République de Guinee :
Hors des ténèbres de la Mémoire sélective
Éclairage
Après avoir voté « non » au référendum du 28 septembre 1958, la Guinée proclame son indépendance le 2 octobre. La France prend des mesures de représailles à l’égard du nouvel État qui refuse la Communauté française. Dans l’esprit du Général, cette communauté doit constituer un lieu d’apprentissage et permettre un accès à l’indépendance négocié entre chaque territoire et Paris. Le gouvernement français supprime les aides financières et techniques, stoppe les projets d’investissement (hormis l’exploitation de Bauxite à Fria) et entend isoler la jeune République. Il fait pression auprès de ses alliés pour que la reconnaissance de la Guinée n’intervienne qu’après le transfert négocié de la souveraineté. Mais l’indépendance de ce pays riche en ressources minières constitue un enjeu trop important dans le contexte de la guerre froide pour que les partenaires occidentaux prennent en compte les objections de la France. En refusant de se plier à la pression de la métropole, la Guinée acquiert par ailleurs un prestige international éclatant auprès des autres pays africains et des non alignés. Sékou Touré multiplie les ambassades auprès des pays voisins et du bloc de l’Ouest comme de l’Est. Dès le 4 octobre, le président du Soviet suprême de l’Union soviétique, le maréchal Vorochilov, salue « la victoire remportée par le peuple de Guinée dans sa lutte héroïque pour la liberté et l’indépendance », étape majeure dans « la voie de la libération de l’Afrique du joug colonial ». Cette première reconnaissance s’accompagne de celle de la plupart des autres pays communistes, et la Grande-Bretagne et les États-Unis, craignant que la Guinée ne bascule dans le « camp marxiste », procèdent de même en novembre. Après l’admission de la Guinée à l’ONU le 12 décembre 1958, les relations entre Conakry et les pays de l’est se développent, avec un premier accord commercial signé avec l’URSS en février 1959. Mais le gouvernement guinéen précise ne pas faire de choix entre l’Est et l’Ouest. Sékou Touré justifie la croissance des relations avec les pays communistes par les réticences de l’occident aux demandes d’aides de son État, et notamment à l’attitude de la France.
C’est dans ce contexte qu’intervient le voyage de Sékou Touré en Union soviétique, après un passage aux États-Unis et en Europe. La rencontre entre le président guinéen et le premier secrétaire du parti communiste d’Union soviétique Khrouchtchev, filmée par la société de production soviétique, se déroule dans la station balnéaire de Gagra, sur les rives géorgiennes de la mer noire, loin de la foule moscovite. Il s’agit de montrer la construction du partenariat entre les nouveaux États africains et l’Union soviétique. La mise en scène met en évidence ce processus de travail, dans une ambiance assez froide entre les dirigeants. Après l’arrivée de Sékou Touré qui serre la main de Khrouchtchev, les acteurs guinéens sont successivement montrés en gros plan panoramique : l’ambassadeur Seydou Conté, le président de l’Assemblée Nationale Saïfoulaye Diallo, puis le ministre de l’Intérieur et de la sécurité Fodeba Keïta. Ils sont ensuite présentés autour de la table des négociations avec leurs homologues soviétiques, notamment Nouritdini Moukhitdinov, le membre du Présidium qui aurait inspiré la politique africaine de l’Union soviétique. Le choix de ces dirigeants guinéens témoigne de la nature multiforme des accords. Le ministre Fodeba Keïta signe ainsi le 26 novembre, en qualité de fondateur des ballets africains et initiateur de la politique culturelle guinéenne, un accord culturel avec le ministre soviétique Mikhaïlev. Le communiqué final mentionne le même jour cette coopération culturelle et le développement des échanges commerciaux. Au-delà de ces aspects, l’appui des pays de l’Est en matière de sécurité intérieure permet aussi de faire échec aux opérations françaises de déstabilisation du régime guinéen en 1959.
Bénédicte Brunet-La Ruche
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