L’accord politique d’octobre 2016 signé par le parti au pouvoir, l’opposition et certains ambassadeurs occidentaux accrédités en République de Guinée, a contribué à apaiser la situation sociopolitique de la Guinée jusqu’à la proclamation des résultats par la CENI des élections locales du 4 février 2018.
Les mouvements qui ont découlé de la proclamation de ces élections ont endeuillé plusieurs familles guinéennes et causé la destruction de biens matériels.
Le 02 avril, la rencontre entre le Président de la République et le Chef de file de l’opposition s’est soldée par la suspension des manifestations politiques et la mise en application de l’accord politique d’octobre 2016.
Dès la reprise des activités du comité de suivi, la majorité parlementaire et la CENI ont émis de sérieux doutes quant à l’applicabilité dudit accord. Parmi les points soulevés, ils font entre autres état de l’expiration de la mandature de l’Assemblée nationale, de l’anti-constitutionnalité de l’accord politique et des difficultés à mobiliser un prestataire dans les délais idoines pour la révision du fichier électoral.
Cette analyse apporte quelques éléments de réponses.
- De l’expiration de la mandature de l’Assemblée nationale et de l’organisation des élections législatives en 2018
L’article 125 de la loi organique L/2017/039/AN du 24 février 2017 portant Code électoral révisé de la République de Guinée promulgué par le Décret présidentiel D/2017/197/PRG/SGG du 27 juillet2017, stipule que : « Le mandat des députés à l’Assemblée Nationale expire à l’ouverture de la première session ordinaire qui suit la cinquième année de leur élection.
La Nouvelle Assemblée dont l’élection des Députés est organisée dans le trimestre qui précède cette session entre en fonction à cette date. »
Ce passage de loi signifie qu’au regard de la tenue de la première session de l’Assemblée nationale, soit le 7 avril 2014, l’organisation des prochaines élections législatives ne doivent avoir lieu qu’à partir du 7 janvier 2019.
Un autre élément majeur dont font fi la CENI et la majorité parlementaire est que la loi de finances initiale 2018, ne prévoit l’organisation des élections législatives ni dans les hypothèses qui ont prévalu à la construction budgétaire, ni dans l’enveloppe dédiée à la CENI (316 Mdrs). L’organisation des élections communales de février 2018 est la seule échéance électorale qui figure comme hypothèse dans ce budget. Celle-ci s’est traduite par une disponibilité budgétaire de 200 Mdrs GNF. Or, en 2013, la CENI et l’Etat, pour organiser les élections législatives avaient dépensés environs 50 M USD. Si la majorité parlementaire souhaitait l’organisation de ces élections en 2018, il aurait fallu qu’elle exige de l’Etat, le budget nécessaire à leur tenue.
Organiser des élections législatives en 2018 reviendrait à violer le code électoral ou alors à avoir des députés élus qui ne pourront siéger qu’à partir du 8 avril 2019. Couplé à l’absence de financements identifiés par l’Etat, il est évident que les élections législatives ne peuvent avoir lieu en 2018.
- Du recrutement d’un prestataire pour la révision du fichier électoral dans des délais courts au regard des procédures de passation de marchés publics
Les articles 20 et 21 du Code des marchés publics (titre 2 – Passation des marchés, chapitre 2 – Appel à la concurrence) consacrent à l’autorité contractante, donc à l’Etat, la possibilité de recourir à des procédures flexibles dans certaines situations. La révision du fichier électoral est un impératif, et de ce fait, éligible à la qualification d’un marché en procédure concurrentielle négociée avec un chronogramme et des délais resserrés.
Les propos de la CENI tendent à créer le doute et n’ont aucun fondement juridique puisque le code électoral de 2017 consacre par ailleurs, en ses articles 16, 17, 18 et 19, la révision des listes électorales et le fichier électoral de manière annuelle ou à minima, avant la tenue de chaque élection.
Nonobstant les troubles et contestations découlant de chaque élection depuis 2013, les propos de la CENI confirment les doutes sur la capacité de cet organe à organiser une élection correcte si elle a des insuffisances aussi flagrantes sur l’interprétation de nos textes de loi.
- De l’anti-constitutionnalité de l’accord politique du 12 octobre 2016
Les accords du 12 octobre 2016 reflètent parfaitement les lois de la République. En aucun cas, ils ne les violent. Le propos inverse ne saurait traduire qu’une mauvaise foi politicienne ou une ignorance fondamentale de nos textes de loi.
Ceci étant, il est légitime de se questionner si cet accord politique n’est pas le fruit des caprices de l’opposition. Chaque accord politique signé entre elle-même et la majorité renforce l’image du Président de la République, celle d’un homme de consensus, réfléchi et soucieux de la quiétude sociale. Que ces accords soient respectés ou pas, le principal bénéficiaire reste M. Alpha Condé.
Qu’il y’ait accords politiques ou pas, les lois de la République doivent être normalement appliquées. Chaque négociation peut porter à diverses interprétations allant du copinage au détournement de la démocratie. L’opposition n’a aucun intérêt à signer un quelconque accord politique. Il a une valeur symbolique, il n’a aucunement valeur juridique tandis que la loi elle, traîne de la quasi-totalité des points figurant dans l’accord de 2014 et celui de 2016.
Il faut rappeler que lorsque le projet de loi de révision du code électoral était dans certains passages contraires à la constitution, la Cour constitutionnelle n’avait pas manqué de le renvoyer à l’Assemblée nationale pour qu’elle apporte les modifications nécessaires pour le rendre constitutionnel.
- Du retrait de l’opposition du comité de suivi de l’accord politique de 12 octobre de 2016 : entre jeux politiques intenables pour l’opposition et mauvaise foi politicienne du parti présidentiel
La CENI doit revoir ses éléments de mise en garde et prendre en compte l’ensemble des facteurs techniques, légaux et financiers concourant à l’organisation d’élections nationales transparentes et acceptées de tous. A défaut, elle se rendrait responsable de tout évènement malheureux qui résulterait de ses manquements répétitifs.
L’opposition est en droit de demander le retrait de ses représentants du comité de suivi, d’autant plus qu’aucun accord politique n’a jamais été respecté ou appliqué jusqu’ici. Si elle estime qu’elle aucune garantie, et seule elle est en mesure de le savoir, elle n’a d’autre choix que de se retirer. Mais pour faire quoi après ? Puisque les choses se sont de toute façon faites, l’opposition doit continuer donner une chance au dialogue si celui-ci peut ouvrir la voie au respect de la loi. Les manifestations, en l’état actuel des choses, ne sont pas tenables. Elles pourraient isoler l’opposition dans un retranchement qui lui desservirait politiquement.
Sur fond, le parti présidentiel déroule toute cette technique pour maintenir le statu quo dans le seul but de se maintenir au pouvoir. Il cherche à imposer des élections législatives avec un fichier plus qu’avantageux pour lui. Un fichier, faux et truffé de doublons volontairement intégrés, qui lui donne d’emblée des réserves de voix de près de la moitié de l’électorat national. Pour sécuriser les fraudes prévisibles, le RPG refuse la loi sur la réforme de la CENI qui lui est favorable car partisane et qui a montré toutes ses limites.
Si le parti présidentiel réussit à imposer des élections législatives bâclées, il est certain qu’il obtiendra une majorité suffisamment qualifiée pour engranger une modification constitutionnelle et qu’il imposera au pays M. Alpha Condé pour un autre (ou d’autres) mandat. Ou si ce projet échoue sous la pression populaire, le parti présidentiel garde tout de même une avance sur le fichier électoral qui lui permettra de battre confortablement tout candidat de l’opposition.
Ces petits jeux politiciens très mesquins mettront plus encore notre pays en retard puisque l’opposition semble parfaitement déterminée à combattre toutes ces manœuvres par des manifestations de rue. Au final, ce sont les populations guinéennes et la Guinée qui perdent. Il serait dommage que le pays retombe à nouveau dans une escalade de la violence et de tous ses corollaires que nous connaissons. Je ne lancerai pas d’anathème sur les dirigeants de la majorité et de l’exécutif mais il faudrait qu’à un moment, ils réfléchissent aux conséquences des actes malveillants qu’ils ont posés par le passé. Penser tromper l’opposition s’est toujours révélé source de problèmes et de pertes humaines et matérielles pour notre pays. L’intérêt de la République doit prévaloir dans toutes les décisions.
MS Diao Baldé.