La Tribune Afrique : Quelles sont les grandes lignes de la stratégie déployée par PwC en Afrique subsaharienne ?
Nadine Tinen : Nous partons du constat selon lequel l’Afrique comme le monde sont en profonde mutation. En Afrique, plus qu’ailleurs, nous avons bien conscience que l’environnement politique, économique et social est en mouvement et connaît une mutation sans précédent. Aussi, les avancées technologiques sont, selon nous, des opportunités pour l’Afrique, tout comme le renforcement du marché économique régional. La volonté et la raison d’être de PwC «To build trust in society & solve important problems» [construire la confiance au sein de la société et résoudre des problèmes importants, NDLR] impliquent notre participation active au développement de l’Afrique en accompagnant les acteurs de son développement : la société, les entreprises, la collectivité et le capital humain. Cela signifie de pouvoir libérer les énergies et d’imaginer ensemble l’étendue des possibles et construire l’Afrique de demain, qui va peser sur le destin du monde.
Cet engagement de contribuer activement au développement de l’Afrique constitue l’un des leviers de notre croissance pour être le leader des services professionnels innovants. Voici notre vision pour l’Afrique subsaharienne francophone qui est déclinée à partir de celle de PwC pour la France et l’Afrique francophone.
Dans ce cadre, quelles seront les priorités de votre mandat ?
Notre démarche stratégique débouche sur trois missions prioritaires autour desquelles tournent également les priorités qui seront les miennes. Il s’agit d’abord de satisfaire les acteurs du développement ainsi que les collaborateurs qui participent au développement de PwC en Afrique et surtout au développement du Continent. Pour PwC, en Afrique comme ailleurs, l’humain reste au cœur du développement et au cœur de la stratégie. La dernière mission prioritaire et non des moindres, c’est de pouvoir transformer nos ressources, nos outils et nos organisations.
En quoi consistera cette transformation que vous comptez mener ?
D’abord conduire le changement par une transformation de PwC en Afrique francophone subsaharienne, précisément la transformation de nos métiers et la transformation opérationnelle. Il est également question de travailler avec nos équipes et nos ressources humaines à promouvoir la culture de l’innovation et de la créativité. Cela va nous permettre de faire la différence dans l’accompagnement de nos clients au service de leur propre transformation. Cette transformation agile est aujourd’hui essentielle pour pouvoir relever les défis auxquels sont confrontés nos clients.
Parmi vos objectifs, vous indiquez vouloir vous positionner comme leader sur les services professionnels innovants. En quoi consistent ces «services professionnels innovants» ?
Lorsque l’on parle de services innovants, dans notre offre de conseil précisément, nous évoquons deux aspects. D’une part celui relatif aux Etats et aux services publics, et d’autre part l’aspect entreprises, notamment les champions nationaux et régionaux. En ce qui concerne les Etats, nous observons que la technologie représente une opportunité pour ces derniers de pouvoir améliorer leurs performances. Dans notre offre de service, nous proposons d’accompagner les services publics dans l’intégration de la technologie, notamment pour cibler les investissements qui sont adaptés aux priorités de développement de ces Etats.
Concrètement, quelle serait la valeur ajoutée pour les Etats africains ?
A titre d’exemple, nous disposons aujourd’hui d’une grande quantité de données et d’informations sur l’Afrique, mais il n’existe aucun recoupement entre elles. La collecte, l’analyse et le partage ne sont pas faits de manière efficace et ne servent donc pas à nos Etats pour pouvoir identifier les cibles et ainsi transformer efficacement leurs objectifs en réalisations concrètes et permettre le développement de leurs infrastructures. C’est pour faire face à cette fragmentation qui rend les données inexploitables que PwC propose l’analyse des data pour permettre aux Etats d’avoir une analyse homogène basée sur des faits pertinents partagés par les entreprises et différentes parties prenantes, pour ainsi mener, au mieux, la stratégie publique et les objectifs de développement.
Mais en Afrique plus qu’ailleurs, les caractéristiques et les contextes sont très différents d’une sous-région à l’autre et d’un pays à l’autre. Comment est-ce possible d’avoir une même vision stratégique pour l’ensemble ?
Il est effectivement opportun de souligner qu’en Afrique subsaharienne, il y a des sous-ensembles différents, mais de mon point de vue, leurs différences tiennent à leurs niveaux de maturité de développement. Aussi existe-t-il pour chacun de ces sous-ensembles des points communs comme promouvoir l’offre de services publics, le développement de leurs pays et la qualité de vie des citoyens, ou encore transformer l’économie et l’environnement politique. Aussi, pour toutes les entreprises et les Etats de la région, quel que soit l’ensemble sous-régional dans lequel ils sont situés, les défis sont les mêmes. C’est pour cela que nous proposons une véritable vision stratégique conforme qui sera mise œuvre de manière identique dans les pays, tout en tenant compte à offrir des services selon le degré de maturité dans chacun des sous-ensembles.
Les réglementations sont également très différentes au sein de l’Afrique subsaharienne…
Effectivement les réglementations sont différentes, mais ne le sont pas quant au fond. Elles le sont généralement quant à la cible, tout en adressant les mêmes thématiques. C’est le cas qu’il s’agisse de la fiscalité, de la banque, de la circulation des personnes, etc.
Pensez-vous que l’harmonisation des réglementations est une priorité pour les pays africains du point de vue de la fiscalité ?
Oui, l’harmonisation est importante, mais ne signifie pas avoir des fiscalités identiques. En ce sens où les niveaux de développement économique, la quantité, la qualité ou l’origine des ressources sont différents d’un pays à l’autre, y compris au sein même des sous-ensembles économiques où la diversification de ces économies est différente. Ce qui peut être fait en termes d’harmonisation, c’est s’assurer que les principes fiscaux retenus en termes d’administration de l’impôt, de gouvernance et de politiques efficaces dans la collecte de ces impôts soient alignés. Mais en ce qui concerne le choix de l’impôt et des taux sur les biens et services qui seront des leviers, tout dépendra des spécificités du pays. Si l’on parle par exemple de la taxation des exportations et des importations, cela dépendra de la nature de ce que j’exporte et de ce que j’importe en tant qu’Etat. Il faut donc avoir, non pas une fiscalité identique dans la région, mais des règles coordonnées.
Quelle évaluation faites-vous de la pression fiscale en Afrique subsaharienne ?
L’état des lieux aujourd’hui, si je me réfère à la dernière étude du FMI sur le sujet, est assez disparate en Afrique. En fonction que le pays soit exportateur de pétrole ou pas, la frontière fiscale est assez différente. Elle va dépendre précisément du ratio entre ce que je suis en mesure de développer dans mon économie et le PIB. En d’autres termes, lorsque l’on regarde la pression fiscale aujourd’hui, elle sera par exemple légèrement différente en Afrique centrale de ce que l’on peut retrouver en Afrique de l’Ouest et ce en raison des différences dans les niveaux de diversification et de développement. Mais dans les deux cas, les entreprises considèrent que la pression fiscale est très importante.
Pourtant, les Etats africains ont, globalement, encore du mal à mobiliser des ressources fiscales suffisantes…
Il y a encore des poches de développement du potentiel fiscal. Mais il est important de souligner que les solutions pour développer ces poches ne peuvent continuer de reposer sur une pression fiscale importante touchant la même catégorie d’acteurs. Aujourd’hui dans nos différents ensembles régionaux, nos Etats ont un challenge important, celui de pouvoir renforcer les capacités de collecte des impôts en adressant notamment le secteur informel et en assurant une bonne administration de l’imposition. Tous les acteurs économiques d’un pays doivent s’acquitter des taxes dont ils sont redevables.
Quels conseils pourriez-vous donner aux gouvernements du Continent pour une meilleure mobilisation des ressources fiscales ?
Le conseil que je pourrais donner aux gouvernements serait d’utiliser deux éléments. Le premier est de pouvoir intégrer dans la politique fiscale des principes en matière de transparence et de gouvernance. Cela repose sur l’introduction de l’analyse de données et de l’apport de la technologie de manière générale. Le second élément est d’adopter une fiscalité de développement et non pas une fiscalité qui peut contraindre les entreprises à renoncer à leurs objectifs d’investissement et de croissance. Cela va nécessiter de trouver des outils et des moyens de pouvoir agrandir l’assiette fiscale, non pas en augmentant le taux, mais en augmentant le nombre de contribuables, ce qui nécessite d’identifier la matière fiscale là où elle se trouve.
Un peu partout dans le monde, des voix se sont élevées pour dénoncer les pratiques peu orthodoxes de certaines grandes entreprises pour minimiser leurs contributions fiscales. Pensez-vous que ce que l’on appelle «optimisation fiscale» est une pratique légitime ?
Les voix se sont élevées, il est vrai, dans la société civile de manière générale, pour décrier une agressivité fiscale en pointant les multinationales les plus puissantes. La réalité, c’est qu’il ne faut pas faire de confusion entre l’optimisation et l’évasion fiscale. L’évasion fiscale va consister à contourner les lois et réglementations pour payer le moins d’impôt et avoir un maximum de bénéfices. C’est une fraude à la loi. L’optimisation fiscale, elle, permet de faire le choix de l’utilisation de la règle fiscale dans le cadre du respect de la réglementation et des dispositifs fiscaux. Donc, dans le cas d’une optimisation, il n’y a pas de fraude à la loi ni de contournement à celle-ci. Face à l’optimisation fiscale, se pose davantage la question de la morale et de la responsabilité sociétale que du droit.
Qu’en est-il de l’Afrique en particulier. Y a-t-il des entreprises qui arrivent à délocaliser le paiement de leurs impôts ?
De manière générale en Afrique, le modèle est basé sur les développements qui se font en Occident. Si l’on prend l’imposition des entreprises, dans tous les pays, l’impôt s’applique au bénéfice réalisé dans le pays. Donc en principe, il n’est pas possible de générer un revenu dans le pays A et de choisir de l’imposer dans un pays B, notamment hors de l’Afrique. Par contre, ce qui peut arriver, et ce qui est très regardé au niveau occidental et au niveau africain désormais, concerne les échanges sur les biens ou les services au sein d’une même entreprise installée dans différents pays. Dans cette situation, les Etats africains s’organisent avec l’appui de l’OCDE pour prévenir ces manipulations.
La plupart des Etats d’Afrique subsaharienne ont introduit dans leurs législations des dispositifs sur ce que l’on appelle «les prix de transfert», c’est-à-dire contre la possibilité de pouvoir délocaliser la matière imposable. Cela ne veut pas dire avoir un prix de transfert identique ou similaire pour toutes les entreprises qu’elles soient liées ou pas, mais il faut que le contribuable démontre au gouvernement dans son pays que les prix qui sont pratiqués entre sociétés d’un même groupe, sont comparables à ce qui se fait entre sociétés de groupes distincts. A cet effet, l’entreprise doit mettre à disposition l’ensemble de la documentation qui permet de déterminer ces prix dans un cadre de pleine concurrence.
Vous avez cumulé une grande et riche expérience chez PwC. Comment êtes-vous parvenue à percer dans un milieu qui reste, malheureusement, encore dominé par les hommes ?
Au sein de PwC, j’ai rapidement trouvé le cadre qui me convient. En ce sens où, chez PwC, les collaborateurs et les équipes sont au cœur de la stratégie. L’excellence et la confiance sont à disposition des collaborateurs. Egalement, nous accompagnons les talents dans ce qu’ils peuvent faire pour contribuer au mieux au développement de leurs communautés. J’ai la chance d’avoir toujours évolué dans un environnement où il n’y avait pas et où il n’y a toujours pas de différences pour apprécier les compétences entre hommes et femmes. Tout cela m’a permis de développer pleinement tout ce que j’avais déjà acquis auparavant à travers mes origines et mes valeurs familiales, en l’occurrence la confiance en soi. Avoir confiance dans ce que j’étais, ce que je pouvais apporter et ce que je pouvais réaliser au sein d’une entreprise qui mettait à ma disposition le cadre et les outils. J’ai osé et j’ai continué d’y croire. Je pense que c’est cela, assorti d’une discipline et d’une organisation rigoureuses, ainsi que du courage et de la détermination, qui m’a permis de parcourir ce chemin aussi rapidement.
Propos recueillis par Othmane Zakaria
Nadine Tinen, 22 ans de carrière chez PwC
Nadine Tinen, 45 ans, est diplômée de l’Université de Bourgogne (Dijon) où elle a obtenu un DESS de Droit fiscal, un magistère de Droit des Affaires, fiscalité et comptabilité et un diplôme international de Droit fiscal européen. Spécialiste de la fiscalité, elle a développé au cours de ses 20 années d’expérience une expertise reconnue dans le conseil aux entreprises.
Elle débute sa carrière en 1996 chez PwC au Cameroun où elle est cooptée associée 10 ans plus tard. En 2010, elle prend la tête de la firme camerounaise et rejoint en 2014 l’équipe de direction de PwC Afrique francophone subsaharienne en qualité de Tax & Legal Leader, responsable de l’activité de conseil juridique et fiscal.
Nadine Tinen est par ailleurs Conseil fiscal agréé CEMAC et membre de l’Ordre national des Conseils fiscaux du Cameroun.