Cette militante associative d’origine camerounaise promeut à Lille la culture afro, qui peine encore à exister dans cette grande ville du nord de la France.
Gare de Lille-Saint-Sauveur. Entre les hauts murs de brique de cette ancienne station ferroviaire transformée en espace culturel se joue un étonnant métissage. Devant quelques centaines de spectateurs, presque tous blancs, une danseuse fait virevolter ses longues dreads le temps d’une chorégraphie dopée à l’énergie, associant breakdance et pas traditionnels africains. La bande-son est un cocktail mêlant une touche d’afro-house, un zeste de kuduro – de l’électro angolaise – et une grosse pincée de hip-hop américain…
Mais la mixture n’a rien d’écœurant, et l’artiste est copieusement applaudie. Celle qui est venue enjailler la capitale du Nord s’appelle Jeannine Fischer Siéwé Tchamo, 36 ans. Danseuse et chorégraphe, elle est aussi la fondatrice de Wawa l’asso, une association devenue la référence dans l’organisation d’événements autour de la culture noire à Lille.
La danse chevillée au corps depuis l’enfance
Ce n’est pas dans la cité nordique que Jeannine a fait ses premiers pas. Née à Paris, elle vit au Cameroun jusqu’à l’âge de 10 ans avant de retrouver la France avec sa mère et son beau-père, un Français qui l’élève comme sa fille. Depuis toujours, l’expression corporelle fait partie de sa vie. Au Cameroun, elle dansait déjà avec ses amies à Bafang, la ville de son enfance en pays bamiléké. Elle prend des cours de classique en banlieue parisienne durant l’adolescence et ambitionne de devenir petit rat de l’Opéra. Arrivée à Lille en 1998, elle intègre la compagnie semi-professionnelle À quoi elle rêve, qui aborde des sujets chocs comme la traite négrière.
Petit à petit, l’Afropéenne se réalise, à la redécouverte de ses racines. Elle était arrivée à Lille un peu à reculons pour ses études en conception de projets culturels. « Je pensais qu’il neigeait et pleuvait tout le temps et qu’il n’y avait que des mines de charbon… », se souvient-elle dans un éclat de rire. Débarrassée des clichés, elle n’est plus repartie de la ville. Peut-être parce qu’elle y a découvert une population mixte, façonnée par des vagues successives d’immigration : Polonais, Portugais, Italiens, Marocains, Sénégalais venus travailler dans les usines et les mines il y a plus de cinquante ans.
Je trouvais qu’on ne parlait pas assez des communautés africaines qui existent ici
Mais si la greffe a pris sans problème, quelque chose manquait à la jeune femme dans sa ville d’adoption. « Je trouvais qu’on ne parlait pas assez des communautés africaines qui existent ici. De plus, chacune de ces communautés est centrée sur elle-même. »
À l’époque, la danseuse sillonne le continent, traversant les frontières pour découvrir les danses urbaines et traditionnelles de pays parfois très éloignés culturellement : RD Congo, Burkina Faso, Maroc, Ghana… « Il me fallait davantage aller à la rencontre de mon africanité. » Plusieurs chorégraphes de danse afro-contemporaine lui serviront de guides, notamment les Burkinabè Irène Tassembedo, Salia Sanou et Seydou Boro, rencontrés au cours d’un stage au Sénégal en 2000.
Wawa l’asso, une association qui concilie culture, mode et danse
C’est en 2011 qu’elle décide de poser les bases de Wawa l’asso, une association qui concilie culture, mode et danse tout en misant sur le métissage culturel. « J’ai travaillé comme attachée de presse, mais cela m’ennuyait. J’ai toujours voulu être entrepreneur et créer quelque chose qui me ressemblait, confie-t-elle. Avec un père français et une mère camerounaise, j’ai la chance d’avoir connu deux cultures. Il y a des personnes qui sont d’origine africaine, mais qui n’ont jamais eu l’occasion d’expérimenter la vie sur le continent. »
Personnalité incontournable du monde afro-lillois
Jeannine Fischer se consacre aujourd’hui à temps plein à son association. Communicante hors pair et connectée (Wawa l’asso comptabilise plus de 15 000 amis sur Facebook et 1 200 abonnés sur Instagram), la trentenaire survitaminée a créé une foultitude d’événements qui en font l’une des personnalités incontournables du monde afro-lillois.
Elle met sur pied la Wakawaka Dance Academy dans le Vieux-Lille, où elle donne des cours de danse afro-urbaines telles que l’azonto, le coupé-décalé et le twerk. Elle investit ses économies dans l’organisation de son premier grand événement solidaire : la Fashion Outlet Party. « La première édition s’est tenue à la Halle aux sucres, une salle d’une surface de 800 m2. Cette année, pour la sixième édition, nous serons au palais Rameau, un espace de 2 000 m2 ! » se réjouit-elle.
Chaque année, elle organise également Happy New Hair, un rassemblement autour des cheveux bouclés, crépus ou frisés qui attire un millier de visiteurs. « Le succès prouve qu’ici, à l’inverse de Paris, l’offre culturelle est insuffisante pour notre communauté. »
Prochaine étape : créer un espace consacré à la culture africaine
Et l’ambitieuse n’est pas à court de projets. « La prochaine étape pour moi, c’est de créer un espace consacré à la culture africaine, souligne la militante associative aujourd’hui beaucoup soutenue par la mairie de Lille. Une maison avec un lieu de restauration, de la documentation et une salle de danse. » Le Nord n’a jamais été autant au sud.