Samba Bathily : Enlevez les frontières
Entrepreneur malien, conseiller de l’Initiative AfroChampions, Samba Bathily PDG de Africa Development Solutions (ADS) explique l’urgence, pour l’Afrique, de révolutionner ses pratiques commerciales. Les frontières sont un frein audéveloppement et l’économie doit passer outre.
Par Guillaume Weill-Raynal
Dans l’initiative AfroChampions, qu’est-ce qui vous paraît le plus fondamental, l’essentiel par rapport aux problématiques que vous rencontrez dans votre activité quotidienne ?
Le plus important, c’est d’abord l’effet fédérateur : pour une fois, nous allons travailler ensemble. C’est cette unité qui manque le plus, aujourd’hui, en l’Afrique. Cette mutualisation de réseaux, et aussi, de moyens. Dans la plupart de nos pays, les opérateurs économiques passent du temps à batailler sur des dossiers au lieu de s’unir pour construire cette Afrique qui a besoin de tout le monde pour son développement. Il ne peut pas y avoir de développement sans union.
Nous voulons favoriser dans chaque pays le développement de champions dans les secteurs les plus divers. Ainsi, dans le solaire, si je souhaite développer un projet, je trouverai dans chaque pays un interlocuteur fiable qui me permettra d’accélérer mon développement.
Et cette union, nous devons l’avoir d’abord au niveau des opérateurs économiques africains, ce qui nous permettra de parler d’une même voix face au secteur public.
Mise en chantier de la ZLEC, le forum de Kigali où l’on réfléchit sur le marché numérique unique… En quoi ces initiatives rejoignent-elles les ambitions du groupe que vous dirigez et va favoriser les opérations qu’il conduit ?
2018 est pour nous un tournant décisif. L’accord sur la création de la ZLEC était tellement attendu, par tous les Africains ! C’est la seule porte de sortie pour l’Afrique, il n’y en a pas d’autres ! Nous ne pouvons continuer de réfléchir à l’échelle de pays de dix ou quinze millions d’habitants, faute de quoi nous ne nous en sortirons pas.
C’est toute la raison d’être et la vocation d’AfroChampions : mobiliser le secteur privé pour faire de la ZLEC une réalité et un succès. C’est ce que nous avons dit à l’UA quand nous avons commencé les discussions : vous pouvez prendre toutes les lois, toutes les décisions que vous voulez, mais si le secteur privé n’est pas avec vous, rien ne se passera ! Le message est passé. Maintenant, nous devons travailler pour que le projet puisse être une réussite d’ici deux ou trois ans.
Jugez-vous que la mobilisation du secteur privé est la clé de tout, grâce à quoi les partenariats public-privé vont être différents et plus performants ?
Le secteur public doit aussi se mobiliser. Lorsque nous avons lancé l’Initiative AfroChampions, nous avons considéré qu’il fallait rassembler le secteur privé, tout en entamant, dans le même temps, un dialogue avec les acteurs publics et les chefs d’État, pour leur faire prendre conscience de la nécessité de renforcer les acteurs africains émergents.
La plupart de nos économies ne sont pas contrôlées par les acteurs privés africains. Nous demandons un partage égal. Nous acceptons l’ouverture au monde, aux autres investisseurs étrangers, mais l’Afrique doit pouvoir garder une partie de sa richesse. Il y va de la stabilité de nos pays.
Et du monde ! Si nous ne gardons pas la richesse localement, nous ne pourrons pas créer d’emplois. Aujourd’hui, douze ou treize millions de personnes arrivent sur le marché de l’emploi. Que va-t-il se passer si on ne propose pas d’emploi à ces jeunes ? Nos pays seront déstabilisés, puis ceux de nos voisins de la Méditerranée. Si les Africains n’ont pas d’opportunités sur leur continent, ce sera un milliard de personnes qui traverseront la Méditerranée.
Et tous les gouvernements sont réceptifs de la même manière à ce discours ? Parce que les situations sont très inégales d’un pays à l’autre…
S’il y a une chose sur laquelle tous les chefs d’État, tous les politiques, sont sensibles, c’est la problématique de l’emploi des jeunes. Ils savent tous qu’ils sont assis sur une bombe à retardement. S’ils ne favorisent pas aujourd’hui un secteur privé dynamique, pour créer de la richesse et pour contenir cette richesse, ils savent que leur pouvoir ne se maintiendra pas. C’est quelque chose qu’ils comprennent très bien. Oui, tous ! C’est un message que nous avons bien fait passer. Ils sont parfaitement conscients qu’ils doivent développer les acteurs locaux.
Pour en revenir à vous et au groupe ADS, quel est le projet dont vous êtes le plus fier, et qui va dans le sens de l’esprit d’AfroChampions ?
Ce dont je suis le plus fier, c’est que quand je traverse l’Afrique, je vois les projets que j’ai aidés à financer, et qui sont en train de voir le jour. J’ai contribué à l’installation de plus de 28 000 km de fibre optique. J’ai participé à la production de plus de 1 000 MW d’énergie hydroélectrique, à la mise en place de plus de 1 800 km de lignes haute tension, à la création de plusieurs data-centres, d’équipements solaires dans plus de 1 600 localités – cela touche entre 9 et 10 millions de personnes… J’ai non seulement travaillé à la mise en place des projets, mais aussi à la structuration des financements. Ce n’était pas une mince affaire ! À chaque fois, il faut se battre pour convaincre. Du président au moindre technicien.