«Quand des pays ont encore aujourd’hui 7 à 8 enfants par femme, vous pouvez décider d’y dépenser des milliards d’euros, vous ne stabiliserez rien». Cette phrase prononcée par Emmanuel Macron en marge du G20 a eu l’effet d’une bombe sur le continent. La virulence des réactions sur la toile africaine renseigne sur l’impact profond de ce qui a été quasi-unanimement considéré comme un outrage de la part du nouveau président français dont l’élection avait pourtant été accueillie comme une opportunité de rompre avec le logiciel obsolète de la «Françafrique» et de relancer les relations entre la France et le continent noir sur de nouvelles bases affranchies des boulets du passé.
Réplique anticipée
Les réactions, même les plus caricaturales appelant les Africains à redoubler de ferveur démographique, se sont donc multipliées sur la toile devant un silence assourdissant des élites politiques et intellectuelles du continent. Et là où un débat d’idées s’imposait, seule l’émotion a eu droit de cité… Seule la réponse anticipée d’une semaine, prémonitoire ou fortuite, du président guinéen et président en exerce de l’Union africaine a semblé braver le silence collectif des responsables africains et amener des arguments dans cette joute qui ne dit pas son nom.
«Quand vous parlez de démographie galopante, c’est du Malthusianisme, c’est contre l’Afrique. Aujourd’hui, les autres continents nous envient notre démographie, parce que ce sont des peuples vieillissants. Notre jeunesse est notre avantage. Donc, nous devons nous approprier notre propre langage en fonction de ce que nous voulons pour l’Afrique», arguait Alpha Condé quelques jours seulement en amont du G20.
La vérité des chiffres
Malthusianisme. Le mot est lâché et nous ramène deux siècles en arrière. Toutefois, au-delà du débat académique sur le bien-fondé de l’œuvre de Thomas Malthus, il convient de s’assurer de la véracité des chiffres avancés par le président français. La réponse est oui, mais pour un seul pays : le Niger avec 7,2 enfants par femme. Le nuancier africain en matière démographique va de cet extrême nigérien, généralisé par le propos du président français, à l’autre extrême représenté par l’île Maurice avec 1,4 enfant par femme et qui se situe en dessous même de la fécondité européenne. La moyenne africaine est de 4,2 enfants par femme, selon les chiffres annoncés mardi dernier à Londres, lors de la conférence internationale sur le contrôle des naissances, «Family Planning 2020».
Les chiffres établis, il faut revenir sur la tendance. La croissance démographique africaine reste la plus forte au monde, et au-delà des jugements de valeur et des fantasmes que cette donne peut susciter, il convient d’en appréhender les enjeux sans caricature. Mieux, il faut que les effets négatifs, autant que positifs -et ils existent- soient appréhendés et discutés par des experts. Que les conclusions de ces débats soient soumises aux dirigeants africains pour qu’en pleine souveraineté et surtout lucidité, ils statuent sur la question et, le cas échéant, mettent en œuvre les politiques qu’ils jugent appropriées en la matière. Aussi, qu’un chef d’Etat français leur grille la politesse qui plus est de manière caricaturale ne pouvait que jeter de l’huile sur le feu, encore vivace, de l’aliénation africaine envers l’ancienne puissance colonisatrice.
Sortir de l’aliénation
Toutefois, s’il y a des reproches au moins sur la forme à adresser au président français, il y a certainement des griefs à formuler à destination des chefs d’Etat africains et même à l’élite africaine dans son ensemble. Car, c’est d’abord l’absence quasi-totale de leurs arguments, de préférence communs, dans les débats actuels sur les enjeux fondamentaux du devenir africain qui laisse le vide dans lequel tout un chacun peut s’engouffrer. Pire, la France, ainsi que toutes les autres puissances ne peuvent sortir de l’ornière des relations archaïques avec le continent que si les Africains eux-mêmes rompent avec leur aliénation.
S’il y a un point sur lequel Emmanuel Macron a bien raison, c’est que l’Afrique a moins besoin des sempiternelles aides humanitaires économiques que de prendre son destin en main. Car seuls les Africains pourront jeter les bases d’un développement durable et inclusif de leur continent, qui fait de sa vitalité démographique un atout à faire valoir et non une matière à caricature. Certains commencent à montrer la voie, aux autres de suivre… C’est à ce prix que la France, tout comme les autres partenaires internationaux, publics et privés, pourra accompagner efficacement le développement du continent sans postures et pour un bénéfice partagé. Somme toute, le défi africain n’est pas civilisationnel. La civilisation africaine n’a pas besoin de preuves pour étayer sa richesse. Il s’agît bel et bien d’un défi politique et intellectuel qui met les élites africaines devant leurs responsabilités.