Parce que, à 72 ans, il n’aura pas d’autre occasion de se présenter et qu’il est convaincu de pouvoir l’emporter, l’ancien Premier ministre a décidé de faire fi de la consigne de son parti, le PDCI, et de briguer la présidence en octobre. Nous l’avons longuement rencontré.
Cette fois, c’est sûr. Après avoir longtemps hésité, Charles Konan Banny a finalement décidé de passer outre la consigne de son camp, le Parti démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI), d’aller contre la parole du chef, Henri Konan Bédié, et de se présenter à la présidentielle d’octobre face à Alassane Ouattara.
L’ancien gouverneur de la Banque centrale des États de l’Afrique de l’Ouest (BCEAO), devenu Premier ministre sous Laurent Gbagbo (de 2005 à 2007), puis nommé en 2011 à la tête de la Commission dialogue, vérité et réconciliation (CDVR) par le président Ouattara, y pense pourtant depuis un moment.
Alors pourquoi maintenant ? Parce que, à 72 ans, il n’aura pas d’autre occasion de briguer la magistrature suprême. Mais aussi parce que le fait que Bédié ait décidé que le PDCI ne présenterait aucun candidat face à Ouattara est « inacceptable » pour cet amateur de rugby issu d’une grande famille baoulée du centre de la Côte d’Ivoire.
Alors que Ouattara, investi par le Rassemblement des républicains (RDR), le 25 avril, entend l’emporter dès le premier tour, Konan Banny veut croire en ses chances. Il espère rassembler autour de lui les opposants au président sortant et prendre la tête de la toute nouvelle Coalition nationale pour le changement (CNC), qui rassemble notamment les frondeurs du PDCI.
Pédagogue, pointilleux, directif et parfois même volontairement cassant, Charles Konan Banny a répondu à toutes nos questions. Sur l’avenir du PDCI, son travail à la tête de la CDVR, ses relations avec Alassane Ouattara, Laurent Gbagbo et Guillaume Soro… Plus de deux heures d’entretien qu’il conclura par un : « À bientôt, au Palais ! »
Jeune Afrique : Que reprochez-vous exactement à « l’appel de Daoukro », par lequel Henri Konan Bédié a demandé au PDCI de soutenir la candidature d’Alassane Ouattara à la prochaine présidentielle ?
Charles Konan Banny : C’est un coup de force inacceptable ! Le congrès et le bureau politique du parti avaient décidé, en 2013, qu’un militant actif du PDCI serait candidat en 2015. Quelle ne fut pas notre surprise lorsque, au cours d’une visite du président de la République dans sa région, M. Bédié a décidé, seul, que nous ne présenterions finalement personne ! En tant que démocrate, je ne peux pas accepter de telles méthodes. À ceux qui ont la mémoire courte, je rappelle que j’avais proposé une candidature unique RDR-PDCI en 2010. Alassane Ouattara avait refusé même d’aborder la question. Pourquoi ce qui était inconcevable il y a cinq ans est aujourd’hui considéré comme génial ? C’est simple : parce qu’en 2015 cette alliance profite incontestablement à Ouattara.
N’y a-t-il pas un risque que le PDCI implose ?
Le parti n’implosera pas. Tout simplement parce que la plupart des militants ont la même vision de « l’appel de Daoukro » que moi. Et puis ce parti, j’y tiens. Il n’y aura pas de schisme, en tout cas pas de mon fait.
Depuis l’annonce de votre candidature vous avez multiplié les rencontres avec les chefs traditionnels, dont le rôle est crucial au sein du PDCI…
Ce sont des clichés ! En Côte d’Ivoire, comme ailleurs, ce sont les militants qui comptent. Il n’y a pas de grands électeurs donnant des consignes de vote qui seraient respectées à la lettre. Je ne dis pas que les chefs traditionnels sont dépourvus d’influence. Ils en ont. Simplement, celle-ci décroît de plus en plus. Aujourd’hui, aller les voir avant de prendre une grande décision, c’est une tradition, cela fait partie de notre éducation.
Avez-vous malgré tout sollicité leur soutien ?
Non, je leur ai demandé leur bénédiction. Encore une fois, je ne suis pas de ceux qui pensent qu’il suffit d’avoir des chefs traditionnels dans la poche pour être élu. Dans ma région, quand vous allez les voir, ils vous disent toujours : « Nous avons compris. » Mais ce qu’ils ont compris, vous ne le savez que le jour du vote !
La CNC, dont vous faites partie, aura-t-elle un candidat unique ?
Pour battre Ouattara, je préférerais qu’il n’y en ait qu’un, mais rien n’est décidé.
Accepteriez-vous de ne pas être ce candidat unique ?
Pourquoi voulez-vous que ce soit quelqu’un d’autre ?
Le représentant d’Amara Essy n’a pas signé la charte de la CNC, le 15 mai. Pensez-vous que ce dernier rejoindra réellement la coalition ?
On est venu ici pour parler de Charles Konan Banny, pas des autres. Pour le reste, Amara Essy est un ami, et le fait que son représentant n’ait pas signé est un détail.
On vous a dit proche, puis brouillé avec Kouadio Konan Bertin, un autre membre de la CNC. Quelles relations entretenez-vous aujourd’hui ?
C’est mon fils. Nous sommes ensemble.
Comment allez-vous financer votre campagne sans les structures et les ressources du PDCI ?
L’argent ne remplace pas les volontés. Oui, bien sûr, il faut de l’argent pour acheter de l’essence, par exemple. Mais si nous n’avons pas d’essence, alors nous marcherons… Pour aller aux élections, il faut mobiliser des moyens, c’est-à-dire les hommes.
Vous connaissez Alassane Ouattara depuis longtemps. Que pensez-vous de ce premier quinquennat ?
J’avais fait campagne pour lui au second tour de l’élection de 2010. J’étais l’un des rares à pouvoir le faire dans le centre de la Côte d’Ivoire. Si j’avais fait campagne pour Gbagbo dans cette région-là, Gbagbo aurait été élu. J’en suis certain. J’ai donc contribué à la victoire de Ouattara.
Je l’ai cru lorsqu’il disait vouloir rassembler les Ivoiriens, les réconcilier. J’ai cru qu’il était sincère. Une fois élu, il m’a proposé de conduire la CDVR. J’ai hésité et j’ai accepté, bien que beaucoup m’aient dit que c’était un piège. Mais je connaissais Ouattara depuis les années 1970, c’était un ami et je pensais que nous partagions les mêmes valeurs : la démocratie, le respect de la chose publique… Je pensais qu’il allait rompre avec des pratiques d’un autre âge. Cela n’a pas été le cas.
De quelles pratiques parlez-vous ?
Les libertés publiques, par exemple, ne sont pas une préoccupation pour lui : au surlendemain de l’annonce de ma candidature à la présidentielle, en décembre dernier, trois personnes de mon entourage ont été embastillées. C’est insupportable ! Cela prouve encore une fois qu’Alassane Ouattara ne conçoit l’amitié qu’en termes de soumission. Moi l’amitié soumise, je ne connais pas.
Vous pensez que ces arrestations sont liées à votre candidature ?
Évidemment, cela saute aux yeux de tout le monde. Cela ne peut pas être un hasard. D’autres de mes proches sont aussi régulièrement menacés.
D’où viennent ces menaces ?
Du pouvoir, je n’ai pas peur de le dire. Combien de personnes ont renoncé à venir me voir car elles avaient été menacées par le ministère de l’Intérieur ou par d’autres. Que l’on remette en question des valeurs telles que les libertés de penser et de circuler, le droit à la différence, des valeurs auxquelles nous avons été biberonnés, me fend le cœur.
Le président Ouattara n’est donc plus votre « ami » ?
Disons qu’Alassane Ouattara a été mon ami. Cela fait trente ou quarante ans que nous nous connaissons. Pour le reste, chacun jugera.
Le travail de la CDVR a été très critiqué. Cela vous a-t-il atteint ?
Les critiques, il faut toujours les accepter, mais la plupart étaient folkloriques. Qu’a-t-on demandé à la CDVR ? De chercher les causes profondes de la crise, de faire la typologie de toutes les violations des droits. Nous l’avons fait. Nous avons organisé des audiences publiques, des ateliers, des séminaires, des colloques dans tout le pays. Près de 73 000 Ivoiriens ont pu raconter ce qu’ils avaient subi, et nos conclusions ont été présentées, le 15 décembre dernier, à la présidence.
Pourquoi ce rapport n’est-il pas public ?
Je l’ai remis au chef de l’État. Le reste n’est pas de mon ressort. C’est au président de décider. Un proverbe baoulé dit : « Tu ne peux pas réconcilier un pays que tu ne commandes pas. »
Pourquoi les audiences n’ont-elles pas été retransmises à la télévision ivoirienne comme prévu ?
Ça n’a pas été le cas, c’est vrai, et je le regrette. Il me semblait qu’une diffusion pouvait servir de catharsis.
Quel a été le budget de la CDVR ?
Le Trésor a mis à disposition environ 13 milliards de F CFA [20 millions d’euros]. L’UEMOA, 2,5 milliards et la BAD, environ 700 millions ; 45 % de cette somme ont été consacrés aux salaires, le reste a financé les opérations générales de fonctionnement.
Cela était-il suffisant pour respecter votre cahier des charges ?
Nous n’avons pas été mal lotis, et j’ai fait le maximum avec ce que l’on m’a donné. Mais il faut noter que j’ai dû utiliser mes relations personnelles pour demander les financements extérieurs à l’UEMOA et à la BAD.
Dans nos colonnes (J.A. no 2839), Alpha Blondy a estimé qu’en vous confiant cette tâche, le pouvoir vous avait « humilié »…
Oui, ils ont tenté de m’humilier. On a véhiculé l’image selon laquelle Charles Konan Banny aurait détourné de l’argent. On a sali mon nom, ma famille, et Ouattara a laissé faire alors qu’il sait ce que j’ai fait pour lui et sa famille.
Vous avez rendu visite à Laurent Gbagbo à La Haye, le 24 mars. De quoi avez-vous parlé ?
De la Côte d’Ivoire. Laurent Gbagbo est pour le changement, et il considère que la CNC est une bonne chose.
Sa place est-elle à la CPI ?
Avec lui, c’est une partie de la Côte d’Ivoire qui est en prison. Laurent Gbagbo a été le président qui est resté le plus longtemps en exercice après Félix Houphouët-Boigny. Pour les Ivoiriens, c’est blessant de le savoir là-bas, et si j’avais eu à en décider, j’en aurais décidé autrement. Des prisons, des résidences surveillées, il y en a chez nous. Mais peut-être s’en est-on finalement rendu compte puisque le président Ouattara refuse maintenant de transférer Simone Gbagbo à La Haye.
La justice ivoirienne a condamné l’ancienne première dame pour atteinte à la sûreté de l’État pendant la crise postélectorale. Qu’en pensez-vous ?
Elle a été condamnée à vingt ans de prison tandis que d’autres ont écopé de peines moindres. Ce n’est pas rassurant et conforte l’idée selon laquelle la justice est aux ordres. Le président Ouattara, qui a longtemps été l’objet de décisions injustes [un mandat d’arrêt a été lancé contre lui en 1999, sous la présidence de Bédié], devrait s’en rappeler.
En mars, face à la multiplication des candidatures pour la présidentielle, Guillaume Soro, le président de l’Assemblée nationale, a mis en garde ceux « qui pensent avoir un destin présidentiel parce qu’ils sont applaudis lors d’un meeting ». Vous avez par la suite affirmé que certaines personnes feraient bien de s’expliquer « sur les différents crimes commis depuis le début de la crise ». Visiez-vous Soro personnellement ?
Ces propos m’ont été attribués par une certaine presse ivoirienne, mais je ne les ai jamais proférés.
Pourtant, Guillaume Soro vous a répondu sur Twitter…
Il m’a même appelé et nous avons clos l’incident. Soro a des relations respectueuses avec Charles Konan Banny et il a raison. Il n’est pas bête et se souvient de ce que j’ai fait pour lui. En 2005, lorsqu’il était barricadé à Bouaké, c’est moi qui l’ai remis en selle. Je l’ai nommé ministre d’État, je suis allé à Bouaké pour le convaincre de revenir en Conseil des ministres. Nous sommes partis ensemble, dans ma voiture. Et j’ai dit : « Si vous voulez atteindre Soro, il faudra me passer sur le corps. » Non que j’aie été pris d’amour fou pour lui, mais parce que cela faisait partie de ma mission de réconciliation.
Si vous êtes élu en octobre, quelle sera votre première mesure ?
D’abord, appliquer la Constitution, qui dit qu’aucun Ivoirien ne doit être condamné à l’exil. Je veux faire revenir tous les exilés. Ensuite, mon objectif sera de faire en sorte que les Ivoiriens soient libres et libérés. Et ce sans esprit de vengeance ni déni de la réalité, mais avec justice et équité, pour qu’enfin nous allions à la réconciliation. Houphouët-Boigny nous a laissé une nation, il était en train de construire une société. Nous devons la parfaire.
J A