Le chef de l’État guinéen, Alpha Condé, a mis garde samedi les médias leur demandant sur un ton sec de ne pas relayer les déclarations de l’un des principaux représentant d’un syndicat d’enseignants, accusé d’avoir organisé une grève « illégale » qui paralyse le secteur de l’éducation depuis le 13 novembre.
Les médias guinéens traversent une période de turbulence : des journalistes récemment molestés et leurs équipements détruits par des gendarmes, un autre frappé ce samedi au siège du parti au pouvoir par la garde rapprochée du président de la République, Aboubacar Camara du groupe RTV Gangan et Moussa Moise Sylla de Hadafo médias poursuivis par la justice…
Et voilà que Alpha Condé enjoint aux radios de fermer leur micro à Aboubacar Soumah, secrétaire général adjoint du Syndicat libre des enseignants et chercheurs de Guinée, SLECG, à la base d’un mouvement de grève qui secoue le secteur de l’éducation depuis le 13 novembre. Ce syndicaliste activement recherché par les autorités, est accusé d’avoir déclenché une grève qualifiée par le gouvernement « d’illégale » et de « sauvage ».
Toute radio qui fera passer le communiqué de Soumah sera fermée le même jour
En conséquences, dans la seule journée du samedi 25 novembre, Alpha Condé a – à trois reprises – dit et réitéré qu’il fermera « sans état d’âme » toute radio qui donnera la parole à Aboubacar Soumah : le matin, à la cérémonie de clôture des 46e assises de l’Union de la presse francophone qui se tenait à Conakry, où il a remis en cause le professionnalisme des journalistes guinéens.
Puis au siège du RPG Arc-en-ciel, où le chef de l’État a déclaré devant les militants du parti au pouvoir : « Désormais toute radio qui diffusera les communiqués de Soumah sera fermée, parce qu’elle sera complice de rébellion. »Enfin, dans l’après-midi du même samedi, Alpha Condé a reçu, au palais présidentiel Sékhoutouréya, centrales syndicales, associations de parents d’élèves, représentants du patronat, membres du gouvernement et patrons de presse. Au cours de l’audience, il a déploré : « Au moment où tous les bailleurs de fonds publics et privés commencent à venir [allusion aux promesses de financement du Programme national de développement économique et social (PNDES) tenues à Paris mi-novembre, NDLR], on fait la pagaille. Pourquoi on va se battre pour développer le pays si un individu peut mettre la pagaille ? Mais il le fait grâce à la complicité des radios. C’est pourquoi je les ai convoquées. Lorsque les syndicalistes [défavorables à la grève, NDLR] envoient leurs communiqués aux radios, ils refusent de les publier. Par contre, ils font passer tous les messages de Soumah. J’ai dit au procureur que comme Soumah fait de la rébellion, il sera poursuivi ».
Les syndicalistes et les journalistes ne sont pas au-dessus de la loi
Et le président Condé de marteler : « Désormais, quiconque fait passer les communiqués de Soumah sera considéré comme complice et sera poursuivi. (…) Les syndicalistes et les journalistes ne sont pas au-dessus de la loi. C’est pourquoi j’ai voulu convoquer les patrons des médias pour les mettre devant leur responsabilité. Toute radio qui fera passer le communiqué de Soumah sera fermée le même jour. Il faut que cela soit très clair. Je m’en fous de ce qu’écrit Médecins sans frontières (il voulait dire Reports sans frontières, ndlr) ».
Des radios fermées à Labé et à Conakry
C’est une façon de nous intimider, mais nous ne céderons pas
Dans la ville de Labé, située à 431 km au nord de la Guinée, la radio privée BTA FM a été fermée par la police, pour avoir interviewé le syndicaliste « dissident », Aboubacar Soumah, au cours de son émission « Coup de gueule » de ce lundi matin.
L’animateur, Alpha Oumar Fogo Baldé et deux autres de ses collègues ont été auditionnés par la direction générale de la sûreté de Labé avant d’être relâchés, a confié le PDG de la radio, Thierno Amadou Bah.
« C’est une façon de nous intimider, mais nous ne céderons pas. Aboubacar Soumah est un citoyen libre. Il n’a pas tenu des propos incendiaires. Il fallait analyser le contenu de l’émission avant de nous contraindre à fermer », a-t-il réagit. Le gouverneur de Labé, Sadou Keita, parle pour sa part de « suspension des émissions de la radio », dans un entretien au site Guineenews.
Les fréquences de Gangan (tv et radio) ont été brouillées à leur tour, sans aucune explication officielle pour le moment. Toutefois, la radio et la télé avaient diffusé samedi soir une interview du syndicaliste Aboubacar Soumah. Et ce matin, le rédacteur en chef, Sékou Jamal Pendessa, a confié avoir reçu des pressions de la part des proches du pouvoir dont il n’a pas souhaité dévoilé les noms. « On m’a appelé pour me dire que le président de la République est très en colère contre Gangan », explique-t-il.
La HAC rappelle être la seule habilitée à sanctionner un média
L’organe de régulation des médias guinéens, la Haute autorité de la communication, a publié lundi soir un communiqué signé de sa présidente, Martine Condé, pour rappeler qu’elle « est la seule institution habilitée par la loi à suspendre ou à fermer un média ». Elle rappelle que l’une de ses missions est d’éviter « le contrôler abusif des médias par le gouvernement ».
Plus loin, la Haute autorité de la communication « demande aux médias guinéens de favoriser l’expression pluraliste des courants de pensée et d’opinions tout en pratiquant un journalisme au service de la paix, de la sécurité et du développement de la Guinée ».
Des écoles toujours fermées
En dépit de l’appel à la reprise des cours du ministre de l’Éducation nationale et de l’alphabétisation, les enseignants ont boudé les classes dans certaines écoles de Conakry, ce lundi. C’est le cas notamment des lycées de Donka, Kipé et Matam, selon des témoins contactés par Jeune Afrique. La circulation a été perturbée sur l’axe Hamdallaye-Bambéto-Cosa, selon des riverains joints au téléphone.