« Je suis très heureux de la victoire de mon ami Roch. On est très liés, et nos destins, bizarrement, se sont recoupés. On a été Premiers ministres en même temps, présidents de l’Assemblée nationale en même temps. Et voici qu’il rejoint la fratrie… »
Lorsque Roch Marc Christian Kaboré a été élu, le 29 novembre, président du Burkina, ils ont été les premiers à lui téléphoner pour le féliciter : Ibrahim Boubacar Keïta le Malien, auteur de la petite confidence ci-dessus, Alpha Condé le Guinéen, Mahamadou Issoufou le Nigérien. Discrètement, mais efficacement, tous trois ont aidé le quatrième à accéder au pouvoir : conseils, carnet d’adresses, financement, la solidarité entre camarades membres de l’Internationale socialiste a joué à plein. L’Afrique de l’Ouest a désormais sa « bande des quatre ».
Beaucoup de choses lient entre eux ces chefs d’État qui se connaissent depuis longtemps, se parlent sans cesse, dont les épouses et les enfants se fréquentent. À commencer par une jeunesse étudiante française très politisée à gauche, parfois à l’extrême gauche, et une commune adhésion aux idéaux anticolonialistes (puis antinéocolonialistes) de la mythique Fédération des étudiants d’Afrique noire en France (Feanf). A 77 ans, Alpha Condé est leur doyen, celui qui a le plus longtemps milité en exil, le seul à n’avoir jamais occupé de fonctions officielles dans son pays avant son élection, en novembre 2010.
Parcours brillant : Sciences-Po, doctorat d’État en droit public, universitaire. Président de la Feanf en 1963 et l’un de ses principaux dirigeants jusqu’en 1975, Alpha a flirté avec la gauche de la gauche : maoïste, proalbanais, avant de se rapprocher du Parti socialiste. Ibrahim Boubacar Keïta, 70 ans, a lui aussi vécu longtemps à Paris. Comme Condé et à la même époque, il a usé ses pantalons sur les bancs de la Sorbonne – le temps d’y décrocher une maîtrise d’histoire – et ses cordes vocales dans les AG de la Feanf. C’est en militant tiers-mondiste qu’il revient au pays pour participer à la fondation de l’Alliance pour la démocratie au Mali (Adema), membre d’une Internationale socialiste dont il sera, une décennie plus tard, l’un des vice-présidents.
»Il leur a fallu faire des compromis, tordre le cou à quelques chimères révolutionnaires »
Avec Mahamadou Issoufou, 63 ans, on passe à une autre génération, mais le moule et la filière restent identiques. À la fin des années 1970, le futur président nigérien est étudiant en mathématiques en France, avant d’obtenir un diplôme d’ingénieur des Mines. Il milite à gauche lui aussi et à distance contre le régime militaire de Seyni Kountché, fréquente les cercles Afrique des partis communiste et socialiste français. C’est avec d’anciens camarades estudiantins qu’il fonde son parti, le PNDS-Tarayya, proche, puis membre, de l’Internationale socialiste.
Parcours similaire pour le benjamin Roch Kaboré, 58 ans, dernier venu au club. Au début des années 1980, il achève, à Dijon, une maîtrise, suivie d’un DESS en sciences économiques, flirte avec la Feanf et s’enthousiasme pour la révolution sankariste, très ancrée à gauche. Le premier parti auquel adhère Kaboré s’appelle l’Union de lutte communiste reconstruite – tout un programme.
Sans rompre totalement avec les idéaux, parfois naïfs, souvent pionniers d’une Fédération dont le premier président fut, au début des années 1950, une présidente – la grande psychanalyste béninoise Solange Faladé -, la « bande des quatre » a, depuis, fait l’apprentissage du réalisme. Il leur a fallu faire des compromis, tordre le cou à quelques chimères révolutionnaires, se chercher des parrains de circonstance et des bailleurs de fonds pas toujours recommandables : la lutte pour le pouvoir mais aussi l’exercice de ce dernier n’ont jamais fait bon ménage avec la pureté.
Mais de ces années échevelées leur sont restées quelques convictions essentielles : patriotisme, démocratie, sens du social. Bande des quatre ? Ils auraient pu être cinq si l’historien sorbonnard Laurent Gbagbo, 70 ans, autre Parisien du Quartier latin, des réunions de la Feanf et des conférences de l’Internationale socialiste, le premier d’entre eux à accéder, en 2000, à la présidence de son pays, y siégeait encore. Cela fait quatre ans et huit mois que le camarade Laurent a perdu sa liberté. Chacun se débrouille avec sa propre histoire, dans des circonstances qu’il n’a pas choisies…
Par François SOUDAN