Christian Combaz fait observer que l’augmentation ou la diminution du nombre de fumeurs sera bientôt aussi connue que le taux d’inflation mais que les raisons pour lesquelles les gens fument ne sont pas uniquement dues à la puissance de l’industrie du tabac.
Les mines cafardes des présentateurs qui nous annoncent que la consommation de tabac est repartie à la hausse ont beau n’impressionner personne, la litanie recommence tous les trois mois comme s’il s’agissait d’annoncer le taux d’inflation. On finit par rêver d’un rédacteur en chef qui dirait stop, c’est fini, nous ne serons plus les artisans d’une campagne prophylactique obligatoire, nous ne sommes pas dans la Chine de Mao, si le Gouvernement veut faire de la propagande anti-tabac il n’a qu’à la faire dans les gares et louer des panneaux, mais le coup du type qui se retourne vers la caméra en disant «à présent, voici des chiffres préoccupants!», on nous l’a trop fait, personne n’écoute plus.
Quand les pourcentages baissent il y a toujours un reportage pour vous rappeler qu’il reste trop de fumeurs en France. Quand le prix du paquet augmente il y a toujours une Marisol pour plastronner sur le thème «patience, on les aura». Les pouvoirs publics ont tout essayé, y compris les méthodes staliniennes qui s’adressent aux enfants pour les convaincre de contrôler la consommation de leurs parents. Dans le film Le Pari (1997), le slogan, issu d’un cabinet de communicants médiocre (mais il est probable que ce sont plutôt les scénaristes qui ont commis l’erreur en toute ignorance), slogan qui depuis circule partout dans la presse française, était «Le tabac c’est tabou on en viendra tous à bout!». On imagine très bien ce que l’auteur de cette phrase idiote avait en tête: le tabac, c’est un fléau. Mais comme la différence entre un fléau et un tabou lui échappait, comme il fallait une rime forte, et comme il n’avait pas fait Normale Sup, cette incongruité de langage a fini par devenir le symbole d’une campagne permanente d’intimidation au nom de la santé publique.
Si l’on veut enjamber un vrai tabou, commençons par rétablir sa définition. Un tabou n’est pas un fléau. C’est un sujet qu’il est de mauvais ton d’évoquer. Voilà qui tombe bien car il existe bel et bien un tabou à propos du tabac, un sujet que personne ne veut jamais évoquer: pour la moitié de ceux qui s’y adonnent, le tabac est avant tout un plaisir donc une consolation, comme l’alcool et mille autres choses qui finiront par disparaître de notre paysage mental . Le jour où les Tartuffes occuperont le terrain d’une frontière à l’autre, il faudra changer jusqu’au titre de La première gorgée de bière de Philippe Delerm par le même principe qui veut qu’on ne puisse plus publier, aujourd’hui, un livre intitulé La première taf’ du matin et autres plaisirs minuscules. Le vrai, le seul tabou semble être la question: de quoi les gens ont-ils besoin d’être consolés en se raccrochant ainsi à ces plaisirs humbles, addictifs, répétitifs, et quel est le profil de celui qui cherche la consolation? C’est curieux mais sur ce sujet, les gouvernements sont incapables de fournir une réponse. Quant aux élites de la Nation qui lancent ces campagnes en direction de la plèbe, s’ils avaient une connaissance suffisante du coeur humain, s’ils avaient la moindre idée de ce que veulent les gens, leurs enfants seraient moins nombreux à tomber pour trafic de cannabis ou vol à main armée.