Karidjata Diallo est la seule fille parmi sept frères. Elle vit en Côte d’ivoire. Ses parents, Peuhls très traditionalistes, ne voyaient pas vraiment l’intérêt de la mettre à l’école.
Pour elle, ce fut une résolution. À partir du CM2, elle a passé ses vacances à travailler dans des familles ou des petits commerces pour acheter ses manuels et fournitures scolaires. La connaissance, elle le savait, serait sa liberté. Son esprit s’est formé, dit-elle, dans la confrontation. Pour obtenir ce qu’elle voulait, elle a toujours dû batailler. Ainsi a-t-elle appris « à oser et à s’accrocher ». Elle a construit son avenir victoire après victoire et elle a entraîné ses petits frères dans son sillon.
À la fin de ses études, Karidjata passe huit ans dans une multinationale, comme ingénieure commerciale chargée des grands comptes.
Au cours d’une mission, elle repère des failles dans le système, des « ratés ». Elle préconise des solutions. Mais personne ne l’écoute vraiment. Rien ne change. C’est frustrant. « Je n’aime pas le mot frustration, je préfère dire motivation. » Et en effet, c’est là, dans la constatation que rien ne veut bouger, qu’elle décide de partir.
Sur sa route, elle affronte « de grands moments de solitude ». Juste avant de lancer sa première entreprise, elle perd son futur partenaire. Il a déclaré forfait « parce que c’était trop risqué. Ici, avoir un bon emploi, c’est déjà une chance en soi. Le lâcher pour un rêve, c’est pratiquement de la folie. Pire quand on a charge de famille. On se dit que si on échoue, on emporte tout le monde avec soi. »
Mais elle, ses considérations ne l’ont pas arrêtée. Elle a déjà un enfant lorsqu’elle fait le grand saut : de salariée à chef d’entreprise. Pendant les douze premiers mois de son activité, elle est dévalisée sept fois. « Sept fois en une année ! C’est le sort qui s’acharne sur toi. Il faut dire qu’à l’époque la Côte d’Ivoire sortait d’une période de guerre. Les gens se promenaient dans la rue, armés de Kalachnikov. » La peur ne suffit pas à la décourager. Elle s’adapte, change de clientèle. L’essentiel est de tenir bon. Elle sait qu’elle doit continuer pour ses frères, ses enfants, et pour toutes les fillettes victimes des stéréotypes qu’elle veut encourager à aller de l’avant.
Elle n’a jamais lâché. Et finalement, la chance a bien voulu lui sourire.
Aujourd’hui, elle emploie quinze collaborateurs, répartis sur deux entreprises, la première de télécom et la seconde d’événementiel www.pw.ci. L’année passée, aux Journées de la diaspora africaine à Bordeaux, elle rencontre Éric Bazin et son LAB. Cet incubateur d’entreprise, unique en son genre en Afrique, lui permet « d’accéder à la bonne information, à un réseau mondial et aussi de contribuer à l’émergence de talents ». Sa plus grande ambition est désormais d’aider, soutenir, inspirer les femmes de son pays. Aussi a-t-elle fondé l’association Actives qui a pour vocation de les encourager à l’entrepreneuriat. Un combat qui lui tient à cœur dans cette Côte d’Ivoire où encore tant de femmes sont violentées, excisées, forcées au mariage, où celles qui essaient de sortir de la norme sont vite remises sur les rails.
Et quand on lui demande si elle a un message, à qui elle voudrait l’adresser : « Aux femmes et petites filles d’Afrique, du monde entier : n’arrêtez jamais de rêver ».
Karidjata Dalio, Éric Bazin l’a découverte, il y a un an à Bordeaux, où elle pitchait son business model. Immédiatement séduit par son « énergie incroyable », il l’a alors invitée à la Global Conference de Chantilly. Elle y a encore ébloui les participants par sa force. Elle représente un modèle pour le LAB, explique Éric Bazin qui nous a confié qu’il serait bientôt proposé à la jeune femme de participer au Jury des African Rethink Award.
De plus, elle est l’heureuse patronne d’Edit Africa International. Cette petite entreprise de quinze employés, dont le chiffre d’affaires a atteint de 700 millions de F CFA en 2014 (1,07 million d’euros).
idja