Conakry a obtenu un accord de principe pour le transfert du mégaprojet d’extraction de fer à Chinalco. Retour sur vingt ans d’embûches qui ont sapé la relation entre la Guinée et le géant anglo-australien.
Le 28 octobre 2016, la Guinée, Rio Tinto et Chinalco ont annoncé avoir trouvé un accord pour transférer la totalité des parts de l’anglo-australien au chinois dans le projet Simandou Sud, l’un des plus grands gisements de fer du continent – le site devrait produire 100 millions de tonnes par an durant une quarantaine d’années.
Le document paraphé scelle le départ définitif du géant Rio Tinto de la Guinée, vingt ans après son arrivée. Un retrait précipité par la crise mondiale dans les matières premières, mais aussi l’épilogue d’une relation compliquée entre Conakry et le géant minier.
Pas de réduction d’impôts pour Rio Tinto
Une fois tournée la page du douloureux épisode de la saisine de deux de ses quatre permis sur la chaîne ferrifère du Simandou par le régime de Lansana Conté fin 2008, Rio Tinto pouvait espérer entamer, fin 2010, une relation plus favorable avec le président fraîchement élu, et opposant historique, Alpha Condé. Surtout à l’époque, alors que le cours du fer flirte encore avec les 177 dollars la tonne – fin 2015, il s’effondre à 40 dollars.
C’est d’ailleurs l’objectif de l’accord transactionnel signé dès le 22 avril 2011 entre Rio Tinto et les autorités de Conakry et dans le cadre duquel le groupe minier accepte de verser 700 millions de dollars (480 millions d’euros) pour confirmer ses droits miniers exclusifs sur les permis Simandou Sud.
Mais le groupe minier déchante vite quand Alan Davies, le PDG de la filiale opérationnelle locale, Rio Tinto Simfer, est obligé, dès le 19 mai 2011, de parapher, au cabinet du notaire Barry Aminata, à Conakry, une disposition additionnelle modifiant l’accord original. Selon celle-ci, « Simfer s’engage à ne pas réclamer de déduction d’impôts pour les 700 millions de dollars ».
Court-circuits
À ce premier malaise avec le palais de Sékoutoureya s’ajoute la création, maladroite, en décembre 2011, de la joint-venture Infrastructures minières de Guinée Holdings (IMG). Détenue à 60 % par la Soguipami (Société guinéenne du patrimoine minier, publique) et à 40 % par l’African Iron Ore Group (AIOG), un groupe d’investisseurs africains, IMG doit construire, posséder et exploiter l’infrastructure liée au projet de Simandou Sud.
Court-circuitant au passage Rio Tinto pour le contrôle stratégique du chemin de fer Transguinéen et du futur port en eau profonde. Comme sous les présidences guinéennes précédentes, Alpha Condé n’a jamais voulu entendre parler d’une évacuation par le Liberia du fer de la Guinée forestière, ce qui aurait peut-être modifié la trajectoire du mégaprojet.
Rio Tinto parviendra à geler l’initiative IMG en négociant, pas à pas, pendant plus de deux ans, un nouveau cadre d’investissement pour Simandou, comprenant la convention minière et la convention BOT (Build, Operate and Transfer) pour les infrastructures, finalisé en mai 2014. Mais, à partir de l’année suivante, le président Alpha Condé réfléchit sérieusement à la mise en place, à Simandou, d’une relation exclusive avec Chinalco, la société chinoise associée à Rio Tinto dans le projet.
Il saisit l’occasion de la visite à Conakry, le 15 septembre 2015, d’une délégation des partenaires du programme pour tenter de mettre en place un partenariat stratégique entre la Guinée et Chinalco. Le chef de l’État fera ses avances aux Chinois à l’occasion d’un déjeuner au palais présidentiel, auquel Rio Tinto et la Société financière internationale n’étaient pas conviés… Ambiance.
Le groupe poussé vers la sortie par le gouvernement
Le sort de Rio Tinto semble finalement scellé dès le mois de novembre 2015, lorsque les parties chinoises signifient clairement au groupe et au gouvernement qu’elles ne pourront mobiliser le financement des infrastructures du Simandou dans leur pays que si les entreprises chinoises sont majoritaires dans le projet. Le 26 novembre 2015, Rio Tinto signe d’ailleurs un accord repoussant le planning de développement de la mine.
Le 4 novembre 2015, le directeur général de Rio Tinto, Sam Walsh, a de surcroît commis un impair, impardonnable aux yeux du président Condé : il a décliné l’invitation du chef de l’État pour la cérémonie d’investiture de son second mandat, prévue le 21 décembre 2015 dans la capitale guinéenne. Ce refus est vécu comme un casus belli au palais présidentiel, qui par la suite n’aura de cesse de faire pleuvoir des critiques sur la compagnie minière.
Dès février 2016, Rio Tinto déprécie de 1,12 milliard de dollars le projet Simandou au titre de son exercice 2015. Et, face à l’excédent de production du minerai de fer sur le marché mondial, Jean-Sébastien Jacques, son nouveau directeur général, annonce en juillet 2016 la mise en veille pure et simple du programme Simandou-Sud. En mai, Rio Tinto venait pourtant de soumettre l’étude de faisabilité tant attendue.
Interrogé par téléphone le 2 novembre sur les raisons du retrait de Rio Tinto de la Guinée, Illtud Harri, l’un des responsables médias du groupe à Londres, a rappelé que, au vu de la conjoncture mondiale particulièrement difficile ces dernières années et de la perte de 866 millions de dollars enregistrée par le groupe en 2015, il était désormais beaucoup plus difficile de sécuriser 10 à 15 milliards de dollars pour financer les infrastructures du Simandou.
Illtud Harri nous a néanmoins confié que la sortie de Rio Tinto de Simandou était « le moyen le plus certain pour permettre au projet d’aller de l’avant ». Sans rancune, donc.
Pourparlers secrets avec les Chinois
Début novembre, le président Alpha Condé a effectué un séjour en Chine d’une dizaine de jours, accompagné d’une trentaine d’opérateurs économiques guinéens et d’une dizaine de membres du gouvernement, dont le ministre des Mines et de la Géologie, Abdoulaye Magassouba, et son fils et conseiller spécial, Mohamed Alpha Condé.
L’un des objectifs était de faciliter les travaux du comité quadripartite (Rio Tinto, Chinalco, Guinée et China Development Bank) chargé de négocier la restructuration du projet d’exploitation du fer de Simandou en faveur de la reprise par Chinalco. Mais, en parallèle, il était aussi question, selon nos sources, de pourparlers autour d’un accord de développement des blocs de bauxite (utilisée pour la fabrication d’aluminium) de Boffa et Santou au bénéfice de Chinalco.
Certains de ces blocs étaient précédemment contrôlés par BHP Billiton, le numéro un mondial des mines, qui a quitté la Guinée il y a plusieurs années. Toujours selon nos informations, c’est seulement une fois que le groupe chinois aura sécurisé une offre ferme sur ces permis de bauxite qu’il s’engagera à assister la Guinée dans toute demande officielle de prêts concessionnels auprès de la Chine en vue du financement d’infrastructures diverses, y compris pour le Simandou.