Après sa réélection dès le premier tour, Alpha Condé s’imaginait sans doute avoir fait le plus dur. Avec cette victoire aux allures de triomphe, il a dû se frotter les mains en se disant que le second mandat aura tout d’une sinécure. Confortablement assis sur son petit nuage, il voyait tout en bas une majorité au parlement, un grand parti à sa dévotion, un gouvernement à sa botte avec un Premier ministre sous les talons, une opposition encore groggy (« un coup, K.O. » est passé par là), des syndicats devenus aphones et des journalistes qui n’en seraient pas …
Le réveil est brutal. Les premières piques sont parties d’une fronde au sein de sa propre formation politique, le RPG arc-en-ciel. Des jeunes ont exprimé avec fracas leur mécontentement contre le choix de certains membres du gouvernement Youla, et lancé un cri de détresse parce que s’estimant abandonnés par un pouvoir qu’ils ont contribué à hisser à la tête du pays.
La sortie du président Condé au siège de sa formation, pour dénoncer cette fronde orchestrée par des responsables du parti à des fins inavouées, crée plus de tensions qu’elle n’en apaise. Il communique mal, comme à son habitude. Résultat : les propos censés ramener le calme sont interprétés par certains comme une insulte aux Malinkés. La communauté dont il se réclame et qui l’a toujours soutenu et finalement porté au pouvoir. Grâce aussi, il est vrai, à des suffrages significatifs glanés dans d’autres communautés sur le littoral et en Guinée forestière.
Mais en fait, les enjeux de la crise sont ailleurs, Au-delà de la frustration ressentie par des jeunes militants sans emploi, ou le sentiment d’abandon chez des « Rpgistes » de la première heure, il apparaît que c’est à une guerre de positionnement que l’on assiste. Dans la perspective de la prochaine présidentielle, certains ont décidé de passer à l’action avec un objectif : tuer le père ! Dans le sens freudien de l’expression, bien entendu.
A plus de quatre ans de la fin de son mandat à la tête du pays, la succession du président Condé est sur toutes les lèvres et hante les esprits. Surtout dans le camp de la mouvance présidentielle où se pose un véritable problème de leadership. Le RPG/AEC porté sur des fonts baptismaux au lendemain de la présidentielle de 2010, n’a toujours pas tenu de congrès pour élire ses instances dirigeantes. Et comme en principe l’actuel chef de l’Etat ne peut briguer un troisième mandat, la crainte de perdre le pouvoir en 2020 est grande au sein du parti, et au-delà dans sa communauté. Comment un parti sans président ni dirigeants élus va-t-il pouvoir gérer la désignation d’un candidat consensuel à la prochaine présidentielle ?
L’occasion faisant le larron, le discours improvisé par le président Alpha Condé, le 28 mai dernier au siège du RPG/AEC, n’aura été qu’un prétexte pour des personnes qui, comme on le dirait de façon triviale, l’attendaient au tournant. D’ailleurs cela paraît paradoxal qu’il éprouve du dédain contre sa communauté, alors que tous les jours ses détracteurs l’accusent de réserver à cette dernière tous les postes clés de l’administration publique.
Sinon Alpha Condé a toujours été le même. De la cour de sa résidence de Mafanco, où des responsables du parti pouvaient faire le pied de grue dans la chambrette de son neveu Sekou Dabo (paix à son âme !), jusqu’au palais Sékhoutouréya, il a toujours eu la propension à tout régenter. Et il n’en est pas à ses premiers propos à l’emporte-pièce. Ce qui est nouveau, c’est que (ô rage, ô désespoir, ô vieillesse ennemie) le poids des années se fait sentir et son autorité en a pris un sacré coup.
Il faut dire que l’ancien opposant historique n’est pas au bout de ses ennuis. En dépit d’un retour réussi au siège de son parti dimanche dernier. Il a toujours comme une épine dans le pied : la question du congrès du RPG/AEC.
S’il retarde sa convocation (puisqu’il ne pourra pas l’empêcher jusqu’en 2020), le cycle des crises continuera de plus belle et la contestation ira crescendo. Si le congrès se tient le plus rapidement possible, sous la pression des frondeurs, il devra soutenir des choix difficiles qui risquent de lui valoir d’autres actes de défiance.
La tactique qui consiste à répandre des informations dans le but de le voir s’aliéner la Haute Guinée, son fief, n’est pas nouvelle. Même si cette fois le contexte et ses piètres talents d’orateur ont failli donner au stratagème quelques chances de prospérer.
Naguère, des frondeurs du RPG originel n’avaient-il pas poussé le bouchon jusqu’à publier un pamphlet au titre aussi évocateur que pernicieux : « Quand Alpha Condé n’était pas encore Malinké » ?
Jusqu’à preuve du contraire …
Top Sylla