L’histoire de la Côte d’Ivoire de ces dix dernières années est indissociablement liée au destin personnel de Guillaume Soro.
Le président du parlement ivoirien est au cœur des événements qui marquent la vie publique ivoirienne, comme lors de la gestion de la récente attaque terroriste à Grand-Bassam, où il n’a été ni absent ni oublié. Au cœur des événements aussi, sans doute parfois malgré lui, comme dans l’affaire des écoutes téléphoniques supposées entre Djibril Bassolé, ancien ministre des affaires étrangères de Blaise Compaoré et lui.
Son passé militant, son engagement dans la lutte et dans la guerre que la Côte d’ivoire a connue au nom des droits civils, politiques, de la justice pour tous les Ivoiriens ont nourri la légende personnelle de l’homme et expliquent en grande partie son parcours politique hors du commun. Le deuxième personnage de l’État ivoirien, comme tous les hommes »pressés » ou surdoués de leur génération, a brûlé toutes les étapes et obstacles pour se retrouver aujourd’hui au sommet de l’État.
Pourtant depuis quelques temps, pour Guillaume Soro, les ennuis se succèdent, s’accumulent. Les ennemis deviennent nombreux, déterminés à limiter son influence politique sur l’État et à réduire son emprise militaire sur le pays. À l’occasion de tous les faits marquants ou événements sensibles de la vie politique, son nom est évoqué, des questions sont posées sur son rôle avec toujours un doute : n’est-il pas derrière, ou tout cela ne lui profite-t-il pas ?
Accusé d’être »pressé, trop ambitieux », il se retrouve comme toujours pris dans une violente spirale d’adversités assumées ou non, tempérées un bref moment par la victoire politique et militaire de Ouattara, à laquelle il a d’ailleurs pris une part active et décisive.»
Ayez des ennemis ! Vos amis se lasseront de parler de vous ; vos ennemis, jamais ! », professe Pierre Veber. Est-ce parce que le président de l’Assemblée nationale ivoirienne a beaucoup d’ennemis qu’il n’arrête pas de faire parler de lui et d’occuper le devant de la scène publique malgré son choix de faire profil bas depuis quelque temps ? Ou le fait qu’à mesure que l’on entre pleinement dans le second et dernier mandat de Alassane Ouattara, se rapproche irrémédiablement l’heure de sa succession ? Ou bien les deux ?
La sorophobie déclarée et ambiante dans un pays encore déchiré transparaît d’abord chez les partisans de Laurent Gbagbo
S’ils sont nombreux à admirer et à craindre l’audace connue et reconnue de l’ancien leader estudiantin, d’autres se demandent comment l’arrêter avant qu’il ne soit trop tard pour l’empêcher d’aller plus loin, d’arriver plus haut. Comment lui faire comprendre que la partie n’est pas gagnée d’avance pour lui, l’un des prétendants sérieux à la succession d’Alassane Ouattara et souvent jugé comme le plus légitime d’entre tous ?
« Moins de Soro » : la sorophobie déclarée et ambiante dans un pays encore déchiré transparaît d’abord chez les partisans de Laurent Gbagbo qui ont du mal à lui pardonner d’avoir choisi »l’ennemi Ouattara » contre leur éternel champion – donc d’avoir fait gagner l’un, d’avoir fait perdre l’autre. Mais elle transparaît aussi parmi certains compagnons et soutiens historiques du président ivoirien sortant et ses alliés d’aujourd’hui. Comme si beaucoup dans ce microcosme politique voulaient tourner la page d’un passé difficile pour ne pas avoir à s’en expliquer aujourd’hui ou à en souffrir demain. Ou comme s’il fallait définitivement, coûte que coûte, écarter le pion Soro pour avoir une réelle succession ouverte.
Or, au-delà de l’enjeu de circonstance – à savoir qui « héritera » de Ouattara – qui divise les membres de cette même famille et les oppose à d’autres, il y a le besoin vital et commun à tous de ne pas perdre un pouvoir chèrement acquis. Car peut-on parler d’héritier sans héritage ? Alassane Ouattara qui a fait savoir qu’il ne briguera pas un autre mandat, s’attèle d’ores et déjà à façonner celui-ci. Mais à quel point ? Et au profit de qui ?
Pour marquer son passage à la tête de l’État, ADO lance notamment des innovations majeures comme la création d’un poste de vice-président à la faveur d’une révision express de la Constitution par voie référendaire. Avant la fin de l’année, se tiendront aussi les élections législatives auxquelles tous les partis politiques de l’opposition et de la coalition au pouvoir devraient présenter des candidats pour mesurer leur poids sur l’échiquier électoral national et connaitre leurs chances pour l’avenir.
L’alliance politique et électorale au pouvoir gardera-t-elle la majorité ? La fusion annoncée et imminente entre ses composantes aura-t-elle lieu pour le bonheur et le malheur de qui ? Guillaume Soro va-t-il rempiler ? Qui du président de l’Assemblée nationale et du futur vice-président sera dauphin constitutionnel ?
En attendant les réponses à ces questions qui permettront de voir plus clair dans les intentions et l’agenda politique de ADO, d’orienter Guillaume Soro à propos de son avenir proche et les autres acteurs dans leurs prétentions, il est peu probable que le climat politique ivoirien s’apaise et que le président de l’Assemblée nationale bénéficie d’une trêve. Bien au contraire.
Redevable d’alliances passées, tributaire de la recomposition en cours du paysage politique, il est aussi soumis à une Côte d’Ivoire tourmentée par la sombre perspective de l’insécurité
Pour le moment, l’ancien leader estudiantin joue la montre et sait qu’il lui faudra survivre par tous les moyens jusqu’à l’élection présidentielle prochaine.
Son avenir, il sait qu’il n’en n’est pas seul maître. Redevable d’alliances passées, tributaire de la recomposition en cours du paysage politique (qui déterminera ses nouveaux alliés sûrs et ses ennemis), il est aussi soumis à une Côte d’Ivoire tourmentée par la sombre perspective de l’insécurité, qui redoute que la bataille rangée pour la succession ne réveille ses vieux démons.
Car en 2020, se joue certes le destin présidentiel pronostiqué pour un homme mais aussi et surtout, à travers lui, l’ultime bataille d’une vie de combat permanent de toute une génération qui a pris les armes pour changer le cours de l’histoire nationale et accomplir son destin en décidant de celui de leur pays.