En réalité, le viol est un délit pris très au sérieux. Les victimes connaissent un trouble, appelé trouble de stress post-traumatique, défini pour la première fois en 1974 par la psychiatre Ann Wolbert Burgess et la sociologue Lynda Lytle Holmstrom. Ce trouble consiste en des dysfonctionnements physiques, émotionnels, cognitifs, comportementaux et de personnalité.
Ces symptômes psychologiques et physiques communs à la plupart des victimes peuvent persister pendant des mois, voire des années, après le viol. C’est à juste titre que les législations punissent sévèrement la commission de l’acte. En Guinée, il est prévu et puni par l’article 268 du code pénal. La peine est la réclusion criminelle à temps de 5 à 10 ans ou la réclusion criminelle de 10 à 20 ans.
Pour cette raison et étant donné que la présomption d’innocence est l’un des socles sur lesquels repose la justice guinéenne, la sagesse voudrait que l’on s’abstienne des commentaires de nature à conclure à la culpabilité d’un accusé dans une procédure judiciaire avant le verdict du tribunal.
Car dans l’hypothèse du contraire, le préjudice subi par la personne accusée est autant grave sinon plus grave que celui de la victime du viol. En effet, du fait de la stigmatisation qui en découle, la souillure à la dignité et à l’honneur de l’accusé, même dans l’hypothèse d’un acquittement judiciaire de celui-ci, persiste.
Ce qui signifie que vouloir la justice pour les présumées victimes de viol devrait nous rendre plus sensibles, mais pas moins, au droit à la justice de ceux qui pourraient être accusés à tort. D’un point de vue pratique, il est donc nécessaire de trouver des moyens d’exprimer le soutien aux victimes de violences sexuelles sans faire pour autant équivaloir accusation fortuite et culpabilité, et reconnaître que les accusés à tort sont, eux aussi, de véritables victimes. Cela signifie enfin de ne pas estimer qu’un verdict de culpabilité est la seule et unique issue juste pour un crime sexuel présumé.
Et c’est à ce niveau que Madame Moussa Yero s’invite dans cette affaire. Pendant que Mamadou Oury Baldé était poursuivi pour viol, et sans attendre l’issue du procès, Dame Moussa Yero a fait des déclarations sur les antennes d’Espace tv affirmant que celui-ci avait commencé à abuser de la fillette quand celle-là avait à peine 15 ans. Et que Mamadou Oury Baldé est l’auteur de la grossesse que la fille, qui serait maintenant à l’université, porte.
La Dame Yero est partie même plus loin en déclarant que pour étouffer cette affaire Mamadou Oury a fomenté un coup impliquant que la fille lui a volé 8.000.000 de FG, suite à une menace que celle-ci aurait proférée en complicité avec ses ami(e)s.
La fille avait été effectivement détenue à la maison centrale à l’époque pour attaque à main armée. Et, contrairement aux déclarations de Moussa Yero faisant croire à une détention arbitraire sans mandat, la fille aurait été placée à la maison centrale à travers un mandat de dépôt émanant d’une juge du TPI de Dixinn. Ce qui serait une accusation, encore une fois fortuite, contre les instances étatiques. Bon, ceci est une autre affaire.
Pour revenir au cas de viol qui aurait été perpétrée sur la fille, le tribunal a conclu à un non-lieu, faute de preuves suffisantes pour soutenir la vérité du viol. Il est possible que l’on ne sache jamais ce qui s’est réellement passé entre Mamadou Oury et la fille, comme dans beaucoup d’accusations pour agression sexuelle.
Pour cette raison et aussi parce que le sujet est émotionnellement très chargé, l’éthique voudrait que l’on en n’ajoute pas avec des déclarations inflammatoires sans preuves suffisantes. Cela est d’ailleurs dans l’intérêt des parties en conflit, à mon avis.
L’autre aspect que cette affaire interpelle est la question de responsabilité ou de représentation au sens juridique. Etant donné que la Dame Moussa Yero est intervenue en vertu de sa qualité de journaliste à Espace tv, ses déclarations pour le moment non vérifiables peuvent-elles être attribuées à ce media ? Ses déclarations engagent-elles Espace tv ? En d’autres termes, Espace tv peut-il être poursuivi en lieu et place de Dame Yero ou conjointement avec elle? Pour une esquisse de réponse à cette interrogation, nous allons recourir à la théorie de l’agence dans le droit des affaires.
Très répandue dans le milieu commercial anglo-saxon, cette théorie se préoccupe de savoir dans quelle mesure les actes d’un individu ou d’un groupe d’individus – appelé agent – engagent un autre ou une entité – appelé principal. La réponse à cette question dépend évidemment de la limite de l’autorité conférée à l’agent par le principal. L’acte d’un agent qui agit dans la limite des pouvoirs à lui conférés par son principal lie ce dernier aux obligations créées par l’agent vis-à-vis des tiers. Puisque le cocontractant de l’agent n’est pas toujours en mesure d’établir cette limite, l’on distingue généralement trois (3) types d’autorité en la matière: l’autorité réelle, l’autorité apparente et l’autorité ratifiée. Examinons à présent l’acte de Dame Moussa Yero à la lumière des types d’autorité cités ci-dessus et les implications possibles pour son principal, Espace tv.
Pendant qu’on ne peut pas dire si elle a l’autorité réelle, on sait qu’elle a une autorité apparente ou ostensible de parler au nom d’Espace tv, son employeur. De toute façon, même s’il est possible d’arguer qu’en tant que journaliste d’Espace tv, elle a l’autorité réelle et apparente de parler au nom de ce media, il n’en demeure pas moins que les limites dans lesquelles elle doit intervenir sont fixées par les règles déontologiques et éthiques de la profession. Son employeur peut donc légitimement arguer qu’elle est censée connaitre ces règles.
Ce qui laisse une dernière possibilité pour l’implication d’Espace tv dans cette affaire, en l’occurrence l’autorité ratifiée. Autrement dit, son employeur approuve-t-il ses commentaires et déclarations à l’égard de Mamadou Oury ? Les représentants statutaires d’Espace tv reconnaissent-ils qu’elle parlait en leur nom dans cette affaire ? Dans l’affirmative, cela signifierait que ces déclarations engagent Espace tv.
Dès lors, il y a possibilité d’engager des actions contre cet organe médiatique. Si non, les auditeurs de ce grand organe médiatique, parmi lesquels je me compte moi-même, ont le droit de le savoir. Que justice soit rendue. Mamadi Sitan KeitaConsultant InternationalTél : 621 20 20 61 ; E-mail : mamasitank6@gmail.com