Dans cet entretien, le ministre Conseiller à la Présidence de la République, Tibou Kamara, évoque des questions liées à l’actualité sociopolitique de la Guinée. Pêle-mêle, il parle de l’affaire du 28 septembre 2009, le troisième mandat et la crise à la Ceni.
Parlant de justice, on a suivi comme tous les guinéens, vous avez fait une demande personnelle au Chef de l’Etat pour pouvoir témoigner dans le dossier du 28 septembre 2009. D’ailleurs, c’est devenu une question sempiternelle en Guinée. Pourquoi ?
D’abord je ne vais pas donner le sentiment de bénéficier ou de vouloir bénéficier de quelques protections que ce soit ou donner des sentiments d’avoir peur de la justice. Je l’ai dit dans ma tribune, je ne connais aucun innocent que n’importe quelle justice au monde ferait trembler. Donc pour mettre fin à la suspicion ou aux sentiments d’impunité ou de supériorité de certains d’entres nous, il est tout à fait normal lorsqu’il s’agit d’une affaire aussi importante que celle du 28 Septembre pour la quelle les Guinéens attendent à la fois la vérité et la justice.
Je voudrais juste vous dire qu’en ce qui me concerne personnellement tout le monde a suivi les combats qu’on a menés ici avec les autres pour qu’il y ait la liberté et la démocratie dans ce pays et je pense que ce sont des acquis importants qui nous appartiennent à chacun d’approfondir. Moi je ne me sens pas protégé par une fonction et d’ailleurs je n’ai aucune obsession d’un poste Ce qui m’est le plus cher, c’est mon honneur et ma liberté. C’est pourquoi je le précise n’ayant pas reçu de convocation ou d’invitation d’aller témoigner et jusqu’au moment où je parle, c’est une précision qui est extrêmement importante pour ne pas entretenir la confusion et la suspicion dans l’opinion. Jusqu’au moment où je parle.
Moi Tibou Camara, citoyen de ce pays je n’ai pas reçu d’invitation à me présenter devant la justice pour témoigner dans l’affaire du 28 Septembre 2009 mais comme je l’ai appris par la presse et puis, quand même je suis un homme assez organisé qui sait plus ou moins ce qui se passe dans le pays. J’ai entendu dire que cela était une éventualité donc j’ai demandé au Chef d’Etat lorsque cela arriverait de bien vouloir m’autoriser à aller témoigner parce que vous savez, on est dans un pays où lorsque l’information n’est pas connue du grand nombre, on a tendance à manipuler l’opinion publique.
Je n’ai rien à me reprocher et en tant que citoyen je crois profondément aux institutions de notre pays et respecte l’Etat de droit donc j’estime que si on a besoin de moi aussi bien dans cette affaire ou dans d’autres, il est de mon devoir de répondre. C’est pourquoi j’ai voulu lever l’ambigüité.
Jusqu’à présent vous n’avez reçu aucune notification ?
Mais bien sûr que non ! Je pense que je ne suis pas quelqu’un d’anonyme, et je crois avoir une adresse parce que je suis un citoyen de ce pays pour qu’on puisse m’adresser une invitation si on a besoin de moi
Vous avez été conseiller à la présidence au moment de la transition. Vous avez côtoyé, Sékouba Konanaté, Dadis Camara qui tous deux sont cités dans ce dossier. Sékouba Konaté qui a déclaré ne pas vouloir entrer en Guinée pour répondre à la justice et qu’il répondrait devant la CPI. Comment est-ce que vous comprenez cette façon d’agir de Sékouba Konaté ?
Moi je pense que vous pouvez poser la question au général Konaté. Je pense qu’il est mieux placé pour répondre à cette question mais ce que je pourrai dire à titre personnel, c’est que, chacun d’entre nous doit tout faire pour que tous les citoyens aient confiance à nos institutions et pour cela il faut que ceux-là qui sont chargés se montrent exemplaires et responsables dans l’accomplissement de leurs tâches. C’est un combat que nous devons mener pour que nos institutions soient respectables et ceux qui les représentent soient également respectés mais cela dépend beaucoup plus de comportement de chacun que de la volonté de tous. C’est pourquoi moi je dis tout simplement qu’en ce qui me concerne je n’ai pas le sentiment qu’aujourd’hui qu’il y ait une confiance totale des citoyens en nos institutions, vous-même vous venez de relever dans le débat que nous avons eu. C’est une faiblesse de la démocratie et c’est peut être aussi un travail à faire notamment par le ministère de la citoyenneté pour qu’il y ait une plus grande adhésion à nos institutions et une plus grande confiance aux chefs de nos institutions et surtout dans une institution aussi importante que la justice, l’exemple doit venir d’en haut.
Pourquoi ?
Moi personnellement je n’ai pas attendu d’être invité, j’ai demandé au président de la république d’une manière générale si on veut m’entendre dans cette affaire ou dans toute autre affaire de me donner l’autorisation de me présenter devant la justice parce qu’il faut éviter comme certains voulaient l’accréditer qu’il y ait une volonté de ma part de défier l’institution judiciaire ou ne pas répondre à la convocation parce que je voudrais me dérober à la justice. On a mis fin à la polémique, cette suspicion en disant clair que je reste disponible et disposé pour aller répondre à une éventuelle invitation de la justice mais il faut que cette invitation me parvienne.
Nous demandons votre lecture, la manière dont la procédure est en train d’être conduite par la justice guinéenne est-ce que vous avez espoir parce qu’il y a une institution pas la moindre l’Institution nationale indépendante des droits de l’homme (INIDH) qui doute et qui demandait à un moment donné à ce que les dossiers soient transférés vers les juridictions supra nationales. Le ministre promet que d’ici la fin de l’année, le procès aura lieu. Est-ce que vous avez la foi que les choses vont se passer normalement ?
Moi je pense que d’abord, ce n’est pas un dossier de ministre de la Justice, c’est un dossier de la justice guinéenne. Ça veut dire qu’au-delà des hommes cette instruction se poursuivra parce que les Guinéens ont droit à la vérité et à la justice. C’est pourquoi moi je n’entrerais jamais dans des querelles de personnes lorsqu’il s’agit des institutions et des esprits des lois. La question que vous posez, nous ramène une fois de plus à la confiance et à l’adhésion des citoyens à nos constitutions et cela dépend en grande partie du fonctionnement de ces institutions, de l’indépendance dont fera preuve de celui qui sera chargé d’animer l’institution judiciaire ou de ceux qui seront chargés de l’animer. C’est pourquoi lorsqu’on est investi d’une mission aussi sacrée que de rendre justice, on n’a pas droit à un état d’âme personnel et on doit toujours militer pour la vérité et pour la justice. C’est ce que les citoyens attendent c’est ce que chacun d’entre nous attend et l’ensemble de nos institutions d’ailleurs.
Touchons un autre aspect de l’actualité nationale. Il y a cette question de troisième mandat. Comment voyez-vous le flou entretenu par la présidence?
C’est dommage que Gilbert ne soit plus à ce monde. Vous savez, c’est le spécialiste des romans imaginaires. Je pense que s’il avait été là, il aurait parlé, peut-être, d’un débat imaginaire sur un troisième mandat imaginaire encore. Moi, je pense que chaque chose a son temps. Je ne ferai pas de débat virtuel sur une question virtuelle parce que ce que les gens ne savent peut-être pas. C’est que cette question de troisième mandat ne sera pas une question spontanée dans la mesure où il faudrait au moins que deux éléments soient réunis, que le président en manifeste l’intention et ensuite qu’on entreprenne une réforme qui va ouvrir la voie à ce troisième mandat. Donc chacun a le temps d’attendre avant de commencer un débat surtout que les priorités et les défis se bousculent pour notre pays.
On pensait que c’est aussi virtuel parce que quand vous dites que c’est virtuel, vous nous ramenez à quelque chose de très banal. Pourtant la RFI qui a réalisé une émission sur ce troisième mandant comme par hasard a été coupé juste au moment où l’émission devait passer. Takana Zion et Elie Kamano ont été brièvement inquiétés. Finalement, est-ce que c’est une question qui gêne Sékoutoréya ?
Moi, je pense que ça c’est un point de vue personnel qu’aucun sujet n’est tabou en démocratie. C’est pourquoi d’ailleurs, on parle d’un sujet qui n’a pas encore été ouvertement évoqué ni par celui qui est concerné ni au niveau de nos institutions pour ouvrir la voie à cette éventuelle troisième mandat. Moi je pense, vous l’avez dit ça concerne la classe politique en général et notre opinion. On aime souvent se laisser distraire par les faux problèmes qui nous éloignent des vraies préoccupations du pays. Je pense que la constitution de notre pays dit que le Chef de l’Etat est élu au suffrage universel pour un mandat de cinq ans renouvelable une fois.
Je pense qu’au stade actuel de notre constitution, c’est cela qui est dit mais en même temps dans la société, il est évident aussi bien sur le troisième mandat mais vous ne l’évoquez pas entièrement. Cette question de troisième mandat parce que le troisième mandat en réalité pose deux problèmes: le problème de la succession du Pr Alpha Condé et le problème de l’alternance démocratique dans notre pays. Voilà par exemple, deux questions essentielles qui ont tendance à être orientées ailleurs par cet épiphénomène du troisième mandat parce que derrière cette bataille, c’est la question de succession du Pr Alpha Condé et celle de l’alternance démocratique.
Dites-nous, M. le ministre avec le cas de la CENI parce que c’est un autre pan des questions en vue. Ce que vous en pensez de cette crise qui ne facilite pas la tenue rapide des élections ?
Vous savez, je n’ai pas pour l’habitude la langue du bois. Vous savez le problème de la Guinée, ce ne sont pas les lois, ce ne sont pas les institutions mais c’est la qualité et la moralité des hommes chargés d’animer et de diriger nos institutions. Rappelez-vous qu’en 2010, la CENI nous avait posé le même problème. C’est pourquoi, il y avait eu 4 mois entre le premier et le second tour de l’élection présidentielle. C’est pourquoi, je dis qu’il faut tirer les leçons. La CENI a avancé déjà à cette époque plus d’une fois la date des élections, on n’a jamais été au rendez-vous.
Mais à l’époque, Alpha Condé était à l’origine du retard des élections parce qu’il y avait tout de même des conditions qui étaient définies en 20 points
C’est le devoir et le droit de chaque candidat d’avoir des conditions et de vouloir fixer la règle de jeu mais il appartient aux institutions lorsqu’elles sont fortes et animées par des hommes de caractères d’animer le débat institutionnel et démocratique en se mettant au-dessus de la mêlée. Vous pensez qu’en tant que candidat, il n’avait pas raison de vouloir que les conditions de sa victoire soient réunies. Est-ce que c’est lui qui organisait les élections ? Est-ce que celui qui devait en fixer les règles ? Donc, vous déplacez le problème. La même manière aujourd’hui, la CENI tout le monde a vu depuis combien de temps elle nous fait le tour chaque fois. Ce n’est pas la première crise que la CENI est confrontée à une crise.
Ecoutez, on ne peut pas quand même prendre en otage la démocratie d’un pays et la paix sociale par des crises successives liées, par des questions de principes ou des valeurs. J’aurai bien compris que la CENI se plaigne. Qu’on n’ait pas donné les moyens d’organiser les élections. Que la CENI se préoccupe qu’il y ait la paix sociale en nous proposant un chronogramme comme le font tous les acteurs politiques y compris la majorité présidentielle. Mais c’est pour dire que les ressources qui ont été données à la CENI sont mal reparties parce qu’aujourd’hui, il faut avoir l’honnêteté de le dire, c’est beaucoup plus une question de répartition de ressources qui minent la CENI de l’intérieur que la question de préoccupation d’aller à des élections et de satisfaire les conditions qui lui incombent dans le cadre de l’accord politique. Je trouve cela regrettable et c’est un problème général dans notre pays qu’on met toujours la personne ou sa personne et l’intérêt de soi au détriment de la cause pour les communes questions de notre pays.
M. le ministre, sans langue de bois, est-ce que vous n’allez pas admettre lorsqu’on parle de cette manie de tourner en rond en Guinée autour des élections, on avait besoin à la base quand même d’un président qui allait se sacrifier. Mais, est-ce que vous ne pensez pas d’une manière ou d’une autre que le président Alpha Condé a failli. C’est pourquoi on se retrouve avec tant de problèmes. Est-ce que vous ne pensez pas qu’il avait la possibilité de sortir la Guinée de ce cycle infernal ?
Vous savez, on a encore cette difficulté de vouloir tout attendre du président de la République. Toutes les démocraties, là où toutes les institutions fonctionnent. Ce n’est pas le président de la République qui accomplit toutes les tâches. Je le regrette ! Ce n’est pas à lui de rendre un arrêt à la Cour constitutionnelle. Ce n’est pas à lui d’aller rendre un chronogramme à la CENI parce que le risque de ce que vous dites, quand le président va faire de l’interventionnisme, vous allez dire oui c’est l’hyper présidence. Il n’y a pas de séparation des pouvoirs. C’est l’autorité des institutions. Ecoutez, dans un Etat organisé, il y a différentes institutions qui sont vouées chacune à une tâche spécifique.
Absolument vous-même M. le ministre vous évoquiez tant tôt trois éléments : nos lois, nos institutions et nos hommes. Si M. Alpha Condé donnait l’exemple du respect de nos textes à l’intérieur de l’institution qu’il incarne, est-ce que les autres n’auraient pas imité cet exemple que M. Alpha Condé aurait donné ?
Qu’est-ce que vous lui reprocher par exemple ?
Par exemple, on parlait la transmission de ce code électoral. On parle souvent de sa participation aux activités des partis politiques. La loi ne lui permet plus. La déclaration de ses biens, pas mal de questions?
C’est l’intérêt d’avoir des collaborateurs qui assurent le suivi des dossiers et vous donnent une lecture réelle de la situation dans le pays. Par exemple, il y a un ministre conseiller chargé de relations avec les institutions. Par exemple, c’est à lui qu’appartient de dire au Chef de l’Etat l’état des institutions, de l’informer sur ce qu’il doit accomplir pas en tant que chef de l’institution, il est gardien des institutions. Ce sont deux choses différentes parce qu’autant il doit encadrer le processus de fonctionnement régulier des institutions autant il n’a pas le pouvoir d’intervenir dans les affaires de toutes les institutions notamment de l’institution judiciaire.
Ecoutez, le Chef de l’Etat oriente, impulse. Il y a un gouvernement. Il y a des collaborateurs. Je ne crois pas qu’un seul collaborateur soit venu à commencer par moi-même, rappeler au président ses devoirs liés à sa responsabilité et que le président ne l’a pas accompli, j’en apporte le témoignage solennel mais il faut que chacun fasse son travail. Le Chef de l’Etat s’est entouré des collaborateurs pour qu’ils attirent son attention sur ce qu’il doit faire ou ne pas faire et dans le délai que la loi exige. A partir de là, vous comprendrez que les choses iront mieux.
Une synthèse d’Alpha Amadou Diallo (L’Indépendant)
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