Figure de proue du parti islamiste Ennadha, Souad Abderrahim, 53 ans, est bien placée pour devenir la première femme à prendre la tête de la mairie de Tunis.
Une femme à la tête de la mairie de Tunis. Le symbole pourrait être fort d’autant plus qu’avec son tailleur pantalon et son brushing parfait, Souad Abderrahim est loin de l’image classique du parti islamiste Ennahdha. Avec 33,8 % des voix selon les premières estimations de Sigma, talonné par Nidaa Tounes avec 29,2%, la candidate est bien placée pour être nommée maire par un conseil municipal qui sera majoritairement composé de membres de son parti.
Un score – tout relatif, étant donné le taux de participation extrêmement faible de 27 % dans la capitale -, qu’elle a célébré dès le soir des élections, au milieu des militants en joie au QG du parti, sans attendre la publication des résultats officiels par l’Instance supérieure indépendante pour les élections.
Si elle est élue par le futur conseil municipal, ce sera une double première pour la capitale. Première femme « Cheikh de la Médina », mais également premier maire à être nommé par un conseil municipal élu – et non pas désigné par les autorités au sein de familles de notables comme c’était le cas jusque-là. Pour Souad Abderrahim, maire de Tunis est la consécration d’un long militantisme.
Une militante de la première heure
Du temps de ses études de pharmacologie à l’Université de Monastir, Souad Abderrahim militait déjà pour le courant islamiste. Membre du bureau exécutif de l’Union générale des étudiants tunisiens, elle se fait remarquer.
« Ce n’est pas étonnant qu’Ennahdha ait choisi une femme comme elle. Déjà à l’époque, elle apparaissait comme une militante convaincue, au fort caractère », se souvient le politologue Riadh Sidaoui qui l’a côtoyé lors des AG étudiantes du temps de sa vie universitaire.
A cette époque, les tensions entre militants de gauche et islamistes dans les facs sont nombreuses. Son engagement lui vaudra même 15 jours de prison, en 1985, pour avoir voulu séparer une bagarre. Elle sera contrainte d’arrêter ses études pour un temps, sous la pression du ministère de l’Intérieur. Elle quitte alors le voile et devient pharmacienne.
Nous n’utilisons pas les femmes comme des vitrines
Ce n’est qu’après la Révolution de 2011 qu’elle s’engage de nouveau en politique. Elle milite alors pour le parti islamiste Ennhadha, et assiste aux rencontres du parti aux côtés de Rached Ghanouchi. Très vite, elle devient l’une des figures de proue du parti.
Députée au sein de la première Assemblée constituante de l’après-Révolution, elle prend la tête d’une commission sur les droits de l’Homme et les libertés. Elle y apprend à exercer la politique de 2011 à 2014.
Une candidature stratégique
Beaucoup voient cette image de femme moderne, tailleur-pantalon, cheveux à l’air libre… Loin de l’image de militantes majoritairement voilées du parti. « Elle n’a pas gagné parce qu’elle porte ou non un voile, elle a gagné parce qu’elle a fait une bonne campagne et qu’elle est compétente. Son parcours le prouve », s’insurge son ancien collègue à l’Assemblée, Nawfal Jemmali qui défend « la politique féministe » de son parti.
« Nous n’utilisons pas les femmes comme des vitrines, nous faisons tout pour que les femmes elles aussi aient des postes importants, et accèdent au leadership car ça nous tient à cœur », précise-t-il.
Députée, ancienne syndicaliste étudiante, le CV de Souad Abderrahim la place d’emblée comme une candidate sérieuse et convaincue. Il n’empêche que sa possible nomination en tant que maire serait à coup sûr symbolique.
Comme Erdogan, qui a commencé sa carrière par la mairie d’Istanbul, les islamistes tunisiens veulent faire de la capitale leur fer de lance
« Ennadha a fait preuve de stratégie. Le profil de femme moderne de Souad Abderrahim est aussi un message à l’étranger. Le parti veut montrer qu’il est moderne et tolérant », analyse Riadh Sidaoui, directeur du Centre arabe de recherches et d’analyses politiques et sociales à Genève, pour qui Ennahdha est le seul parti aussi organisé et mobilisé.
« Islamisation par le bas »
Pour lui, le parti islamiste « joue à long terme », et ces municipales représentent une victoire stratégique : « Comme Erdogan qui a commencé sa carrière par la mairie d’Istanbul, les islamistes tunisiens veulent faire de la capitale leur fer de lance ».
Une logique mûrie par les observations du contre-exemple égyptien : « Le parti fait tout pour se différencier des Frères musulmans et s’emploie à être vu comme l’équivalent des partis chrétiens-démocrates en Europe. Et cela passe par cultiver une image de tolérance et de modernité, ce que ces municipales ont bien montré », décrypte le politologue.
Les mères célibataires sont une infamie
« Ennahdha a une logique d’islamisation par le bas », explique le politologue pour qui cette candidature – comme celle de Simon Slama, candidat juif sur la liste d’Ennahdha à Monastir – sont d’abord des messages envoyés à l’étranger. Cette dédiabolisation s’est faite en écartant ceux qui avaient tenu des propos extrêmes, au profit de profils plus respectables comme celui de Souad Abderrahim.
L’image de tolérance a toutefois déjà été égratignée par plusieurs faux-pas médiatiques. En 2011, aux premières heures de la carrière politique de la probable future maire de Tunis, cette mère de deux enfants, marié à un pharmacien, avait affirmé que « les mères célibataires sont une infamie. Elles ne devraient pas aspirer à un cadre légal qui protège leurs droits ». L’interview, accordée à la radio Monte Carlo Daoualiya, provoque un tollé. Ce qui lui valu, auprès de ses détracteurs, le surnom de Souad Palin – en référence à la très conservatrice Sarah Palin, figure du parti républicain aux États-Unis.