Cette semaine nous sommes allés rendre visite à Fatoumata Binta Keïta, une élève de la 9ème promotion, fraîchement diplômées en couture. A la sortie de sa formation, en juin dernier, Binta a décidé de retourner vivre et travailler aux côtés de sa famille, à Soumbalako. Ce village est situé à 35 km de Mamou. On y accède par une piste qui se dérobe à la route principale pour s’enfoncer dans une des magnifiques vallées du Fouta Djallon.
Le choix de retourner au village
En arrivant, nous passons d’abord voir Baïlo, un autre ancien élève de la 8ème promotion. Malgré le fait qu’ils aient quasiment le même âge, Baïlo est le neveu de Binta. Drépanocytaire, Baïlo avait été opéré du pied en 2014 grâce au Centre. Aujourd’hui sa santé est bonne, mais il ne travaille plus dans l’atelier de couture qu’il avait rejoint après sa formation. Il envisage de s’associer avec Binta, nous l’encourageons dans ce projet que nous allons évoquer avec elle.
En le quittant, nous sommes invités par les doyens du village à visiter Soumbalako. L’ambiance est calme, de beaux orangers et caféiers diffusent leur ombre entre les cases blanches. Quelques jeunes femmes se tressent, les plus vieilles sommeillent au pied des arbres. Nous finissons notre visite avec la dégustation d’une orange juteuse en discutant avec des messieurs qui connaissent bien Guinée Solidarité, Baïlo et Binta : « c’est ma petite sœur ».
Nous rejoignons l’autre côté du plateau sur lequel est niché le village. Au loin, nous reconnaissons Binta. Elle arrive vers nous un grand sourire accroché au visage. Sa démarche est saccadée à cause de sa hanche dont l’articulation est bloquée. Sa jambe droite ne fonctionne pas bien non plus. Mais Binta, à son rythme, est toujours aussi dynamique et motivée que pendant sa formation.
Après les retrouvailles, elle nous entraine en direction d’une petite concession composée d’une maison en briques traditionnelles et de quatre grandes cases. C’est là qu’elle vit avec sa famille qui nous accueille avec beaucoup de joie et de simplicité. Sa machine à coudre est installée sur la terrasse, elle nous montre ses dernières commandes en cours. La qualité des modèles nous impressionne, on va pouvoir parler travail.
Une activité rentable
Nous demandons à Binta de nous trouver un endroit calme afin de lui faire passer le questionnaire mis en place pour les élèves diplômés. Elle nous emmène à l’ombre d’un énorme manguier, l’entretien se fera en pulaar pour ne laisser passer aucune information.
L’impression que nous avons eu en arrivant est confirmée, Binta nous explique que sa famille continue de prendre soin d’elle. Mais la grande différence c’est qu’elle participe maintenant aux frais collectifs. Selon ses moyens, cela dépend des commandes. En période de fêtes (Carême, Tabaski…) ou de cérémonies (mariages, baptêmes…), elle peut recevoir jusqu’à 10 clients par jour. Les tenues qu’elle confectionne sur mesures lui permettent de dégager un bénéfice de 20 000 GNF (2€) par unité. Lors des moments plus calmes, elle travaille avec au moins 3 clients par semaine. Cela lui laisse le temps de cultiver quelques tomates dans le potager familial.
Binta est la seule couturière en activité dans ce grand village qui compte près de 1 000 habitants. Comme tout artisan, elle souhaite encore se perfectionner pour proposer de nouveaux produits à sa clientèle. Pourquoi pas un stage en broderie à Mamou et une présence au marché hebdomadaire. Pour cela, il lui faut une machine supplémentaire pour compléter celle qu’elle a acquise en fin de formation grâce au Centre Konkouré. L’association lui a aussi fourni une table, un fer à repasser et les outils de base d’une couturière. Nous lui assurons qu’elle pourra compter sur notre appui pour réaliser ses projets. Elle est aussi d’accord pour travailler avec son neveu Baïlo, elle sait qu’il a plus de difficultés qu’elle en couture, mais pourra l’encadrer et le former davantage.
Mieux ancrée dans la vie sociale
Le bilan sur son activité génératrice de revenus est donc positif. Nous souhaitons maintenant savoir si sa formation de deux ans au Centre Konkouré – Guinée Solidarité, lui a apporté le plus importants : la confiance en elle et l’acceptation de ses capacités par son entourage. Sur ce point encore, le sourire de Binta nous rassure d’emblée :
« J’ai appris à mieux vivre en société, ça me sert beaucoup avec ma famille, surtout lorsqu’il y a des conflits. Cela me sert aussi pour dialoguer avec les clients. Une fois j’ai eu un problème avec une dame, on s’était mal compris sur la commande et sur le prix. Mais en discutant, tout s’est arrangé. »
Ce qui apparait comme le plus profitable à Binta dans son apprentissage d’un savoir-être collectif au sein du Centre, c’est qu’elle est maintenant actrice de la vie communautaire de Soumbalako :
« Avant j’avais honte de participer aux cérémonies, je restais derrière. Maintenant, je fais partie des comités d’organisation ! ».
Cela nous conforte dans l’idée que les activités pédagogiques et culturelles proposées au Centre (théâtre, sport, journal, exposés thématiques) sont utiles. Certains élèves sont dénigrés par leurs propres familles du fait de leur handicap. Considérés comme « bons à rien », ils ne développent pas ou peu leurs facultés de créativité et de communication.
Si la famille de Binta ne l’a jamais rejetée elle avoue qu’à l’époque, son choix de partir faire la formation n’avait pas fait l’unanimité :
« Quand j’ai dit que je voulais aller me former au Centre Konkouré, une de mes tantes s’est moquée de moi. Elle a dit que je ne pourrais jamais travailler comme tout le monde. Quand je suis rentrée après deux ans, elle a été étonnée de me voir revenir avec une machine à coudre. Je lui ai montré que je n’avais pas la tête vide. »
Des propositions pour le Centre
Comme à chaque fois avec les élèves diplômés, nous terminons l’entretien en demandant à Binta ce qu’elle souhaiterait mettre en place pour améliorer la formation. Elle nous propose de mettre en vente au Centre des productions d’anciens élèves. Nous le faisons déjà avec celles du « Groupement Expérience Konkouré » de Mamou, mais pourquoi ne pas étendre cela aux jeunes qui se sont lancés en auto-entrepreneurs.
Binta propose aussi de venir rendre visite aux nouveaux élèves pour raconter son histoire et les encourager. Nous sommes parfaitement d’accord avec elle, son sourire sera le meilleur moyen de motiver les 32 étudiants actuels.