Les accidents de la circulation successifs enregistrés sur les routes guinéennes ces derniers jours m’ont profondément choqué tant par leur bilan que par les circonstances dans lesquelles ils se sont produits. Qu’est ce qui s’est passé ? Et que faut-il en retenir ?
Tout commence le samedi 06 mai 2017, quand un Camion rempli de sable entre en collision frontale avec un minibus bondé de monde dans la zone de Yorokoguiya, préfecture de Dubréka. Le bilan sur place fait état de 18 tués et une quarantaine de blessés grièvement. Deux jours plus tard, ce bilan sera officiellement porté à 26 morts, alors que des sources indépendantes avancent 34 tués. Qui dit vrai ? Allez chercher à savoir…
Les premiers constats de la police routière indiquent que le mini car de 18 places assises transportait 51 personnes – d’aucuns parlent de 55 ou même 56. Bref, le surnombre[1] de passagers est avéré. Il ne serait donc pas exagéré de dire que le conducteur lui-même ne devait probablement pas connaître le nombre exact de ses passagers. Je dis « conducteur » et non « chauffeur », puisque d’après les services de police, le chauffeur titulaire du mini car avait laissé le volant à son assistant, communément appelé chez nous « apprenti ». C’est donc vraisemblablement quelqu’un qui n’a suivi aucune formation au code de la route et qui ne devait sans doute, être détenteur d’un permis de conduire qui avait entre ses mains la vie de plus 50 de nos concitoyens…A qui la faute ?
Outre cette infraction liée au surnombre de passagers, il a été établi que les deux véhicules roulaient à vive allure, « à tombeau ouvert », diraient d’autres. Je ne préfère pas employer le terme « excès de vitesse » dans ce cas précis, car cela suppose qu’il y ait logiquement un dépassement de la limite de la vitesse fixée. Or à cet endroit de l’accident, pour ne pas dire sur la totalité de cette route [RN 3 Conakry – Boké] il n’y a aucune signalisation ni verticale ni horizontale. En fait cette « route ne parle pas » aux conducteurs, elle est tout simplement muette.
Suite à cette hécatombe dont le pays se serait bien passé actuellement, j’ai entendu des mots d’émotion, beaucoup de discours de compassion, mais pas suffisamment d’indignation – Car pour moi, l’indignation appelle à des actions urgentes et immédiates. Sous d’autres cieux ou dans un autre contexte, on aurait assisté dès le lendemain de l’accident de Yorokoguiya à une véritable répression policière contre, ne serait-ce que, le surnombre pour le transport de personnes, la surcharge pour le transport de marchandises et le transport mixte, des infractions largement répandues dans notre pays, pourtant interdites par voie règlementaire. Hélas, les mêmes pratiques continuent au vu et su de tout le monde.
Les mêmes causes produisant les mêmes effets, ce qui devait arriver arriva. Car, d’autres accidents mortels ont immédiatement suivi. Le mardi 09 mai, sur la même route nationale No. 3, dans la même zone de Dubréka, précisément à Kagbélen, un camion percute une voiture, tuant 3 jeunes élèves en prévenance de l’école. La réaction de leurs camarades ne s’est pas fait attendre : ils ont incendié le camion, érigé des barricades sur la route entrainant une interruption de la circulation pendant un bon moment. Auparavant, c’est-à-dire le lundi 08 mai, 3 autres personnes ont également trouvé la mort dans un autre accident de la circulation à la Cimenterie. En 4 jours donc, le pays a enterré une quarantaine de ses citoyens, tués par l’inconscience et l’irresponsabilité d’autres citoyens et soigne presqu’autant dans les hôpitaux, sans que des mesures urgentes ne soient prises contre ces délinquants de la route. Car, pour l’essentiel, les causes de ces accidents sont imputables à l’homme. Autant de perte du précieux capital humain qui devait contribuer au développement de notre chère Guinée. Et derrière chacune des victimes de la route, existent des gens qui seront affectés toute leur vie durant, parce qu’ils dépendaient de la personne tuées. Ces gens qui n’apparaissent pas dans nos bilans macabres, sont pourtant des vraies victimes collatérales de la route.
Tout ceci m’amène donc à affirmer haut et fort qu’en dépit d’être une problématique de santé publique et de développement, les accidents de la circulation sont entrain de devenir « une réelle menace à la paix sociale » en République de Guinée. Outre la tension à Dubréka consécutive à la mort tragique des élèves, j’en veux pour exemple les émeutes de Boké en fin avril. A propos de ces violences, ce qu’on a moins entendu, c’est cet accident de la circulation qui a été l’élément déclencheur. Tout porte à croire que la mort de l’imam de Nema (un quartier périphérique de Boké) renversé à moto par un véhicule de la Société Minière de Boké (SMB) a été la goutte d’eau qui a fait déborder le vase de l’exaspération des citoyens riverains des mines de Boké.
Au regard de ce qui précède, les autorités actuelles de la sécurité routière ne seraient-elles pas dépassées par l’ampleur de l’insécurité routière en Guinée ? La question vaut son pesant d’or. Pour ma part, j’estime que le 1er mal dont souffre la sécurité routière est un problème de déficit de gouvernance, puisqu’il s’agit d’un domaine transversal et multi acteurs. En réalité qui est le principal responsable de la sécurité routière en Guinée ? Contrairement à ce que croit l’opinion publique, le ministère de la sécurité et de la protection civile à travers la Direction Centrale de la Sécurité Routière (DCSR) – [la police routière pour parler plus simplement] n’est pas le principal responsable de la sécurité routière en Guinée. Le rôle de la police routière se situe à trois niveaux (i) veiller à l’application correcte de la règlementation en matière de sécurité routière ; (ii) assurer la fluidité de la circulation routière ; et (iii) assurer la sécurité des personnes et leurs biens sur la route. La gendarmerie routière assure à son tour, les mêmes missions en rase campagne. En clair, la police routière est le garant de l’application correcte des lois et règlements en matière de sécurité routière et non le coordinateur de l’intervention de l’ensemble des acteurs impliqués. Cette mission incombe au Ministère des Transports, puisque la sécurité routière est avant tout une question de transport terrestre…J’y reviendrai prochainement !
Je conclue en illustrant le titre de la tribune comme suit : (i) Dans notre pays, que plus de 50 personnes remplissent un mini car jusqu’à monter sur le toit, sous le regard complice des parents, voisins et badauds ; que ce véhicule traverse plusieurs villes en plein jour sans que l’opinion publique ne s’indigne d’une ou autre manière, cela va au-delà d’une « inconscience individuelle », c’est de l’ « inconscience collective » et même « sociétale » et (ii) qu’un tel véhicule circule de Forécariah à Dubréka, soit plus de 100 km en passant par la porte de Conakry où il y aurait au moins deux postes de contrôle, cela s’appelle de l’ « irresponsabilité » totale des services de l’Etat, notamment ceux qui sont chargés des contrôles et sanctions routiers.
Mamoudou KEITA