●A propos, malgré un bilan plus ou moins « positif » au gouvernement comme nous l’avons lu dans votre réponse faite aux allégations de l’ancien Premier ministre Sidimé, quelles furent donc les raisons officielles de votre limogeage du gouvernement en janvier 2000 ?
■《C’est une longue histoire. D’abord le feu président Conté n’était pas obligé de s’expliquer sur le pourquoi de m’avoir enlevé comme il ne s’en est pas expliqué quand il m’a invité au gouvernement. C’est dire que le pouvoir de nommer ou de révoquer un ministre est un acte discrétionnaire du président de la République, il n’est par conséquent pas entouré d’une quelconque obligation de motivation. Ceci étant, mon limogeage a été le résultat d’une forte cabale bien étoffée, l’une des plus grandes tromperies dont le président, selon son propre jugement, ait été victime durant tout le temps qu’il a passé à la tête du pays. Mais à peine que je sois parti du gouvernement, qu’il s’est rendu compte de la supercherie. Pendant plusieurs années, il a commis des amis et des membres de la famille pour me faire revenir, hélas je n’étais plus intéressé parce que mes blessures étaient encore très profondes ; parce que mes principes dont je suis et reste esclave avaient été violés et de manière violente. Vous vous souviendrez certainement qu’avec l’effet du temps qui est le maître de la sagesse et eu égard à la perte de repères dont il était l’objet, j’ai enfin accepté de venir répondre à son appel. Le Premier ministre Kouyaté venait d’être nommé. Joint par celui-ci depuis Abidjan avant de rejoindre son poste, il me suggère très amicalement qu’il est temps que je revienne au pays. J’ai dit que sa nomination me donnait l’occasion d’envisager une visite au pays sans me voir en situation difficile de dire non au président quant à mon retour au gouvernement, donc le retour définitif en Guinée n’était pas dans mes projets. Le président est venu personnellement m’accueillir à l’aéroport et m’a raccompagné également à mon départ de Conakry en dépit de la précarité de sa santé. Ce qui était, on ne peut plus, le signe concret d’un attachement assez considérable à ma modeste personne ou en tout cas d’une appréciation plutôt positive de notre collaboration. Ceux qui savaient le dessous des choses ont analysé le geste comme une façon de s’excuser.》
●En quoi a consisté cette grande tromperie ?
■《Écoutez ! L’entourage présidentiel à l’époque a fait un montage politico-policier des plus machiavéliques, plutôt digne de la Gestapo. La machination a consisté à manipuler le président sur un prétendu coup d’État qui serait à un stade très avancé de préparation et dont je serais l’instigateur. Un concours de circonstances donnera l’occasion rêvée à cet entourage de fournir un minimum de substance à son allégation de complot. Nous sommes en janvier 2000. Le président Conté décline l’invitation qui lui est faite de prendre part à un Sommet africain avec le Fonds Monétaire International devant se tenir à Libreville. Le directeur général du Fonds à l’époque, M. Michel Camedessus, me charge d’intercéder auprès du président pour reconsidérer sa position étant donné qu’à cette époque la Guinée figurait dans le pelletons de tête des pays dits « à succès » dans l’exécution du programme avec le Fonds Monétaire. En effet, la revue du programme guinéen de la FASR venait d’être approuvée quelques semaines auparavant par les Conseils d’Administration du FMI et de la Banque Mondiale. J’insiste donc auprès du président pour qu’il accepte de participer au Sommet de Libreville. Il finit par céder à ma plaidoirie à l’issue d’âpres discussions. Comme il est de coutume, je l’ai donc devancé de deux jours à Libreville pour la conférence ministérielle qui précédait le Sommet des chefs d’État. C’est le jour de son départ pour Libreville, alors qu’il s’apprêtait pour l’aéroport que l’on en vient à la découverte d’un complot imminent monté de toutes pièces que j’aurais fomenté et qui aurait été exécuté dès sa sortie du territoire national. Et de soutenir que mon insistance pour le départ du président à Libreville s’inscrivait dans le cadre de la mise en œuvre dudit complot. Comme si cela ne suffisait pas, l’on arrange des visites et coups de fil téléphoniques entre le président, des marabouts, et autres charlatans et joueurs de cauris pour attester l’idée de complot et lui fournir des « hints’ comme quoi il devait absolument se débarrasser, sans délai, de l’un de ses plus proches collaborateurs, alors en déplacement à l’étranger car ce collaborateur serait au centre d’un coup d’État en préparation. Bien évidemment, j’étais ce collaborateur en déplacement. Le président annula in extremis le voyage de Libreville. Je rentre à Conakry après le Sommet et je fus limogé le lendemain de mon retour.》
《Mais la conspiration ne s’est pas arrêtée là, il restait un dernier acte. Elle devrait se poursuivre par mon arrestation pour complot, et pire mon assassinat. Je l’ai appris du président lui même. Contrairement à ses habitudes de ne pas recevoir ses anciens collaborateurs du gouvernement une fois remercié, il m’a téléphoné à venir le voir deux jours seulement une fois sorti du gouvernement. Il venait d’être mis au courant de cette vaste machination. Un des conspirateurs aurait trahi le groupe pour l’informer de ce qui se tramait contre moi : une arrestation pour complot suivie d’élimination physique. On aurait par la suite justifié ma mort, après coup, au regard du président de la République et de l’opinion, par une crise cardiaque. Je l’ai su parce que le président me l’a dit en personne. Il a pris des mesures conservatoires en instruisant, selon lui, à son conseiller à la sécurité d’alors Amadou Camara, « de veiller à ce que rien n’arrive à Kassory ». Je n’ai pas pu vérifier l’information avec le frère Amadou Camara car j’ai quitté la Guinée le lendemain de cette entrevue avec le président. Un fait troublant cependant : à l’occasion de mon départ de Conakry, la police de l’air et des frontières aurait tenté d’empêcher mon embarquement sous le prétexte fallacieux qu’elle aurait des instructions expresses de la présidence de la République de ne pas me laisser sortir de la Guinée. Si cette information s’avérait juste, cela veut dire que j’étais déjà un prisonnier virtuel. Et il n’y a pas de raison de ne pas y croire car ceci m’a été confirmé par la suite par mes amis les ministres Cellou Dalein Diallo et Sékou Koureissy Condé qui m’ont accompagné à l’aéroport. Ce dernier, alors ministre de la Sécurité avait engagé sa responsabilité personnelle à me laisser partir car lui il était au courant de mon entrevue avec le chef de l’État dont les conspirateurs n’avaient pas encore eu le « feedback ».》
●Mais qui sont ces conspirateurs ?
■《Le président ne m’a pas donné de nom spécifique. Il m’a simplement dit qu’il a compris la machination qui était orchestrée contre ma personne. A cet effet, comme je viens de le dire, il a donné des instructions fermes à son conseiller Amadou Camara de veiller de veiller à ce que rien ne m’arrive !》
●Vous êtes accusé par vos détracteurs d’avoir participé au pillage des deniers publics en Guinée. L’argument utilisé est que votre salaire de ministre guinéen ne peut en rien donner l’explication de votre train de vie en Amérique. Avez-vous des ressources vérifiables qui peuvent contredire ces détracteurs par rapport à votre mode de vie aux États-Unis ?
■《Ma portion congrue est que tous les ministres du président Conté sont des « voleurs ». J’ai été son ministre donc je suis forcement « voleur ». Je crois que j’ai commencé à donner des éléments de réponse dans ma lettre ouverte au CNDD. Jusqu’en l’an 2000, à mon départ du gouvernement, la Guinée n’était pas si mal gérée. En fait, notre équipe gouvernementale à l’époque dénommée l’équipe « Sidya Touré » a remis l’économie à flot de 1996 jusqu’à mon départ du gouvernement, même si, entre temps monsieur Sydia a été remercié du gouvernement. C’est cela la vérité que confirme d’ailleurs l’existence d’un programme formel avec les institutions de Washington.》
《Dans le monde d’aujourd’hui, la norme internationale est que le quitus du Fonds Monétaire est une preuve de bonne gestion économique, ou en tout cas, la preuve que les tendances macroéconomiques évoluent dans la bonne direction. Je le répète ici, le gouvernement Sidimé est la source de toutes les dérives du régime Conté : tripatouillage de la constitution, violations des droits de l’homme, gabegie financière institutionnalisée, etc…. Le corollaire de tout cela a été la descente aux enfers pour les guinéens dans leurs conditions de vie et les troubles sociaux qui s’en sont suivis.
《Pour en venir à ma modeste personne, bien qu’il revienne à mes détracteurs de prouver leurs allégations, je vais quand même vous donner quelques indications de ce que vous appelez train de vie. Je vis dans une maison, que j’ai achetée à crédit à la sixième année de mon séjour en Amérique, et je conduis une voiture que j’ai acquise en seconde main depuis 2001. J’ai une deuxième voiture que j’ai achetée à crédit depuis deux ans pour ma famille. Je ne suis certainement pas misérable Dieu merci, mais je mène une vie bien à la portée de milliers de nos compatriotes ici et ailleurs dans le monde. Malgré tout ce qui a été dit ou écrit je n’ai que la seule maison à l’étranger. Au pays je n’ai pas posé une brique après mon accession à la fonction ministérielle jusqu’à mon départ du gouvernement. J’ai deux maisons à Conakry et une à Forécariah toutes construites sur la période 1983-1993. Celle de Forécariah n’a été achevée que pendant mon séjour aux États Unis. Je suis fier de pouvoir dire malgré toutes les élucubrations dont j’ai été victime, je n’ai fait aucune acquisition de patrimoine immobilier public à mon profit ou en faveur d’un des miens. Vous ne trouverez même pas un terrain de l’État transféré à mon nom ou pour le compte d’un membre de ma famille. Et pourtant, le patrimoine bâti relevait de mon autorité en ma qualité de ministre des Finances à l’époque.》 Je voudrais aussi préciser que je suis le seul ministre qui, pendant les vingt cinq dernières années, a mené une lutte sans merci contre la corruption. Cette lutte s’est soldée par l’arrestation et la radiation de cadres de haut niveau, y compris dans mon département, sans même me soucier d’être dénoncé par qui que ce soit et pour quoi que ce soit. Dans mes efforts de lutte contre la corruption des milliards d’argent détournés ont été recouvrés en mon temps, des bâtiments privés ont été saisis en gage de remboursement, et des poursuites judiciaires engagées contre les délinquants. Encore une fois, je crois que la plate-forme politique offre l’opportunité de débattre de tous ces problèmes pour permettre aux guinéens de se rendre compte que nous ne sommes pas tous pourris comme ce que j’ai appelé les « non initiés » veulent le faire croire. Je salue l’initiative prise par le CNDD et qui a fait hier (samedi 4 juillet 2009, ndlr) l’objet d’un communiqué de presse portant sur l’audit de tous les gouvernements en Guinée dans le dernier quart de siècle. Certains amis m’ont suggérés de renoncer à mon voyage en Guinée en raison de cette nouvelle donnée. Je dis non ! Bien au contraire, je confirme mon voyage pour la Guinée et suis disposé à me soumettre à tout audit. Pour ce qui est de mes revenus, j’ai une société qui s’appelle IF Global. Comme n’importe quel business, j’ai des hauts et des bas. En plus si je suis riche de quelque chose, c’est bien de mon carnet d’adresses suffisamment étoffé pour dénicher des opportunités d’affaires à saisir à travers le monde.》
●Tout de même l’on se souvient d’une conférence de presse de l’ex président de l’Assemblée Nationale, El hadj Biro à son retour d’un voyage des États Unis en 2001 au cours de laquelle, il a informé l’opinion guinéenne que vous auriez été arrêté à votre arrivée à l’aéroport de New York avec une mallette contenant 6.000.000 de dollars américains. Malgré la saisie de ce montant, vous auriez acheté immédiatement un immeuble entier à Manhattan. A notre connaissance, vous n’avez jamais répondu à ces accusations pourtant assez graves. Doit on en déduire que le silence est un aveu ?
■《Pas du tout ! J’avais décidé de faire un trait sur ma vie publique et ceci, quel qu’en serait le prix à payer, en termes de discrédit par exemple. En l’espèce, pouvez-vous imaginer que dans le monde contemporain, qu’on puisse transporter des millions de dollars en espèces sonnantes d’un pays à l’autre ? Peut-on saisir un tel montant en possession d’une personne et que celle-ci bénéficie encore du droit d’entrer et de résidence aux USA ? Pensez vous qu’il soit financièrement à la portée d’un Africain, de surcroît un Guinéen, fut-il ministre des Finances, de s’acheter un immeuble dans Manhattan ? Il s’agit là d’une question de centaines de millions de dollars qui dépassent la capacité financière même de l’État guinéen. En vérité, le doyen El hadj Biro a juste répété les affabulations qui alimentent à dessein, la rumeur publique. A cela, il faut ajouter que nos rapports professionnels avaient été entachés de petits différends.》
●Peut-on connaître la nature de ces différends ?
■《Ce n’est vraiment pas important. Ceci n’avait rien de personnel en réalité. On s’est d’ailleurs réconcilié par la suite, car la plupart de ses enfants sont des amis à moi. Mais si vous tenez à savoir la nature du différend, c’est que le Doyen n’admettait pas que je restructure le budget de fonctionnement de l’Assemblée Nationale ou que je me permette de réduire des allocations pour ses missions à l’étranger ou celle de ses collègues députés comme je le faisais pour tous les officiels. Je me souviens que nous avons eus, par moment, des échanges épistolaires parfois épiques. Il m’a écrit par exemple en ces termes : » Monsieur le ministre des Finances, vous devez savoir qu’en ma haute qualité d’élu du peuple de Guinée j’ai le droit de disposer pleinement de mon budget. » Et moi de répondre : « Monsieur le président de l’Assemblée Nationale, je vous prie de noter qu’en ma modeste qualité de fils du peuple de Guinée, j’ai le devoir de réguler la dépense publique en fonction des recettes, compte tenu du programme d’ajustement structurel en cours d’exécution ». Toutefois, dois-je préciser que ce genre de différends était chose courante entre le ministre des Finances que j’étais, soucieux des équilibres financiers et la plupart des officiels du pays pour les mêmes raisons (les épouses du président de la République, le cabinet présidentiel, mes collègues ministres, etc…).》
Source:Archive Guineenews(interview de Kassory Fofana 2009)