CONAKRY- A la fois homme politique et homme d’affaires, El hadj Mamadou Sylla vient de faire une lecture d’une page de l’histoire de son pays. Qui était derrière l’agression rebelle contre la Guinée en 2000 ? Le leader de l’Union Démocratique de Guinée qui était un des amis fidèles du feu Général Lansana Conté, a livré quelques secrets. Dans cet entretien exclusif accordé à notre rédaction, El hadj Mamadou Sylla a également parlé de ses relations avec le Président Alpha Condé, de la crise à Boké, mais aussi et surtout de sa position actuelle au sein de l’opposition. Exclusif !!!
AFRICAGUINEE.COM : Depuis quelques jours la région de Boké est en proie à des violences. Qu’est-ce que cela vous inspire en tant que natif de Boké, député et leader politique ?
EL HADJ MAMADOU SYLLA : Moi j’ai réagi en tant que fils du terroir le vendredi dernier à travers le point de presse qui a été organisé par nous-mêmes. Normalement s’il y a un problème au niveau de Boké cela me concerne (…), mes ancêtres et mes parents reposent là-bas, j’y ai beaucoup investi et donc je n’aimerais pas qu’il y ait des problèmes. Ce qui est quand-même normal, c’est de soutenir les populations de cette ville à travers leurs revendications qui sont légitimes en ce qui concerne le courant et l’eau. Tous ces remous et problèmes qui ont eu lieu à Boké, je mets cela au compte du président de la République (…), il n’a pas pris le problème au sérieux. Il pense que le fait qu’il soit né à Boké lui confère de faire tout ce qu’il veut, il peut se permettre de faire venir les gens pour s’accaparer de notre Bauxite et de la transformer ailleurs comme au Congo-Brazzaville ou en Chine.
Nous avons donc réalisé ce point de presse pour relater ce qui s’est passé, c’est-à-dire en 2016 quand le premier tanker de bauxite a été mis en rade sur le port de Katougouma. Ils ont fait une route pour prendre la bauxite en direction du port. C’est un contrat qui n’est passé nulle part, ni à l’Assemblée Nationale où ailleurs. Personne ne connait les clauses du contrat. Même en tant que député ou fils de Boké, je devais en savoir quelque chose. A cette époque même, j’ai réuni quatre députés de Boké pour aller rencontrer le chef de l’Etat pour lui dire qu’à travers ce projet, les filles et fils de Boké ne sont pas embauchés, ce sont plutôt des recommandés qui ont accès au travail. Tous les sous-traitants qui sont là-bas ne sont que des personnes étrangères à la région de Boké. Moi c’est ce que j’ai voulu dire au président Alpha Condé pour qu’il prenne ses dispositions avant que la population ne se révolte. Il nous a dit carrément qu’il a déjà sa main dans cette situation donc il ne faut pas trop s’y aventurer. Donc comme il a refusé de prendre ses responsabilités, c’est ce qui a fait qu’au mois d’Avril dernier, il y a eu des éclatements. Comme toujours il pensait qu’avec des effets d’annonce, il allait maitriser les populations de Boké. Cinq mois après, nous voyons ce qui se passe maintenant là-bas qui est pire que le mois d’Avril 2017.
Selon vous, le Président vous a dit qu’il a ses mains dans les mines de Boké, cela veut dire que ces sociétés pour la plupart d’entre elles travaillent pour lui ?
C’est lui qui sait comment et pourquoi il a signé avec les gens. Nous on connait aucune condition ni aucune clause de contrat. Il n’y a jamais eu de propositions au niveau du parlement comme je vous l’ai dit. Nous sommes des élus du peuple, donc normalement les dossiers doivent nous parvenir pour en débattre. Même si nous sommes de l’opposition, on aurait dit quand-même que le document a été discuté à l’Assemblée Nationale. C’est lui qui sait quel est le contrat qui le lie à ces sociétés. Est-ce qu’il y a l’argent et même s’il y en a, les gens de Boké ne le savent pas. Par contre les populations inhalent la poussière, la flore et nos champs ne sont pas épargnés par ces intempéries sans compter les accidents qui se produisent sur ces tronçons provoqués par des chauffeurs imprudents.
Les émeutes durent depuis plusieurs jours, qu’est-ce vous avez fait pour que justement la paix revienne à Boké ?
Justement un leader politique s‘implique (…). Comme je vous l’ai dit, je suis né là-bas et j’ai beaucoup de militants qui sont de ce côté de la Guinée. Si mes militants voient que je ne les soutiens pas durant toutes ces épreuves, ils diront que je ne partage pas leurs peines, mes parents y sont aussi.
Nous les avons exhortés de ne pas détruire les édifices publics. Nous sommes d’accord qu’il y ait des manifestations mais pas pour la casse même s’il faut empêcher les sociétés minières de pas travailler. C’est mon message à l’endroit des populations. Nous les avons sensibilisés de libérer la route puisque c’est un tronçon qui dessert aussi des pays de la sous-région. Cela a été entendu pour permettre aux usagers de circuler normalement. Pour le cas spécifique de Kamsar, on sait par exemple qu’il y a une vieille convention qui existe entre les populations et la compagnie, mais par contre pour celles qui viennent d’arriver on ne sait pas. Comme maintenant il s’agit de s’accaparer à outrance de nos ressources, le gouvernement et ses complices n’ont qu’à mettre notre part aussi.
En réaction à votre point de presse, le ministre Bantama Sow, a dit que votre place doit être la prison. Que répondez-vous ?
Je ne veux pas répondre à Bantama Sow (…), c’est un petit ministre qui réfléchit à la hauteur de sa taille. C’est un type de ce genre (…), un bout d’homme qui réfléchit comme je vous l’ai dit à la hauteur de sa taille. Sinon, un ministre de la république ne peut pas s’adresser comme cela à un élu du peuple. Ce qu’il ne comprend pas, un député est au-dessus d’un ministre, après le président, nous sommes l’émanation d’un pouvoir. Il faut qu’il apprenne le rang protocolaire (…), donc un ministre de la république qui ne connait pas cela ne vaut rien. Si tu entends qu’un ministre a un budget c’est qu’il y a son patron, c’est-à-dire un député qui lui a donné ce budget. Si on ne vote pas son portefeuille ne servirait à rien.
Donc c’est un fonctionnaire qui a un petit cordon, il suffit que son patron coupe ça pour qu’il tombe. Nous, nous sommes élus par le peuple pour au moins 5 ans et le président de la République n’est rien dans ça. Il faut qu’il sache cela d’abord. Je vous dis que c’est un petit ministre qui a la même taille que son département qui est le ministère des Sports. Il ne gère qu’une équipe nationale composée de onze personnes. Le bonhomme a une folie de grandeur et donc je ne le réponds pas puisqu’il n’est pas mon égal. Mon égal c’est le Président de la République qui est son patron, ce n’est pas un petit ministre. Son patron a été candidat, j’ai été candidat à la présidentielle, malgré qu’il ait eu beaucoup plus de chance que moi.
Moi mon problème c’est Boké ; tout le monde en a parlé, notamment le chef de file de l’opposition, même Kassory Fofana a condamné ces actes. Le chef de l’Etat avait d’ailleurs souligné le fait qu’il n’y a pas assez de présences effectivse de noms de famille des ressortissants de Boké dans son discours. Moi l’importance ce n’est pas quelqu’un qui parle lors d’une assemblée générale d’un parti pour se faire acclamer qui m’intéresse. Je crois qu’aujourd’hui même si le préfet a été limogé, il y a toujours de mauvaises graines qui y pullulent et qui doivent partir aussi.
Aujourd’hui vous semblez critiquer la gouvernance du président Alpha Condé. Je rappelle que vous l’aviez soutenu en 2010 mais aussi lors des législatives de 2013 et jusqu’à un passé très récent vous apparteniez à cette famille de la majorité présidentielle. Est-ce que vous pouvez dire aujourd’hui que vous avez des regrets ?
Oui je le regrette, c’est vrai. Le jour où j’ai signé avec l’UFDG, je l’ai même réitéré. Mais quand vous avez aidé quelqu’un qui est en train de détruire votre pays et qui fait du tort à la population et que réellement vous avez aidé cette personne, en tant que croyant s’il y a des péchés vous avez votre part dedans. Certes j’ai péché en le soutenant mais je demande à Dieu de me pardonner du fait que j’ai soutenu le président Alpha Condé. Il y a ma part dedans puisque je l’ai aidé. Aujourd’hui si je regrette tout cela, c’est parce que d’un côté aussi, il a été ingrat et s’il ne l’avait pas été je ne serais pas là aujourd’hui et je n’allais pas le quitter.
Vous dites ingrat, vous vous attendiez à quoi ?
Je n’attends pas le miracle avec lui, dans n’importe qu’elle union les bonnes manières comptent surtout. Si cela n’existe pas la personne te quitte. Moi je dis qu’il n’a aucun moyen à part les moyens de l’Etat qu’il détient. Mais demain tu es comptable de ce que tu en as fait parce que quand tu venais tu n’avais rien.
Il se dit pourtant que vous l’en voulez parce que l’un des engagements qu’Alpha Condé aurait pris est de vous aider à être remboursé par l’Etat guinéen. Est-ce vrai ?
L’histoire est têtue (…) ; qu’il rembourse ou pas quelqu’un d’autre viendra le rembourser car l’administration est une continuité. Mais lui, il fait tout politiquement (…). En guise d’exemple tous ceux qui veulent voir le bout du tunnel qui étaient avec lui ont été grillés, nous pouvons citer le cas de Mamady Diawara, d’un type comme Ousmane Kaba et moi. Dès qu’il sait que tu veux voler de tes propres ailes il t’étouffe. C’est le communisme, c’est mauvais (…). Le communiste, quand tu l’aides pour qu’il arrive à ses fins au finish il t’étouffe carrément. Tout ce qu’il sait faire c’est de manipuler mais il ne sait pas faire du bien ou rembourser le bienfait. Il détruit maintenant tous ceux qui l’on aidé.
L’Etat vous doit Combien Elhadj Mamadou Sylla ?
C’est connu de tout le monde, cela a été dit partout et cela se chiffre exactement à 20 millions de dollars. Même les bailleurs de fonds savent cela, le FMI (Fonds Monétaire International, Ndlr) avait dit à un moment que pour aider la Guinée il fallait que cette dette soit payée. Sans compter les petits montants comme l’argent que j’ai financé pour la fête de l’indépendance et d’autres petites sommes. Il veut peut-être que je le supplie jusqu’à aller me prosterner devant lui et prendre ses pieds. Mais grâce à Dieu, j’ai les moyens de me nourrir sans que je ne passe le voir.
Vos détracteurs disent que certes l’Etat vous doit mais les conditions d’obtention de certains marchés du temps du général Conté n’étaient pas totalement claires ?
Ils n’ont qu’à le prouver (…), le problème c’est que les gens racontent des choses qu’ils ne connaissent pas. La loi des marchés stipule que quand vous voulez soumissionner à un marché, l’Etat a le moyen de payer 30% à la commande. Moi tout ce temps passé, c’est le montant que je réclame puisque j’ai livré (…), l’Etat n’avait pas les moyens de payer même ces 30%.
C’était lors de l’agression rebelle en 2000 ?
Oui effectivement, c’est suite à cela que mes collègues et partenaires sont rentrés. Ils ont dit qu’ils ne sont pas une banque. Quand les rebelles disaient qu’ils allaient attaquer Conakry, c’est en ce moment que j’ai pris ce grand risque. Le professeur Alpha Condé a d’ailleurs dit ici publiquement qu’il était avec les rebelles (…), selon lui, comme Lansana Conté a refusé de partir par les urnes, lui il va le faire partir par les armes. Ses parents ont d’ailleurs pris leurs têtes en disant qu’on l’a arrêté à tort (…), c’est en ce moment qu’on a envoyé beaucoup de soussous dans son entourage pour dire qu’il faut traiter son image et lui dire de ne plus jamais parler parce qu’il ne sait pas le faire. S’il dit cela c’est que c’est mauvais (…), c’est pour vous dire qu’il ne sera pas content de payer cet argent.