En Afrique, lorsque la malédiction divine s’abat sur un village, il est de coutume que les sages organisent des sacrifices, versent du sang, récitent des prières et changent le nom de leur patrie. En le faisant, Dieu pourrait être clément envers eux dans l’avenir.
Sans être fétichiste, cette métaphore pourrait correspondre au destin de la Guinée de 2017, qui rappelle également la fin tragique d’un monde incarné par le suicide d’Okonkwo, le héros dans « Le monde s’effondre », nom du tout premier roman-culte de l’écrivain nigérian, Chinua Achebe, un des pères de la littérature africaine moderne.
Puisque, à l’allure où va la Guinée d’aujourd’hui, on peut paraphraser le roman de Chinua Achebe, traduit en cinquante langues et vendu à plus de dix millions d’exemplaires, en disant sans risque de nous tromper, que la Guinée s’effondre aussi.
Oui, la « Guinée s’effondre » puisque les valeurs défendues autrefois par « nos héros », sont foulées au sol de nos jours. Hier, nos premiers résistants, Almamy Samory Touré, Alpha Yaya Diallo, Dinah Salifou et Zebéla Togba Pivi, pour ne citer que ceux-là, se sont sacrifiés pour leur patrie. Aujourd’hui, le Guinéen s’en fout de la terre de ses ancêtres et du combat de ses dévanciers.
Oui, la « Guinée s’effondre » puisque l’élite a démissionné pour laisser la place aux médiocres, aux menteurs, aux opportunites et aux démagogues. Pour preuve, hier, Sékou Touré et tous ses compagnons se sont levés comme un seul homme pour dire « non au référendum ». A cause de leur perspicacité, toute l’Afrique nous admire. Mais aujourd’hui, les politiques ont divisé la Guinée en morceaux, en ethnies, en communautés. Si l’on n’y prend pas garde, les douze millions de Guinéens risqueraient de se partager les 245 857 Km2 de leur terre, chercher le visa et prendre le large.
Oui, la « Guinée s’effondre » puisque les acteurs de premier plan qui ont fait plier Conté et Dadis Camara, se livrent aujourd’hui à un jeu de massacre comme s’ils ne se sont jamais connus. De sorte que le Guinéen est devenu un loup pour son prochain. Les amis d’hier sont devenus les ennemis d’aujourd’hui. C’est à peine s’ils s’appellent.
Oui enfin, la « Guinée s’effondre » puisque le Guinéen se préfère au lieu de sa patrie. Pour preuve, nos juniors et nos cadets ont arraché la médaille de bronze, les uns à Lusaka et les autres à Libreville comme les cadets à Niamey en 2015. A leur retour, ils ont été royalement ignorés dans un pays de tradition de football. Pourtant, le gouvernement et l’opposition d’hier avaient cotisé pour le Syli en route pour la CAN 2012 au Gabon.
Malheureusement, si l’opposition guinéenne était la plus redoutable du continent entre la présidentielle de 2010 et les législatives de 2013, cette unité a volé en éclat à la veille du scrutin présidentiel d’octobre 2015 à cause des querelles d’égo.
Ce qui est inquiétant, c’est que les « petits lieutenants » censés remplacer les ténors actuels, qui ont montré leurs limites, sont pires que leurs mentors. Ils excellent plutôt dans la politique-spectacle et les débats de caniveau pour la plupart. Ce sont eux, qui ont pris le pays en otage et l’ont mis sous tension. Quand il y a un débat sérieux, incapable de voir au-delà de leur nez, ils polluent la cité. Conséquence, le débat d’idées, si courtois, intelligent et subtil, a cédé la place au débat personnalisé, par médias interposés.
Dans le débat public, le Guinéen ne s’indigne plus, ne s’émeut plus. Par exemple, à Lambanyi, un pauvre conducteur de motos a été égorgé, en plein mois saint de Ramadan, par des voleurs. Les politiques ne se sont pas indignés, la société civile non plus. En 72 heures, deux accidents de circulation ont coûté la vie à quarante Guinéens. L’assemblée nationale est incapable de demander des comptes. Les banquiers ont déclenché six jours de grève, à la veille du début de mois Saint de Ramadan, ni l’opposition républicaine ni opposition plurielle, personne n’a levé petit doigt. Le débat, qui compte pour l’heure, c’est le budget alloué au chef de l’opposition.
Si au moins, les politiques optaient pour le silence coupable seulement, ce serait mieux mais même quand c’est bien fait aussi, personne n’a le courage d’apprécier l’acte à sa juste valeur. La preuve, quand Alpha Condé obtient le programme du PPTE (pays pauvres très endettés), inaugure le barrage Kaléta, conclut un programme formel avec le FMI (fonds monétaire international), réussit le départ en douceur de Yaya Jammeh et est désigné président de l’Union africaine, l’opposition trouve souvent son « oui mais ».
C’est comme l’opposition aussi, qui réussit une marche grandiose en septembre 2016 ou qui privilégie le dialogue au détriment des marches, les partisans du pouvoir n’ont pas l’élégance de féliciter leur adversaire. Des deux côtés, chacun pense détenir le monopole de la vérité.
A cette allure, le pays est loin de sortir du bout du tunnel. Question donc : la Guinée serait-elle devenue un pays hanté par la malédiction ?
Bien malin qui pourra y répondre.