Jadis fleuron de la production horticole de Guinée, la filière ananas tente de se relancer et de regagner des parts sur le marché européen. Reportage.
Friguiagbé, préfecture de Kindia, à 135 km de Conakry. Nous sommes sur les terres d’Alseni Soumah, un parmi le millier de producteurs privés affiliés à la Fédération des planteurs de la filière fruit de la Basse-Guinée (FEPAF-BG) dont les terres sont disséminées entre les préfectures de Kindia, Forécariah, Coyah, Dubreka, Boffa et Boké, en Guinée Maritime.
Ses trois hectares d’ananas en phase de maturation sont, par endroits, recouverts de paille pour les protéger du soleil. Une technique qui s’est imposée afin de répondre aux normes d’exportation.
Des plantations comme celle-là, il en existe des centaines dans cette région, dont la terre et le climat sont propices à cette culture. L’ananas est si emblématique de la production horticole du pays qu’il est en effigie sur les billets de 10 000 francs guinéens. À la fin des années 1950, la Guinée exportait sur le marché international jusqu’à 50 000 tonnes d’ananas frais.
De 8 220 tonnes en 2016 à 15 000 tonnes en 2018
Laissée à elle-même par les différents régimes successifs, la filière a végété avant de toucher le fond en 2015 avec une production quasi nulle, suite à l’éclatement de l’épidémie d’Ebola dans le pays et son voisinage (Sierra Leone et Liberia). Résolues à relancer cette culture, les autorités guinéennes, en partenariat avec l’USAID, apportent leur l’appui aux planteurs, à travers le Bureau d’exécution stratégique (BES), logé à la Primature.
Cet appui se décline sous différentes formes : augmentation des superficies cultivées, accroissement des rendements moyens pour atteindre 50 tonnes à l’hectare en 2020, fourniture subventionnée de fertilisants spécifiques (potasse, ammoniac, urée, …) – la culture de l’ananas en est très gourmande -, encadrement technique (irrigation, conditionnement), logistique pour accroître les exportations par voie aérienne, etc.
Cette politique commence à porter ses premiers fruits : en 2016, la Fédération a réalisé une production de 8 220 tonnes d’ananas. Après la plantation de 350 ha en 2017, elle compte en récolter 15 000 tonnes en 2018, dont 100 destinées à être expédiées par avion vers le marché européen. L’objectif est d’atteindre, à l’horizon 2020, une production de 40 000 tonnes, dont 2 500 tonnes pour le marché niche de l’export par avion vers l’international.
Exigences draconiennes
La Guinée devra rivaliser avec les ananas de Côte d’Ivoire, du Ghana, du Bénin, du Togo et du Cameroun
Ce plan de relance passe donc par la conquête du marché européen. Et Moussa Camara, le président de la FEPAF-BG a la certitude que le pays dispose d’un vrai avantage comparatif : la variété d’ananas appelée « Baronne de Guinée », ou encore « Baronne de Rothschild », propre à la région de Kindia, est selon lui « la meilleure au monde », grâce à ses excellentes propriétés gustatives.
Mais cela ne suffira pas : pour que le plan de reconquête fonctionne, la Guinée devra rivaliser avec les ananas de Côte d’Ivoire, du Ghana, du Bénin, du Togo et du Cameroun, ses principaux concurrents sur ce marché. Il lui faudra pour cela assurer des exportations régulières vers le marché européen, et surtout en
satisfaire les exigences draconiennes, relatives à différents critères : normes phytosanitaires, poids du fruit (entre 1,3 et 2 kg), coloration, conditionnement…
Pour y parvenir, un partenariat a été noué avec la Coopérative agropastorale de Burquiah et le français VB International (implanté en Guinée depuis 1932), importateur de fruits tropicaux. VB International s’est engagé à acheter 100 tonnes d’ananas entre octobre 2017 et janvier 2018.
Assouplir les conditions de crédit
Si les planteurs obtiennent un financement en juillet, ils sont tenus de le rembourser en août, ce qui est impossible
Reste une autre équation à résoudre, celle du financement des différentes chaînes de valeur de la filière. Un vrai casse-tête, tant les coûts et conditions du crédit
agricole demeurent contraignants en Guinée. « Aujourd’hui, si les planteurs obtiennent un financement en juillet, ils sont tenus de le rembourser en août, ce qui est impossible : la culture de l’ananas obéit à un cycle de dix-huit mois », déplore Charlotte Eddis, chargée du projet au BES de la Primature.
Le BES travaille donc avec des établissements de crédit pour assouplir les conditions d’accès au financement en faveur des planteurs. « Nous essayons de trouver des formules pour que les planteurs puissent disposer d’une période de grâce de dix-hui mois pendant la période de production, détaille Charlotte Eddis. Nous essayons par exemple de mettre en place des financements sur trente-six mois, pour que les planteurs puissent rembourser leur emprunt en deux tranches, sur deux récoltes. »
Au total, la relance de la filière requiert une enveloppe globale de 12,5 millions d’euros, dont 1 million pour le volet irrigation, révèle la chargée du projet du BES. Pour asseoir une industrie agroalimentaire, les autorités guinéennes prévoient d’implanter une unité qui devra transformer une partie de la production sur place. Cette relance-test de l’ananas s’inscrit dans une nouvelle politique de modernisation des filières agricoles commerciales guinéennes, qui concernera aussi la mangue, la banane, l’anacarde, etc.