Crise de la dette, poids de la Chine, philosophie d’intervention, fiabilité des données, industrialisation… La patronne du Fonds livre son analyse des grands dossiers économiques du continent.
Le Fonds monétaire international (FMI) ne peut pas avoir raison. Qu’il en fasse trop ou pas assez, il est critiqué. Un temps la plus puissante institution financière du monde, dans les années 1970 et 1980, le FMI était devenu l’arbitre en chef de l’économie des pays en développement. Les gouvernements qui n’ont pas suivi ses préceptes ont été contraints, plus ou moins discrètement, de repenser leurs politiques sous peine d’être exclus de la communauté des pays financièrement responsables.
Un éminent économiste nigérian, Pius Okigbo, comparait le Fonds à une escouade d’inspecteurs de l’hygiène économique. Ses remèdes, incluant d’importantes coupes budgétaires dans les dépenses publiques, furent largement critiqués, tant ils mettaient en péril la stabilité politique des nations. En Afrique et en Amérique du Sud, ils ont été suivis de plusieurs changements de régime.
Aujourd’hui, le Fonds est taxé de bavardage. Quand sa méthode était jugée trop brutale et intrusive, les critiques reprochent désormais à l’institution de ne pas être suffisamment active, de perdre son statut et d’être mise sur la touche par des marchés financiers dérégulés et par la Chine, devenue l’un des principaux bailleurs pour les économies en développement.
En particulier en Afrique, le FMI est accusé de passivité juste après avoir mené un effort sans précédent dans le cadre de l’initiative « pays pauvres très endettés » (PPTE). Le FMI, la Banque mondiale et le Club de Paris ont annulé des milliards de dollars de dettes des trente-six pays les plus pauvres de la planète, dont trente étaient africains. L’initiative PPTE aurait dû permettre à ces gouvernements de se réendetter de manière responsable, de relancer leurs économies et de créer des emplois.
Nouvelle crise de la dette
Cela n’a pas fonctionné aussi bien que ce fut imaginé. Depuis la crise financière mondiale de 2008 et l’effondrement du prix des matières premières qui s’est ensuivi, les pays en développement se sont lourdement réendettés. Sur soixante pays à bas revenus, vingt-quatre subissent actuellement une crise de la dette ou sont sur le point d’en connaître une. Au cours des cinq dernières années, leur nombre a doublé.
C’est dans ce contexte que Christine Lagarde, directrice générale du FMI, a donné une interview au groupe Jeune Afrique, défendant le rôle de son institution et expliquant comment elle tente d’arrêter la propagation de cette nouvelle crise. Elle reconnaît le besoin d’améliorer nettement la qualité de la collecte des données et de travailler plus étroitement avec la société civile pour améliorer la surveillance des économies et l’efficacité des programmes du FMI.
Sortir de cette nouvelle crise et empêcher que davantage de pays soient entraînés dans le tourbillon de la dette implique désormais beaucoup plus d’acteurs que ceux engagés dans l’initiative PPTE. Entre 2013 et 2016, la part de la Chine dans la dette des pays pauvres a dépassé le total détenu par le Club de Paris, la Banque mondiale et toutes les banques de développement régionales, selon Masood Ahmed, président du think tank Center for Global Development.
Durant la même période, les prêts concessionnels des pays riches aux économies les plus pauvres ont diminué de 20 %. Les critiques ajoutent que les règles suivies par le FMI et la Banque mondiale pour l’octroi de prêts sont trop rigides, forçant ces pays à contracter des dettes commerciales avec des taux d’intérêt plus élevés et des échéances plus courtes. Et, bien que le nombre et la variété des créanciers opérant en Afrique – des banques commerciales aux négociants en matières premières comme Glencore – aient augmenté de façon exponentielle, Lagarde insiste sur la volonté du Fonds de jouer un rôle de premier plan dans l’accompagnement des États afin d’orienter leurs politiques et de leur éviter les écueils du passé.
Christine Lagarde : Je vois deux tendances parallèles pour le moment. D’une part, il y a cette montée des mesures protectionnistes, la montée des tarifs, les barrières non tarifaires, les restrictions au commerce entre certains pays. Nous pensons aux face-à-face entre les États-Unis et la Chine, les États-Unis et l’Europe, à ce que font certains pays européens.
C’est préoccupant pour ces économies, mais aussi pour l’Afrique. Et vous avez une voie parallèle de renforcement des accords de libre-échange : entre l’Union européenne et le Japon, entre le Canada et l’UE, les négociations entre le Mercosur [Marché commun réunissant l’Argentine, le Brésil, le Paraguay, l’Uruguay et le Venezuela] et l’Europe, et l’accord sur la zone de libre-échange africaine. Cela ne va pas conduire instantanément au développement, car il y aura une longue période de transition. Mais pour les pays africains qui essaient de construire leurs chaînes d’approvisionnement, en déterminant quels marchés seront les moteurs dans dix ans, c’est un signal très fort. Si nous examinons la première piste – la montée du protectionnisme et les restrictions commerciales –, cela aura des répercussions indirectes. Si vous incluez la dimension confia