À la veille de la sortie de son nouvel album ce jeudi, le chanteur congolais Roga Roga a soldé un vieux conflit avec les Congolais de France. « Les combattants », ces Congolais qui militent contre le pouvoir en place à Brazzaville depuis l’extérieur, ont même réussi à annuler son concert prévu à Paris le 26 mai. Explications.
« Contentieux ». C’était le titre d’un album de l’interprète de rumba congolaise Rogatien Okombi Inambi, dit Roga Roga, sorti en 2014. Aujourd’hui, le chanteur tente de régler celui qui l’oppose à la diaspora de son pays en France. Alors que l’artiste a annoncé un concert au Bataclan le 26 mai pour la sortie de son album « 242 », sorti le jeudi 8 mars, « les combattants », ces Congolais qui militent contre le pouvoir en place à Brazzaville depuis l’extérieur, sont bien décidés à l’empêcher de se produire dans l’Hexagone.
Motifs de la discorde, les incontournables « libanga », ces dédicaces faites par des chanteurs en citant dans leurs titres des hommes du pouvoir, mais également une chanson de 2016 intitulée « Oyo ekoya eya », que l’on peut traduire par « Advienne que pourra ».
Dans cette chanson au vitriol, l’interprète écornait le mythe de la réussite des sapeurs, communément appelés « Parisiens » au Congo. Les adeptes de la Sape (Société des ambianceurs et des personnes élégantes), un mouvement né au Congo, se signalent par leur goût pour le chic et font de l’élégance un art de vivre. Il faut être « bien coiffé, bien habillé et bien parfumé ». Leurs retours au pays, appelés « descentes », sont l’occasion pour eux d’exhiber les vêtements ou accessoires de luxe achetés en Europe.
Métro, boulot, dodo, tel est mon quotidien. Ma richesse ce sont mes habits et mes chaussures de Château Rouge », chantait Roga Roga
« Métro, boulot, dodo, tel est mon quotidien. Ma richesse ce sont mes habits et mes chaussures de Château Rouge… », chantait ainsi Roga Roga. Le quartier du 18ème arrondissement de Paris est un point de ralliement des Congolais, connu y compris à 6 000 kilomètres plus loin dans les quartiers les plus reculés de Brazzaville, capitale de la République du Congo. Devant la levée de boucliers de la diaspora et les menaces de boycott, Roga Roga a depuis présenté ses excuses dans une vidéo publiée le 2 mars sur Facebook.
Roga Roga face aux « sapeurs »
Le combattant, Donald Ngouma, alias « Emperator », ne croit pas à la sincérité des propos de Roga. « C’est une technique commerciale, il a présenté des excuses hypocrites. Nous prenons acte mais son concert n’aura pas lieu et nous n’achèterons pas son album », affirme-t-il.
L’enjeu est de taille, non seulement pour les combattants du Congo-Brazzaville, mais également pour ceux du « Congo d’en face ». Ceux-ci craignent en effet que si Roga Roga arrive à jouer en France, cela ne crée un « précédent » pour les musiciens de la République démocratique du Congo. Or, les combattants de RDC sont parvenus à empêcher des grands artistes d’organiser des concerts en Europe depuis plusieurs années, à l’instar des stars panafricaines Fally Ipupa ou Koffi Olomide.
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Leur méthode : noyer la préfecture de Paris de courriers mettant en garde contre le désordre que créerait ledit concert, et qu’il est ainsi préférable d’annuler la manifestation. L’historique des actions musclées des combattants (destructions d’ambassades, bastonnades etc.) suffit généralement à convaincre les autorités.
Il ne faut pas divulguer « les vérités » de la France afin de garder intacte l’imagerie parisienne, le mythe
Parmi ceux qui se sont sentis ciblés par les paroles d’« Oyo ekoya eya », Ben Moukacha, une figure du milieu des « sapeurs », qui se targue d’être l’inventeur du concept de la « sapologie ». « C’est un secret de polichinelle mais cela a toujours été comme cela : il ne faut pas divulguer « les vérités » de la France afin de garder intacte l’imagerie parisienne, le mythe », confie-t’il. Cependant, le dandy souhaite la tenue du concert, afin de donner une chance aux artistes du Congo-Brazzaville, un peu écrasés par ceux du géant d’en face, de se faire connaître.
L’affaire Roga Roga est révélatrice de la politisation à l’extrême de la société congolaise
Au-delà d’avoir écorné la fierté des Congolais de la diaspora et « trahi leurs secrets », la brouille avec Roga Roga a des racines profondes. Pour le sociologue congolais Jean-Aimé Dibakana, enseignant à l’ENS, « l’affaire Roga Roga » est révélatrice de la politisation à l’extrême de la société congolaise. Elle intervient dans un contexte d’« hystérisation du débat public congolais sur les réseaux sociaux ». Dans une société déjà divisée, le débat sur la réforme de la Constitution et la campagne présidentielle qui s’en est suivie ont visiblement laissé des traces. Transparaît ainsi en filigrane la fracture entre majorité et opposition, entre Nord et Sud.
« Les Parisiens » sont une immigration issue majoritairement des populations Lari (une ethnie du Sud du pays), venant du quartier Bacongo, au Sud de Brazzaville. Une frange des Congolais majoritairement hostile au président Denis Sassou N’Guesso. Or, Roga Roga est non seulement du Nord mais il est également perçu par les Parisiens comme étant favorable au président, souligne Jean-Aimé Dibakana.
Nous devons faire des efforts pour ne pas tout politiser. Je suis musicien et le resterai même si […] j’accepte d’être payé pour écrire une chanson pour un politicien
Roga Roga pense avoir été incompris et souhaite tourner la page. « Nous devons faire des efforts pour ne pas tout politiser. Je suis musicien et le resterai même si j’ai des parents qui font de la politique ou si j’accepte d’être payé pour écrire une chanson pour un politicien. Il faut faire la part des choses. Il faut que le Congo soit uni pour pouvoir aller de l’avant », plaide-t-il.
Au Congo, entre diaspora et « diaspourri »
À Brazzaville, on observe la polémique de loin. Le Congo oscille entre méfiance envers une diaspora pro-opposition et l’attente de la voir apporter sa contribution au développement du pays. Roland Ouaya, jeune commercial brazzavillois dans la trentaine, juge que Roga Roga n’a fait que décrire la réalité.
« Certains sont dans des situations précaires, mais ils racontent autre chose aux parents restés au pays. La preuve : ils ne font pas grand-chose au Congo, comparé avec ce que réalise la diaspora sénégalaise dans son pays d’origine », estime-t-il.
Le 26 mai, nous allons jouer en France, pour l’unité nationale », affirme Roga Roga
Le député Ferréol Gassackys, rapporteur à la commission des affaires étrangères, de la coopération et des Congolais de l’étranger à l’Assemblée nationale, pointe le fait que ceux de l’extérieur ne participent pas aux scrutins et « se sentent exclus ». Il plaide en faveur de la création d’un siège de député représentant la diaspora.
Dernier signe d’une main tendue de Brazzaville, la nomination lundi 5 mars de Jean-Philippe Ngakosso, secrétaire général adjoint, chargé du département des Congolais de l’étranger au sein du ministère des Affaires étrangères.
En attendant, le Bataclan indique que le concert est bien annulé. Roga Roga, lui, l’affirme : « Le 26 mai, nous allons jouer en France, pour l’unité nationale ». Alors jouera, jouera pas ?