C’est sur son compte Facebook que la directrice de l’hôpital national Donka a annoncé son séjour à Rouen, en France, pour un contrôle médicale. Fatou Sikhé Camara se félicite d’avoir bénéficié d’une Aide Médicale de l’Etat Français. VisionGuinee a interrogé Akoye Massa Koivogui, médecin évoluant en France, pour parler de l’affaire Sikhé Camara qui défraie la chronique depuis plus de 24 heures sur la toile. Entretien !
VisionGuinee : La directrice de l’hôpital Donka est en France pour un contrôle médical. Elle a annoncé la nouvelle sur Facebook avant de supprimer la publication. Peut-elle bénéficier d’une aide médicale de ‘État français alors qu’elle ne vit pas là-bas ?
Akoye Massa Koivogui : A priori non. L’Aide Médicale de l’Etat (AME) est destinée à permettre l’accès aux soins des personnes en situation irrégulière au regard de la réglementation française sur le séjour en France. Elle est attribuée sous conditions de résidence et de ressources. Quand on se fie à cette définition, Dr Camara ne remplit pas les conditions de l’AME. En effet, la première condition pour prétendre à l’AME est la résidence en France, de façon stable et ininterrompue, au moins trois mois en situation irrégulière (sans papier).
Evidemment, on peut être fonctionnaire en Guinée et s’absenter pendant plus de trois mois, Docteur Camara remplit très certainement cette première condition de durée de séjour si elle a dépassé d’au moins trois mois, le délai qui lui a été accordé par l’ambassade. Cependant, l’on pourrait se demander si la Directrice du plus grand hôpital de la Guinée accepterait vivre en situation irrégulière en France.
En plus de cette durée de séjour, les ressources du demandeur ne doivent dépasser un plafond annuel d’environ 8653 € pour une personne vivant seule. Docteur Camara qui a occupé plusieurs postes de responsabilité (ministre et autres) en Guinée, notamment celui de directrice de la Santé de la Ville de Conakry sous Lansana Conté, pourrait avoir du mal à justifier cette précarité financière juste pour bénéficier d’une telle faveur sociale.
Vous dites « a priori non » ? Dans quel cas la directrice de Donka peut-elle bénéficier gratuitement des soins en France surtout qu’elle a dit que ce sont ses filles qui ont facilité le dossier ?
Si c’est vrai que ses filles ont fait quelque chose dans ce sens deux hypothèses plausibles : Soit elles ont financé les soins de leur maman sans qu’elle en soit bien informée, ou alors elles ont utilisé illicitement une carte vitale de X. Ce qui pourrait être aussi une fraude. En effet, l’éventualité de déclarer leur mère comme « ayant droit » n’est pas envisageable, selon la nouvelle règlementation.
Etant Médecin, certains disent qu’elle est allée se faire traiter par ses collègues à l’étranger, est-ce vrai comme explication ?
Bien évidemment quand on est de la maison d’Hippocrate, on ne peut être soigné que par un confrère ou collègue. Bien sûr les médecins peuvent se rendre de petits services de consultation gratuite sauf qu’on ne peut parler d’AME dans un tel cas. Le médecin ou le biologiste qui vous reçoit ne vous demandera jamais votre attestation d’ayant droit ou d’AME, il vous rend service directement sans contrepartie et sans compte rendu à X. Dès lors qu’il y a interposition d’une assurance entre le médecin et son patient, importe peu votre fonction ou attribution, vous serez soumis aux règles élémentaires en vigueur.
Qu’est-ce qui explique le fait que les dirigeants (président, ministres, directeurs, etc.) préfèrent se traiter l’étranger et pas en Guinée ?
Une seule explication me semble plausible et simple à comprendre. C’est la logique du « sauve qui peut » imposé par les circonstances sanitaires et sociales. Malgré une belle structuration administrative en vigueur depuis le ministre Kandjoura Dramé, le système de santé guinéen est l’un des plus défaillants au monde ; ce qui n’est d’ailleurs plus à démontrer après le long séjour de l’épidémie de fièvre à virus Ebola. Sa défaillance affecte prioritairement l’offre de soins avec un pouvoir corrosif très proportionnellement à l’évolution des besoins. La population augmente, l’espérance de vie aussi mais l’offre de soins ne suit pas, la main d’œuvre reste encore moins qualifiée, le manque de structure s’aggrave par la détérioration du minimum existent.
Nous sommes au troisième millénaire, l’ère de la médecine basée sur la preuve (Evidence Based Medicine), malheureusement, les pratiques médicale et paramédicale restent encore empiriques en Guinée. A ce jour, sauf erreur de ma part, le CHU de Conakry ne possède encore ni Tomodensitométrie (scanner), ni IRM (Imagerie par Résonnance Magnétique) et autres moyens probants d’exploration bio chimique. Pour poser un diagnostic vraisemblant et une prise en charge efficace, les praticiens les plus soucieux proposent à leurs patients une orientation à Dakar, au Maroc voire en France ou aux USA.
Face à un tel désastre socio-sanitaire, il n’y a pas que les dirigeants qui iront se soigner à l’étranger, ceux qui ont un moyen de le faire n’hésiteront pas un seul instant car la vie en bonne santé n’a pas de prix. Je n’ose me prononcer sur les moyens de X ou Y dirigeant car je n’ai aucune preuve de qui bénéficie de quelle assurance maladie de quel état et dans quelle circonstance.
Que peut faire la France en découvrant que la directrice de l’hôpital Donka bénéficie d’une aide médicale ?
S’il est établi que la directrice de Donka a bénéficié d’une AME en France alors qu’elle n’en a pas le droit, ceci pourrait être réprimé comme une fraude à l’assurance maladie. Les conséquences peuvent être multiples si le délit est juridiquement établi.
D’abord financières: Pour des besoins médico économiques, chaque acte médical ou paramédical, hospitalier ou extra hospitalier, est répertorié et standardisé pour la facturation. Toute personne coupable de fraude rembourse le plus souvent à l’AM, tous les frais payés pour les soins concernés. Sans oublier la pertinence des procédures judiciaires dans certains cas.
Ensuite politico-diplomatique : Docteur Camara a été ministre il me semble bien, bénéficie-t-elle d’un passeport diplomatique ? A-t-elle effectué ce voyage dans un cadre diplomatique ? En outre, sa nouvelle fonction de directeur de la plus grande structure hospitalière de la Guinée pourrait alerter l’Etat français dans la gestion d’un tel dossier.