Koulako Demba Camara est la fille unique de feu Aboubacar Demba Camara, affectueusement appelé «Le Dragon de la musique guinéenne », artiste et leader vocal du célèbre groupe ‘’Bembaya Jazz’’. Notre partenaire, le journal L’indépendant, est allé à sa rencontre à l’occasion de l’an 45 de la mort de son père.
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L’Indépendant : cela fait 45 ans depuis la disparition de votre père, qui était affublé du surnom ‘’dragon de la musique guinéenne’’. On sait qu’il a marqué son temps dans l’orchestre ‘’Bembeya Jazz’’, avant sa disparition tragique. Quels sont vos sentiments aujourd’hui Mme ?
KoulakoDemba Camara: Le sentiment que j’ai aujourd’hui, d’abord, c’est un sentiment de tristesse et de fierté en même temps. Quand je dis tristesse, cela sous-entend que mon feu père adorable n’est plus de ce monde musical où il a largement montré ses talents de musique en tant que leader vocal du groupe ‘’Bembeya Jazz’’.
J’étais très jeune. Je ne l’ai pas pratiquement connu et j’aurais aimé le connaitre et être avec lui comme tout enfant qui veut vraiment grandir avec son père.
Mais, Dieu ne m’a pas donné cette chance. Quand je dis aussi que c’est un sentiment de fierté, c’est parce que malgré qu’il soit mort très jeune, il est mort à 29 ans. Aujourd’hui, ça fait 45 ans, jusqu’à maintenant, tout le monde est fier de lui parce qu’il a fait la fierté de notre nation.
Donc ça, je me dis qu’il n’est pas mort pour rien. Il est mort très jeune. C’est vrai mais, en 10 ans de carrière, ce qu’il a pu faire, d’autres peuvent passer tout leur temps, ils ne pourront pas le faire. Je suis sincèrement fière de lui.
Votre père a marqué la culture guinéenne. Normalement, le gouvernement devrait commémorer chaque année sa mort. Mais le constat est que rien n’est fait pour l’immortaliser. Ne serait-ce pas à votre avis, un oubli de la part du gouvernement guinéen ?
Je ne dirais pas que c’est un oubli, mais plutôt, je dirais que le Guinéen est devenu négligeant. De façon générale, aujourd’hui, il faut le dire haut et fort, si j’ai vexé quelqu’un, je présente mes excuses. Le Guinéen ne connait que le présent. Quand tu fais quelque chose pour quelqu’un, c’est à l’instant, après là-bas, il oublie tout.
Cependant, au-delà de cet oubli, franchement, il faut également reconnaitre qu’il y a aussi des gens qui sont motivés dans le but de commémorer la mort de mon feu père artiste. Mais, ils n’en n’ont pas les moyens.
Je me rappelle une fois, le Sénégal l’a fait lors d’une de leur fête nationale. La délégation guinéenne invitée à cette commémoration allait jusqu’à 45 personnes et ils ont pris tout le monde en charge.
Quand nous sommes arrivés à l’aéroport, c’est le tapis rouge qu’ils ont déroulé à nos pieds. Il y avait tout le ‘’Bembeya Jazz’’, il y avait le gouverneur de la ville de Conakry à l’époque. Ce jour est un moment qui reste gravé dans mon esprit parce que le Sénégal a été reconnaissant à l’endroit de mon feu père.
Nous avons fait pratiquement une semaine de fête. Nous sommes partis même voir le président de la République d’alors, Abdoulaye Wade.
C’est le maire de Dakar, Pape Diop, qui avait initié ça à l’époque. Et il a fait à l’occasion de leur fête d’indépendance. Je vous rappelle que mon père est mort quand il partait célébrer leur fête d’indépendance. Le feu président Ahmed Sékou Touré les a délégués et c’était dans le cadre de réconcilier le Sénégal et la Guinée.
Moi aujourd’hui, quand je vais à Dakar, je ne me présente pas parce que je suis connue de tous.
Donc, je dirais que la Guinée n’a pas oublié les efforts accomplis par mon feu père pour l’émergence de la musique guinéenne. Mais, elle fait semblant de l’oublier et c’est exprès. Ça ne concerne pas mon père seulement, tout ceux qui ont travaillé pour ce pays, après leur mort, on les met à côté.
Vu que votre père est décédé pendant que vous étiez très jeune, dites-nous, qu’est-ce que vous retenez de lui comme souvenir ?
Pas trop, parce que quand il mourrait, j’étais très petite. Ce que je retiens de lui, dès fois, il me prenait, il me mettait sur sa moto pour aller se promener un peu.
Une fois, je me rappelle toujours de ça, c’était à l’aéroport, j’étais avec lui, il voyageait avec les Mariam Makeba. Cette dernière lui a même dit toi avec ta grosse et vilaine fille noire là. Mon père lui a dit : ‘’celle-là, elle ira loin. Je vais construire un château l’enfermer à l’intérieur et personne ne rentrera la voir’’.
Donc, ces genres de souvenirs que ma mère et ses sœurs me racontent souvent parce qu’il était très soudé à sa famille.
A un moment donné, vous réclamiez les œuvres de votre père. Mais, où en êtes-vous aujourd’hui ?
Les biens que mon père a laissés, ce sont ses œuvres musicales. Il y a beaucoup de polémique autour de ces œuvres appartenant à mon père dont Tonton Justin Morel est au courant, au moment opportun, je le ferai savoir sans détour.
Pour le moment, je ne vais pas citer quelqu’un, mais ce qui reste clair, ce sont les amis qui détiennent ces œuvres musicales. Mais, je suis en train de me battre afin de les récupérer dans le grand honneur.
Je veux récupérer toutes les œuvres de mon feu père. C’est pour lui et c’est son travail, c’est à moi, c’est moi son héritière, c’est à moi de donner à qui je veux.
Personne n’a le droit de prendre, de s’en accaparer et en faire ce qu’il veut. On dirait que ces ouvres leur appartiennent. Je vous promets que je ne laisserai pas même une miette d’œuvre avec eux
Le notaire est en train de travailler, il est sur la fondation. Je vais mettre ces œuvres au compte de la fondation. Ils vont me le payer tout le monde. Tous ceux qui sont concernés, vont me le payer.
Quels sont les gens qui détiennent vraiment les biens de votre père ?
Ça, je ne peux pas le déclarer maintenant là. Je garde ça pour moi pour l’instant, et je crois qu’ils ont bien compris. Je suis toujours là-dessus. Ils vont tous me les rendre d’eux-mêmes. Je ne suis pas obligée de passer par la justice pour l’instant.
Quel regard portez-vous de façon générale sur la culture guinéenne ?
La culture pour moi, les jeunes se battent, c’est vrai. Mais, je dirais encore que les jeunes sont dispersés. Ils ne font plus beaucoup de recherche dans le domaine de la musique.
C’est ce que je disais tout à l’heure. Si ceux qui ont marqué le pays sont oubliés,ils ne sont pas encouragés par les autorités, les autres n’auront plus le courage de travailler pour la patrie comme le groupe ‘’Bembeya Jazz’’. Chacun fera juste pour avoir de quoi manger. C’est pourquoi, je ne condamne pas ces jeunes, comme Sory Kandia, dans leur manière de gérer la musique en Guinée.
Votre dernier mot.
C’est de dire merci aux journalistes guinéens parce que si je dit pas cela, ça sera une ingratitude de ma part. En ce sens que chaque année, les journalistes viennent me voir pour parler de mon père.
Cela fait plus de trois jours, ils viennent me voir pour l’immortaliser. Je remercie également le peuple de Guinée parce que partout où je passe en tant que la fille de Demba, les gens sont là pour être à ma disposition. Je dirais encore au peuple de Guinée de se donner la main pour qu’on sache que la Guinée est une famille.
Interview réalisée par Léon Kolié