précisent qu’ »un appel d’offres sera rapidement lancé » pour la gestion future du complexe.