Infarctus, hypertension, maladies coronaires… Les causes majeures de l’insuffisance cardiaque sont combattues par la recherche à travers 4 pistes innovantes.
INSUFFISANCE CARDIAQUE – Cela commence en général par un essoufflement, à l’effort puis au repos. C’est le symptôme majeur de l’insuffisance cardiaque (IC), une fatigue progressive du cœur qui s’installe à la suite d’un infarctus, ou dans le sillage d’une hypertension artérielle. Un million de personnes sont concernées en France ; 15 millions en Europe. Avec le temps, cette insuffisance évolue en dents de scie et oblige le plus souvent à une hospitalisation, surtout après 70 ans, sa fréquence augmentant avec l’âge. D’où l’accroissement rapide de la fréquence de l’IC dans nos pays vieillissants. Redynamiser ces cœurs devenus trop faibles, tel est l’enjeu des quatre principaux axes de recherches du moment. Au programme, biologie de pointe, génétique, chimie et high-tech…
1Bioprothèse : un cœur artificiel implantable
C’est un « vrai faux » coeur 100 % made in France qui bat en silence. Ce coeur artificiel total baptisé Carmat (lire S. et A. n° 778, décembre 2011) qui reproduit le fonctionnement de l’organe naturel, a été conçu à l’initiative du Pr Alain Carpentier, chirurgien cardiaque réputé et président de l’Académie des sciences. C’est la consécration de près de trente ans de travail. Véritable concentré de technologies sophistiquées dans une enveloppe biologique réduisant les risques de caillots, cette prothèse a la particularité de s’adapter automatiquement aux efforts du patient et pourrait offrir une alternative à la transplantation.
Entrepris chez un premier patient fin 2013, les essais se poursuivent. De leurs résultats, dépendra la commercialisation. La première phase de tests sur quatre patients s’achève. Elle avait pour critère de succès une survie supérieure à 30 jours pour les malades, tous en phase terminale d’insuffisance cardiaque. Mission presque remplie (à l’heure où nous publions) : la survie des deux premiers patients a été respectivement de 74 jours et de 9 mois. Le troisième patient a été opéré début avril et une quatrième intervention doit venir clore cette première phase. Suivra ensuite la seconde, qui devra démontrer son efficacité, c’est-àdire une augmentation de survie grâce à la prothèse. Les tests seront alors élargis à une vingtaine de malades d’ici à deux ans et le nombre des centres d’implantation en France et à l’étranger sera augmenté (environ une dizaine).
À lire : VIDEO. Au fait, comment fonctionne précisément le cœur Carmat ?
2Thérapie génique : des gènes qui agissent sur le cycle du calcium
Un essai français de thérapie génique, baptisé Agent, est en cours dans cinq centres de référence à Paris, Créteil (Val-de-Marne) et Pontoise (Val-d’Oise). Son objet : l’administration par perfusion intracoronaire d’un médicament de thérapie génique, le Mydicar (produit par la société de biotechnologie américaine Celladon). Il agit sur le cycle du calcium, essentiel pour la contraction des cellules cardiaques. Si les premiers résultats annoncés en avril d’un essai américain, Cupid-2, ont déçu, les Français ont bon espoir : « Nous prévoyons d’inclure environ 40 patients d’ici à 2016 », précise le principal investigateur, le Pr Jean-Sébastien Hulot, cardiopharmacologue à l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière (Paris).
3Médicament : une nouvelle classe de molécule hybride
LCZ 696. Tel est le nom de code d’un médicament (Entresto, laboratoires Novartis) qui semble très prometteur : l’espoir étant que cette molécule réduise de 20 % la mortalité cardio-vasculaire par rapport au traitement de référence. De quoi exciter la communauté des cardiologues et provoquer une vraie effervescence lors de sa présentation à de récents congrès internationaux spécialisés. Ce médicament est le premier d’une nouvelle classe. Il s’agit d’une molécule dite hybride, associant l’inhibiteur d’une enzyme, la néprilysine (AHU377) à du valsartan, un antihypertenseur. Au final, un nouveau type de médicament appelé inhibiteur de récepteurs de l’angiotensine, sous forme de comprimé à prendre deux fois par jour. Selon les essais cliniques menés sur plusieurs milliers de patients depuis cinq ans, la molécule a permis de réduire la mortalité d’origine cardiaque et diminuer le symptôme majeur, l’essoufflement, tout en étant mieux tolérée que le traitement de référence*.
Une efficacité qui a un coût
Si ces avantages sont confirmés, des modifications des recommandations internationales sur la prise en charge de l’IC sont à prévoir. Problème, cette efficacité aura un coût ! Entre 4 et 7 dollars par jour, selon différentes analyses financières… Soit plus de 1500 € par an et par patient… « Il faudra voir ses résultats en conditions réelles et bien sélectionner les patients », précise le Pr Albert Hagège, cardiologue à l’Hôpital européen Georges-Pompidou (Paris) et principal investigateur pour la France des essais cliniques. La commercialisation est annoncée pour 2016.
* Le traitement de référence, l’énalapril, ne doit en aucun cas être arrêté sans consultation d’un médecin.
4Thérapie cellulaire : un patch régénérant implanté
Ce fut une première mondiale, réalisée dans le secret le plus absolu en France, le 21 octobre 2014. Elle a été révélée en janvier 2015 au cours des journées de la Société française de cardiologie, qui se sont tenues à Paris : dans le cœur d’une femme de 68 ans, a été implanté un patch comportant des cellules cardiaques dérivées de cellules souches embryonnaires humaines. Objectif : la régénération de ce cœur atteint d’insuffisance sévère. Un an plus tard, la patiente va bien.
Aux manettes de cette opération hors du commun, deux équipes de cardiologues et de biologistes qui ont collaboré pendant près de vingt ans : celle du Pr Philippe Ménasché, de l’Hôpital européen Georges-Pompidou (Paris) et celle du Pr Jérôme Langhero, responsable de l’unité de thérapie cellulaire à l’hôpital Saint-Louis (Paris). Après toutes ces années de recherches, le principe retenu pour cette thérapie a été le suivant : rendre à nouveau fonctionnelles, c’est-à-dire capables de contraction, des cellules cardiaques lésées en raison d’un infarctus. Rappelons que lors du déclenchement de cette crise cardiaque, une artère coronaire est obstruée, certaines zones du muscle initialement saines ne sont plus irriguées et le tissu meurt. Dans les semaines qui suivent, il est remplacé par un tissu cicatriciel, inactif, qui n’assure plus la fonction de contraction. Résultat, le cœur, moins puissant, doit forcer. Avec le temps, l’insuffisance cardiaque se développe. Il y a près de quinze ans, les médecins avaient déjà eu l’idée d’injecter directement dans la zone de l’infarctus des cellules musculaires prélevées dans la cuisse du patient. Mais les résultats s’étaient révélés décevants. En 2014, les équipes ont choisi une nouvelle voie : celle de « jeunes » cellules cardiaques.
Un patch de cellules souches posé sur la zone de l’infarctus
Encore immobiles, elles sont issues de cellules souches embryonnaires, provenant d’embryons congelés suite à une fécondation in vitro (FIV) et ne faisant plus l’objet d’un projet parental. Restait à trouver une astuce pour les administrer. « Nous avons eu l’idée de les placer dans une colle naturelle déjà existante et utilisée en chirurgie, la fibrine », détaille Valérie Vanneaux, bras droit du Pr Ménasché et membre de l’équipe du Pr Langhero. C’est donc un patch d’environ 20 cm2 qui, lors de l’intervention, a été directement posé sur la zone de l’infarctus. « Une manipulation très simple et rapide qui n’a demandé que quelques minutes supplémentaires au chirurgien », poursuit la spécialiste. Le protocole qui prévoit d’inclure d’autres malades (six au total au moment où nous écrivons ces lignes) est en cours. Pour des raisons éthiques, dans cet essai encore préliminaire, un pontage coronarien par chirurgie a été associé. Il est donc difficile aujourd’hui de savoir si l’amélioration de l’état de santé de la patiente lui est due ou dépend bien des cellules du patch.
Remodeler le tissu cardiaque
Mais les chercheurs savent déjà, que plus qu’aux cellules elles-mêmes, « il faut surtout s’intéresser aux protéines qu’elles produisent, car ce sont sans doute elles qui agissent, explique Valérie Vanneaux. Leur identification précise est en cours », précise la chercheuse. En attendant, la première patiente se porte donc bien : « Les échographies réalisées pour son suivi attestent d’un remodelage de son tissu cardiaque », poursuit la biologiste. Et l’équipe travaille déjà sur un autre type de patch, destiné à remodeler le coeur d’enfants atteints, cette fois, de malformations cardiaques.