Le prix du baril du pétrole brut suit une tendance haussière depuis un an, entraînant une augmentation du prix du carburant à la pompe dans la plupart des pays consommateurs. Pour en avoir plus, notre rédaction a eu un entretien avec M. Diakaria Koulibaly, Directeur Général de l’Office National des Pétroles (ONAP). Interview…
Mediaguinee: Bonjour, M. Koulibaly
Diakaria Koulibaly : Bonjour !
Mediaguinee : La période 2014-2015 a été marquée par la chute du prix du baril, depuis plus d’une année, le cours du pétrole brut est reparti à la hausse, quel serait le facteur explicatif ?
DK : Courant des années 2014-2015, l’offre a largement excédé la demande pour raison de divergence entre les pays exportateurs de pétroles (OPEP) au sujet de la limitation de la production mondiale pétrolière.
Le prix étant la variable d’ajustement entre l’offre et la demande, ce déséquilibre s’est traduit par une chute du cours du pétrole brut.
Le prix du baril est passé de 46 dollars en novembre 2016 à 66 dollars mi-mars 2018 par référence au Brent
Ce n’est que début 2017 qu’il y a eu quasi alignement de l’offre et la demande à la faveur de l’entente de réduction de la production de Pétrole conclue entre les pays producteurs à Vienne le 30 novembre 2016.
Il s’en est résulté une hausse soutenue du prix du baril passant de 46 dollars en novembre 2016 à 66 dollars mi-mars 2018 par référence au Brent (source européenne de cotation) soit 43% d’augmentation.
Mediaguinee : Cette hausse du prix du baril expliquerait-elle cette flambée des prix du carburant à la pompe que nous observons actuellement dans la plupart des pays consommateurs ?
DK : Effectivement, le prix du carburant à la pompe évolue conjointement avec le cours du pétrole brut.
Mediaguinee : Est-ce que cela signifie que ces paramètres évoluent dans la même proportion ?
DK : Une évolution conjointe n’est pas forcément synonyme d’une corrélation parfaite.
En parallèle des cours du pétrole, d’autres éléments affectent les prix à la consommation du carburant dont entre autres la marge de raffinage, les coûts locaux de stockage et de distribution ainsi que la fiscalité intérieure.
Ces éléments généralement stables lissent dans une certaine proportion les variations des deux paramètres et c’est pour cette raison que le coefficient de corrélation bien que très élevé n’est pas identitaire.*
En Guinée, le prix du carburant reste tributaire du cours du pétrole et du taux de change
Mediaguinee : Pour revenir aux pays exportateurs de pétrole (OPEP) très souvent divergents sur leur position, quelle serait la raison de cette entente de Vienne ?
DK : La chute du cours du pétrole a affecté considérablement les finances publiques des pays exportateurs de pétrole.
L’aplanissement des écarts de position s’explique donc par un besoin de redressement budgétaire (besoin de rehaussement des recettes pétrolières).
Le manque à gagner pour les recettes pétrolières de l’Etat s’établit cumulativement à 62 milliards de francs guinéens pour 2017 et 161 milliards pour uniquement les deux premiers mois de l’année 2018
Mediaguinee : Alors parlons du contexte guinéen, quelle est la réalité du prix de carburant actuellement ?
DK : La Guinée est un pays importateur du Pétrole, le prix du carburant reste donc tributaire du cours du pétrole et du taux de change (les transactions étant libellées en dollars).
C’est pour cette raison que le prix du carburant en Guinée souffre toujours du double effet d’une flambée du cours du pétrole brut et d’un dollar fort.
Avec la hausse soutenue du cours du pétrole et le retrait du franc guinéen face au dollar, le prix réel calculé pour la vente du carburant aux consommateurs est supérieur à celui officiel appliqué à la pompe et ce, depuis février 2017.
Le manque à gagner pour les recettes pétrolières de l’Etat s’établit cumulativement à 62 milliards de francs guinéens pour 2017 et 161 milliards pour uniquement les deux premiers mois de l’année 2018.
Mediaguinee : Quelle serait la cause de cette forte variation ?
DK : La consolidation de la tendance haussière du cours du pétrole.
Le cours moyen du baril à fin février 2018 est de 65 dollars contre 48 dollars en 2017, il y a donc un renchérissement du coût d’importation qui, à défaut d’être répercuté sur le prix à la pompe, est amputé sur les recettes pétrolières de l’Etat au titre de la subvention des prix du carburant à la pompe.
Le Gouvernement a maintenu le prix à la pompe à 8 000 FG malgré la situation financière inconfortable par respect pour ses engagements contenus dans le protocole d’accord de février 2016
Mediaguinee : Quelle est la conséquence de cette situation pour l’Etat ?
DK : C’est le rétrécissement de sa surface financière et conséquemment sa propension d’investissement.
Mediaguinee : Et pourquoi le Gouvernement n’a pas ajusté le prix à la pompe dès février 2017 pour éviter une éventuelle hémorragie financière ?
DK : Le Gouvernement a maintenu le prix à la pompe à 8 000 FG malgré cette situation financière inconfortable par respect pour ses engagements contenus dans le protocole d’accord de février 2016 signé avec les acteurs (syndicats et patronat).
Mediaguinee : Quelle était la convention dans ce protocole ?
DK : L’accord stipulait ceci :
Les parties conviennent de maintenir le prix du litre du carburant à son niveau actuel.
Par ailleurs, elles conviennent que, si le prix du baril venait à augmenter, le prix à la pompe en Guinée continuera à être maintenu au prix de 8000 Gnf jusqu’en décembre 2016. Cependant, si le prix du baril se maintient à 57 dollars, le Gouvernement, le Patronat et le Syndicat conviendront du prix du litre à appliquer à la pompe dans les 90 jours.
Ces préalables sont satisfaits depuis octobre 2017 et à date le cours du baril de pétrole est le suivant :
65, 25 $ par référence à la cotation Américaine (WTI)
69, 50$ par référence à la cotation Européenne (Brent).
À préciser que notre pays s’approvisionne à partir de l’Europe.
La subvention du prix du carburant à la pompe est jugée contre-productive et abandonnée par la plupart des pays
Mediaguinee : D’aucuns estiment que le Gouvernement veut augmenter le prix de carburant pour générer des recettes exceptionnelles afin de faire face à ses engagements financiers conclus avec les syndicalistes ?
DK : Ceci n’est pas une bonne lecture de la situation.
Il ne s’agit pas de récolter des recettes additionnelles à travers une mesure exceptionnelle de rehaussement du taux fiscal ou d’élargissement de l’assiette d’imposition (mesure qui ne peut être mise en œuvre qu’après l’accord préalable du parlement). Mais, plutôt une nécessité d’ajustement du prix à la pompe de manière à permettre au Gouvernement d’encaisser les recettes fiscales pétrolières à la hauteur de la limite fixée dans le budget autorisée par l’Assemblée Nationale.
Mediaguinee : Les débats sur la subvention du prix du carburant sont controverses, quel est votre avis sur le sujet ?
DK : La subvention du prix du carburant à la pompe est jugée contre-productive et abandonnée par la plupart des pays. Pour la simple raison qu’elle vise à soulager les catégories de populations aux revenus indécents qui ne sont que très marginalement consommatrices du carburant.
Elle profite plutôt aux consommateurs à grande échelle comme les industries, le transport…, qui ont des tarifs de prestation ou de vente des biens très souvent rigides à la baisse.
Les couches vulnérables ont des aspirations qui sont les suivantes :
Le soulagement du panier de la ménagère, l’accès aux services publics (eau, électricité, santé, éducation, transport public…)
L’aménagement des routes et pistes rurales pour l’écoulement de la production rurale.
Il donc plus optimal d’exonérer les denrées de première nécessité et d’encaisser convenablement les recettes pétrolières afin de permettre à l’Etat de développer ces secteurs à fort impact social.
Les avantages comparatifs des prix constituent de terreaux propices pour les actions de spéculation et de contrebande transfrontalière
Mediaguinee : Récemment la Douane a montré à la télévision nationale des quantités importantes de carburant fraudées en Guinée en destination du Mali, qu’est ce qui justifierait cette pratique ?
DK : Conséquence d’un prix bas en Guinée par rapport à ce pays voisin.
Les avantages comparatifs des prix constituent de terreaux propices pour les actions de spéculation et de contrebande transfrontalière.
Cette contrebande transfrontalière est préjudiciable à l’économie des deux pays, d’où la nécessité d’une synergie d’action pour la combattre, ce qui n’est pas un travail aisé avec la perméabilité de nos frontières.
Mediaguinee : Merci M. Koulibaly
DK : C’est moi qui vous remercie.
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