Lettre ouverte aux leaders de l’opposition guinéenne
Messieurs,
Il est peut-être inutile de vous rappeler l’importance et la valeur qu’attache le peuple de Guinée à la paix et à la quiétude sociales en Guinée qui, aujourd’hui sont sérieusement menacées par les conflits post électoraux. Aujourd’hui, les Guinéens de toutes les sensibilités politiques et ethniques ont un seul souhait ; Celui de voir nos dirigeants politiques résoudre leurs différends par des voies légales apaisées.
Personne ne conteste le fait qu’il y a eu des irrégularités durant le déroulement du scrutin du 11 Octobre 2015. Certains électeurs n’avaient pas leurs cartes d’électeur en possession à temps pour pouvoir voter et c’était pareil pour les deux camps, la mouvance tout comme l’opposition. L’ambassadeur de la Guinée aux Etats Unis n’a pas pu voter, n’ayant pas pu avoir sa carte d’électeur à temps, d’après certaines informations.
Il faut quand même noter que les irrégularités sont liées au processus électoral et ne sont pas souvent dues à la mauvaise foi ; elles sont dues généralement aux erreurs humaines : erreurs d’appréciation, erreurs de prévision et d’estimation, erreurs pendant la saisie des données etc. Le plus souvent il arrive que l’on fasse des estimations de dates sous la pression du temps en tenant compte des données disponibles et des paramètres sous contrôle, mais il y a toujours d’autres paramètres qui entrent en ligne de compte et qui échappent totalement à notre contrôle et cela peut fausser tout calcul que l’on fait.
Il y a toujours des irrégularités dans un processus électoral quel que soit le pays ; c’est le degré qui diffère. Aux Etats Unis il y a eu 51 millions d’électeurs éligibles qui ont été empêchés de voter à l’élection présidentielle de 2008 qui a porté Obama au pouvoir pour la première fois. Ces électeurs ont été empêchés à cause d’erreurs ou d’irrégularités au niveau des fichiers d’enregistrement d’électeurs. Ces faits sont connus, publiés et accessibles à partir des bases de données publiques américaines sur le net. A titre d’exemple, l’ancien US congressman de la Chambre des Représentants de l’Etat de Tennessee Mr. Lincoln Davis, qui comprend bien les règles électorales, a été empêché de voter en 2008 dans sa propre ville où il avait l’habitude de voter depuis 1995. C’est pour dire que les irrégularités sont inhérentes au processus électoral.
Les opposants ont bien le droit de contester le résultat issu d’un scrutin, mais la manière de contester est très importante pour notre pays ; c’est aussi important qu’ils essayent d’éviter de ternir l’image de marque de notre pays car cela a des conséquences néfastes et durables sur les capacités du pays d’attirer des investissements dont le pays a besoin à plus d’un titre.
Les investisseurs regardent un certain nombre de choses avant de prendre toute décision d’investir dans un pays donné. D’abord il faut savoir qu’il y a ce que l’on appelle classifications des risques pays. Cette classification reflète risque pays qui se définit comme le risque d’occurrence d’un sinistre résultant du contexte financier, économique et politique d’un Etat, dans lequel une entreprise étrangère effectue ses activités ou une partie de ses activités (investissements).
Il est composé de plusieurs types de risques tels que : risque de Transfer et de convertibilité (c’est-à-dire le risque qu’un gouvernement impose des contrôles sur les mouvements de capitaux ou sur les devises qui empêchent une entité de convertir la devise locale en devise étrangère et/ou de transférer des fonds vers des créanciers situés en dehors du pays) ; risques politique, sociopolitique, et géopolitique (défaut souverain, l’expropriation, la répudiation de dette, la dévaluation, les troubles politiques, les grèves, les émeutes et conflits armés, corruption, conditions climatiques extrêmes, risques sanitaires (Ebola), révolution, troubles civils, ou autres causes d’instabilités politique et sociale, inondations, tremblements de terre). Ce « sinistre » peut aussi être causé par d’autres types de risques tels que : risque bancaire, risque de change et risque juridique. Que sais-je encore ; les économistes pourraient en dire plus. Ici j’essaie de fonder mes analyses, sur les notes que j’ai retenues de quelques cours d’économie durant mon programme d’études universitaires, pour mettre l’accent sur l’importance du rôle que peuvent jouer nos dirigent politiques pour protéger, ou au mieux embellir, l’image de notre pays qui est essentielle en ce qui concerne l’attrait des investissements.
Les pays à faibles revenus (pays pauvres), notamment les pays africains sont classés selon les critères risque pays.
Les investisseurs donc évaluent les risques qu’il y a à investir dans un pays et la sécurité de leurs investissements entre autres études, analyses et évaluations.
Il est donc très important que nos hommes politiques évitent de créer des situations en Guinée qui augmentent les risques qui par conséquent élèvent les barrières aux investissements en Guinée.
De l’indépendance de notre pays à nos jours, il y a eu des mutations avec changement de générations et de défis. A cela, il faut ajouter le fait qu’aujourd’hui le monde entier est devenu un village planétaire avec une interdépendance entre les pays surtout sur le plan économique.
Pour les nécessités de développement, tous ces pays éprouvent les mêmes besoins d’investir pour améliorer le bienêtre social, ce qui crée une situation de concurrence farouche entre ces pays qui s’engagent dans une compétition sans merci pour des ressources qui deviennent de plus en plus limitées ; et les investisseurs, de leur côté, deviennent de plus en plus prudents et capricieux.
Pour une garantie de sécurité, les investisseurs regardent, entre autres, les risques politique et sociopolitique (stabilités sociopolitiques, la force et l’indépendance des institutions républicaines, notamment dans le domaine judiciaire, la corruption, guerre civile…). Ils veulent s’assurer une protection totale de leurs investissements. Donc des déclarations qui invitent aux violences ou qui fustigent, dénigrent et ternissent l’image de nos institutions républicaines ne sont pas de nature à attirer les investissements souhaités vers notre pays, au contraire, elles sont de nature à faire peur aux investisseurs ou à les faire fuir. Aujourd’hui notre pays a d’autant plus besoin d’investissements que l’épidémie Ebola a causé des ravages humains et économiques qui ont affaibli l’économie et sérieusement affecté la croissance économique. Les investissements sont aussi indispensables pour résoudre les problèmes d’emploi surtout des jeunes.
Nos Universités et autres écoles de formations versent, sur le marché d’emploi, chaque année des dizaines de milliers de jeunes formés sans emploi. Si des solutions adéquates ne sont pas trouvées immédiatement, ce sont des bombes à effets thermiques qui sont en préparation ou qui sont préparées mais qui restent en inactives. Il va falloir, un jour, un rien pour qu’elles explosent et personne ne le souhaite. Le monde entier a vu ce qui s’est passe en Tunisie.
Une opposition peut s’engager dans une logique de violences dans le but de déstabiliser le pouvoir en place afin de décourager les investisseurs et freiner les investissements et cela, comme stratégies pour pénaliser le pouvoir en place. Le problème est que c’est le peuple, pas le pouvoir, qui soufre des conséquences de telles stratégies. En plus, de telles stratégies négatives sont dangereuses en ce sens que leurs effets sont aussi néfastes que durables. Elles anéantissent non seulement les capacités du pouvoir place et réduisent son espace de manœuvre dans la recherche d’investisseurs, mais aussi les capacités des futures pouvoirs ou régimes qui vont se succéder car quand les investisseurs s’éloignent il est très difficile de les faire revenir. Dans tout ça, ce sont les pauvres guinéens qui vont continuer à croupir dans la misère.
Mr. Bah Oury, le premier vice-président de l’UFDG, qui n’a pas sa langue dans sa poche et qui parait être l’un des critiques les plus acerbes contre le pouvoir actuel, a fait une analyse très surprenante mais très logique. Dans une lettre postée sur le site mediaguinée, il critique la décision du leader de l’UFDG de recourir aux violences en faisant descendre les enfants des autres dans la rue pour se faire tuer. Il précise que l’UFDG doit faire son bilan et changer de stratégies pour adopter celles qui s’étendent sur toute la nation car des stratégies qui se limitent à une communauté ne feront jamais avancer le Parti ; il préconise le changement de leadership par ce qu’il y a aussi d’autres qui veulent être candidats dit-il. Il affirme que les échecs successifs de l’UFDG sont dus au manque de stratégies nationales pas autre chose. Pour lui, les violences avec les enfants dans la rue ne sont pas la solution. C’est un problème de stratégies et de leadership d’après le premier vice-président de l’UFDG.
Il est essentiel que leaders politiques fassent preuve de retenue et recourent aux institutions républicaines pour résoudre les conflits politiques de manière apaisée ; cela est important pour l’image de notre pays. Autrement, le peuple continuera à souffrir pour toujours par ce que les futurs tenants de pouvoir et futurs oppositions tomberont dans les cycles mêmes de violences. Il faut donc des tolérances qui demandent de sacrifices pour mettre les intérêts de la nation au-dessus des intérêts individuels.
Le plus souvent quand on parle de démocratie en Guinée on a tendance à la comparer à la démocratie en France ou aux Etats Unis. Ces pays ont traversé des étapes et ont mis des siècles pour arriver au stade où ils sont aujourd’hui.
La vraie démocratie en Guinée, au sens occidental du mot, a commencé il y a cinq ans seulement. Elle a commencé par la première élection libre et transparente de 2010. Même s’il y a eu allégations d’irrégularités ou de fraudes, il n’y a aucun doute qu’elle était une élection libre et transparente et comme cette deuxième élection d’ailleurs. Une démocratie totale ne se construit pas en cinq ans et même pas en 10 ou 20 ans. C’est un processus qui va d’amélioration en amélioration.
La France qui est connue aujourd’hui comme berceau de la démocratie a traversé des périodes de turbulences et de tragédies avant d’arriver au stade d’une démocratie exemplaire ; elle a connu une succession de régimes politiques : Monarchies, Révolution, Directoire, Consulat, et Républiques. La Révolution française, notamment, a été l’une des Révolutions les plus violentes et les plus meurtrières au monde. En un seul jour, le 5 Avril 1794, 15 hommes politiques dont Georges-Jacques Danton ont été passés à la guillotine pour leurs opinions politiques. Trois mois après d’autres hommes politiques dont Robespierre ont été passés à la guillotine, aussi pour leurs opinions politiques. Cela montre qu’une démocratie est un processus de longue haleine et prend du temps pour se construire et devenir un exemple.
La démocratie est donc née en Guinée, elle progresse et rien ne va plus l’arrêter ; cela se voit quand on fait un certain rétrospective. En terme de démocratie la Guinée d’aujourd’hui n’est pas à comparer à celle des années 90 ou les droits de manifestations politiques, qui sont aujourd’hui autorisés et garantis, étaient formellement interdits sous toutes leurs formes. On a seulement besoin de la patience et des tolérances pour arriver au stade que nous voulons atteindre en démocratie.
Loin de moi toute intention de m’ériger en enseignant pour donner des cours ici ; je voudrais exprimer mon opinion et mes points de vue face à une situation que je trouve très grave et très dangereuse pour notre République et pour notre jeune démocratie surtout quand on regarde les défis à relever qui sont restés presque les mêmes défis (l’eau, l’énergie, les routes, la santé, l’éducation, l’emploi) depuis l’indépendance jusqu’en 2010 malgré une dette publique de plus de 3 milliards de US dollar. N’eut été l’annulation d’une bonne partie de la dette de la Guinée en Octobre 2012 à cause des progrès satisfaisants accomplis pour atteindre le point d’achèvement dans le cadre de l’initiative en faveur des pays pauvres très endettés, la Guinée devait payer 170 millions de dollars d’intérêts a ses créanciers. Soit l’équivalent d’un tiers des dépenses courantes de l’Etat. Un fond perdu, un gouffre pour un pays qui a tant de défis à faire face et dont les enfants ont trop souffert.
Mohamed Condé
Kaboul, Afghanistan
Mission d’Assistance des Nations Unies en Afghanistan