Diviser pour régner… La tactique théorisée par Machiavel fonctionne depuis des siècles sous toutes les latitudes. En Guinée, elle est appliquée avec un certain succès par Alpha Condé, qui, en quelques mois, est parvenu à juguler les élans d’une opposition jusqu’alors très énergique.
Souvent décrit comme un « animal politique », y compris par ses proches, le chef de l’État a procédé méthodiquement, étape par étape. Il a d’abord, avant ou après sa réélection, le 11 octobre 2015, attiré dans son camp certains de ses adversaires. Quelques semaines avant le scrutin, après des années à fustiger le régime d’Alpha Condé, l’Union des forces démocratiques (UFD), de Mamadou Baadiko Bah, annonçait qu’elle soutenait sa candidature. Pour le président sortant, cette alliance était surtout un moyen de gagner des électeurs peuls dans le Fouta-Djalon, région traditionnellement acquise à l’opposition.
Le ralliement de Sidya Touré
Une fois réélu, le président a réussi un second coup, dont la portée politique est encore plus significative : obtenir le ralliement de Sidya Touré, leader de l’Union des forces républicaines (UFR), deuxième force de l’opposition après l’Union des forces démocratiques de Guinée (UFDG), de Cellou Dalein Diallo. Au début de décembre 2015, celui qui déclarait six mois plus tôt qu’Alpha Condé « bafouait les lois » annonçait qu’il basculait dans le camp présidentiel. Nommé haut représentant du chef de l’État (un poste créé pour lui) le 2 janvier, Sidya Touré affirme qu’il a avant tout pris cette décision pour se mettre au service de son pays. « Nous n’avions pas de stratégie commune dans l’opposition. Cinq ans ont passé sans que l’on apporte quoi que ce soit. Je souhaitais être dans une logique plus positive et constructive », explique-t-il, soulignant qu’il a fini par trouver un terrain d’entente avec Alpha Condé à la suite de longues discussions qu’ils ont eues après la présidentielle.
Le temps est venu pour le président de dépasser les bagarres partisanes, assure l’un de ses proches collaborateurs
Pour le pensionnaire de Sékoutoureya, c’est un choix qui lui confère au passage une confortable majorité à l’Assemblée nationale, l’UFR disposant du troisième groupe parlementaire avec 10 sièges sur 114, derrière celui du parti présidentiel, le Rassemblement du peuple de Guinée (RPG Arc-en-ciel, 53 députés), et celui de l’UFDG (37). À en croire l’entourage d’Alpha Condé, ce rapprochement s’inscrit dans sa volonté d’apaisement après les tensions politiques qui ont émaillé son premier quinquennat. « Le temps est venu pour le président de dépasser les bagarres partisanes, assure l’un de ses proches collaborateurs. Il souhaite rassembler tous les Guinéens pour faire avancer le pays. Nous n’allons pas fermer la porte à ceux qui veulent nous rejoindre. »
Ce serait dans cette même logique de pacification politique que le chef de l’État a décidé, le 24 décembre 2015, de gracier l’un de ses plus farouches adversaires : Bah Oury, désormais ex-vice-président de l’UFDG. Cet opposant avait fui le pays à la suite de l’enquête menée sur la tentative d’assassinat contre Alpha Condé (le 19 juillet 2011), avant d’être condamné par contumace à la perpétuité pour « atteinte à la sécurité de l’État ». Exilé en France depuis quatre ans, Bah Oury a été autorisé à rentrer à Conakry, où il est arrivé à la fin de janvier.
Des tensions au sein de l’UFDG
Son retour a immédiatement provoqué de vives tensions au sein de l’UFDG, dirigée par son meilleur ennemi, Cellou Dalein Diallo. Accusé de tenir des propos critiques et contraires à la ligne du parti, Bah Oury a été exclu et démis de son titre de vice-président, décision qu’il n’a jamais acceptée. Le 5 février, la rivalité entre ces deux ténors de l’opposition a fini par dégénérer lorsqu’un journaliste a été tué par balle devant le siège du parti. Depuis, les relations sont exécrables entre les deux hommes. Cellou Dalein Diallo accuse Bah Oury d’avoir pactisé avec Alpha Condé en échange de sa grâce pour faire imploser l’UFDG, tandis que l’ex-exilé reproche à son concurrent d’être autoritaire, fermé au dialogue et de refuser toute remise en question de son leadership à la tête du parti.
Qu’il s’agisse d’une manœuvre d’Alpha Condé pour annihiler l’opposition ou d’une bataille d’ego entre deux leaders aux ambitions antagonistes, le résultat est là : l’UFDG est aujourd’hui minée par des dissensions internes. Dans le camp présidentiel, certains boivent du petit-lait. « Nous n’allons quand même pas nous excuser de faire éclater le parti de nos adversaires », ironise un cadre du RPG.
‘’Moussa Dadis Camara est toujours tenu à l’écart du jeu politique national’’
Au sein de cette opposition affaiblie, de nouveaux visages commencent à émerger, comme celui de Faya Millimono, président du Bloc libéral (BL), arrivé quatrième à la dernière présidentielle. De son côté, Moussa Dadis Camara est toujours tenu à l’écart du jeu politique national. Après avoir annoncé qu’il comptait se présenter à la magistrature suprême, l’ancien chef de la junte, qui jouit d’une popularité certaine dans son fief de Guinée forestière, a été empêché de rentrer à Conakry et reste exilé à Ouagadougou, au Burkina Faso.
Face à des rivaux « neutralisés » ou trop occupés à régler leurs comptes, Alpha Condé a désormais le champ quasiment libre. En ce début de second mandat, ses principaux adversaires pourraient d’abord être les syndicats, qui ont lancé à la mi-février la première grève générale (bien suivie) depuis qu’il est arrivé au pouvoir, en décembre 2010.
Jeune Afrique