En Guinée Conakry, le président sortant Alpha Condé fera-t-il changer la constitution afin de pouvoir se représenter en 2020 ? Cellou Dalein Diallo, le chef de file de l’opposition, affirme que les indices se multiplient… De passage à Paris, il répond aux questions de RFI.
RFI : Moins de manifestations, moins de grèves. Est-ce que la Guinée est en train de vivre une période d’accalmie, voire de trêve entre le pouvoir et l’opposition ?
Cellou Dalein Diallo : Non, pas du tout. Les tensions montent. Même s’il n’y a pas de manifestation, il n’y a pas de grève, ce n’est pas pour autant que la situation se décrispe. Au contraire, elle se crispe davantage. Bien sûr, le gouvernement a décidé de privilégier l’ordre, ce qu’il a appelé « l’ordre à la loi », en suspendant toute manifestation alors que nous sommes dans un régime déclaratif en Guinée et la Constitution autorise les manifestations. Mais ce gouvernement qui a peur des mobilisations auxquelles on a habitué l’opinion à l’occasion de nos manifestations a décidé de les interdire. Il n’y a pas de dialogue, il n’y a pas de respect de la loi, il n’y a pas de respect des accords politiques. Donc ce n’est pas de nature à favoriser une quelconque décrispation.
Après trois mois de grève, les enseignants ont quand même repris les cours la semaine dernière, le 14 janvier, à la suite d’un accord avec le gouvernement ?
Oui. Ici, il y a eu l’arrogance du gouvernement qui, au départ, ne voulait pas négocier avec les enseignants. Il a fini par plier et accepter d’aller au dialogue. Et puis, un accord a été trouvé récemment.
Vous critiquez beaucoup la gestion du président Alpha Condé, mais n’y a-t-il pas un taux de croissance annuel supérieur à 5% ? N’y a-t-il pas un triplement des capacités énergétiques du pays grâce notamment à la mise en service cette année du complexe hydroélectrique de Souapiti ?
Oui. Mais il n’y a pas que ça. Il y a eu une croissance qui n’est pas inclusive, qui est tirée par l’exportation minière. La Guinée exporte aujourd’hui une quantité importante de bauxite, qui ne connaît aucune transformation sur place.
Cela est une bonne nouvelle ?
Cela dépend. Il y a eu une conjoncture favorable, il y a eu une demande de la bauxite guinéenne qui est liée à la fermeture des mines en Indonésie. Et la Guinée a saisi cette opportunité. Mais ne l’a pas saisi pleinement parce qu’on aurait pu transformer cette bauxite en alumine.
Légalement, les législatives devaient se tenir avant le 31 décembre 2018. Elles sont reportées sine die. Espérez-vous qu’elles puissent se tenir cette année ?
On ne sait pas parce que le problème, c’est qu’on ne travaille ni avec la Constitution ni avec les lois. Mais on travaille avec les agendas cachés d’Alpha Condé. C’est lui qui sait. Il n’a jamais voulu organiser à la bonne date les élections. Ces élections législatives auraient dû être organisées à la date prévue. Mais malheureusement, il n’a pas voulu. Les élections locales devaient être organisées en 2011, il n’a pas voulu. Le scrutin a eu lieu le 4 février dernier, mais jusqu’à présent on n’en a pas fini avec puisqu’il y a beaucoup de communes où l’exécutif n’est pas mis en place, on n’a pas installé les quartiers, on n’a pas installé les conseils régionaux. Combien de temps, il va prendre ?
A la suite du report des législatives, le président Alpha Condé a signé un décret prolongeant le mandat des députés actuels. Est-ce que vos députés de l’Union des forces démocratiques de Guinée (UFDG) vont continuer à siéger, eux aussi, au risque de valider cette prolongation ?
Nous sommes en train de faire le débat à l’interne. Pour l’instant, aucune décision n’est prise.
Derrière le glissement de la date des législatives, craignez-vous un glissement de la date de la présidentielle qui devrait se tenir légalement en octobre 2020 ?
On prête à Alpha Condé de vouloir glisser le mandat présidentiel, si jamais il ne réussit pas à changer la Constitution pour s’octroyer le droit d’avoir un troisième mandat parce qu’il tient absolument à ce troisième mandat. Mais à défaut, dit-on, il voudrait obtenir un glissement au moins de deux ans à la Kabila.
Et si vos députés UFDG décident de siéger dans l’Assemblée qui se maintient au-delà des dates légales, est-ce qu’ils ne vont pas valider sa prolongation ? Et du coup, est-ce qu’ils ne vont pas peut-être valider une éventuelle prolongation du mandat présidentiel lui-même ?
Cela n’a rien à voir. On a assisté ces derniers temps à des prolongations des mandats de députés au Mali, un peu partout. La prolongation du mandat du président n’est pas liée à cela. Mais ceci dit, c’est un élément qu’il faut prendre en considération.
Donc, vous n’avez pas encore tranché sur la question de savoir si vos députés vont siéger ou pas ?
On n’a pas tranché au niveau du parti, vous savez, je suis convaincu que, si l’UFDG décide que les députés ne siègeront pas, ces députés ne siègeront pas. Je suis sûr qu’ils sont suffisamment attachés à la discipline du parti pour ne pas aller au-delà.
Il faut prendre la décision assez vite quand même…
Oui, d’ici quelques jours cette décision sera prise. Mais la prochaine session de l’Assemblée nationale, c’est au mois d’avril.
Souvent, vous prêtez au président Alpha Condé l’intention de faire réviser la Constitution pour briguer un troisième mandat. Mais qu’est-ce qui vous prouve qu’il en a vraiment l’intention ?
Mais, on le sent partout. Le président [Mahamadou] Issoufou du Niger, lorsqu’on l’interroge, est catégorique : il dit qu’il ne modifiera pas la Constitution. Au terme de son second mandat, il partira et organisera des élections transparentes. C’est ce qu’on aurait voulu entendre de monsieur Alpha Condé. Mais dès qu’on lui pose la question, il s’énerve. Il dit que c’est le peuple qui décidera le moment venu. Cette ambiguïté est de nature à susciter chez nous beaucoup d’inquiétude. Et il y a beaucoup d’autres faits : il y a ses lieutenants qui disent, il faut qu’on le laisse finir son travail. Il a entamé beaucoup de projets. Il faut qu’il les inaugure. Aujourd’hui, ce n’est un secret pour personne que monsieur Alpha Condé veut un troisième mandat. Il semble que l’option, c’est de faire valider une nouvelle Constitution et l’entrée dans une nouvelle République, de n’être plus lié par les dispositions de l’ancienne Constitution qui avait instauré le verrou au niveau de la limitation des mandats.
Selon le chef du groupe parlementaire de la mouvance présidentielle, la loi guinéenne autorise le président à proposer une nouvelle Constitution et à la soumettre soit au Parlement, soit au peuple par référendum…
Oui. C’est vrai. Mais dans la Constitution qui a permis l’élection d’Alpha Condé, sur laquelle il a juré, il est dit qu’il est impossible de modifier les dispositions relatives à la durée et au nombre des mandats, et que nul ne peut exercer de manière consécutive ou non plus de deux mandats. Donc il faut que, quelle que soit la Constitution, ces dispositions soient respectées par monsieur Alpha Condé. Il a juré de les respecter.
Sauf si on change de Constitution ?
Si on change de Constitution, on devrait prendre les dispositions pour préserver l’alternance. Les conditions d’une alternance démocratique, et ne pas permettre qu’un président fasse plus de deux mandats. D’autant que dans la sous-région aujourd’hui, en Afrique de l’Ouest, tout le monde accepte que le mandat présidentiel soit limité à deux.
Si le Rassemblement du peuple de Guinée (RPG), si la mouvance présidentielle essaie de faire passer ce changement de Constitution, comment réagirez-vous ?
Ce n’est pas à l’UFDG en ce moment qui sera concerné. C’est tout le peuple de Guinée qui réagit. Je sens que tous les Guinéens sont hostiles à une modification de cette Constitution, au-delà des partis politiques. Il y a déjà beaucoup de partis qui sont hostiles et qui l’ont marqué comme l’UFR de Sidya [Union des forces républicaines de Sidya Touré], le PEDN de Kouyaté [Parti de l’espoir pour le développement national de Lansana Kouyaté], et d’autres partis de l’opposition républicaine. Je sais que les Guinéens se mobiliseront pour refuser que monsieur Alpha Condé s’offre un troisième mandat.
Est-ce que vous appelez à nouveau les Guinéens à descendre dans la rue au risque de nouvelles violences comme on en a vues qui ont fait tant de morts depuis dix ans ?
Lorsque le respect de la Constitution est menacé, sur ce point-là, je ne manquerai pas d’appeler les Guinéens à sortir, et je ne serai pas seul. Les autres Guinéens n’auront pas besoin d’être appelés pour sortir.
Mais vous savez que les conséquences sont terribles ?
Oui. Mais attendez, il ne faut pas rendre l’opposition, les Guinéens responsables lorsqu’ils s’engagent dans la défense de leurs droits. La manifestation de rue est autorisée par la Constitution. C’est la répression aveugle sanglante des manifestations qui est interdite.
Depuis la marche interdite du 13 décembre 2018, vous semblez observer une trêve tout de même. N’est-ce pas le signe qu’un dialogue est possible ?
Un dialogue pour nous est toujours possible. On a toujours privilégié le dialogue à la manifestation. Mais c’est que le pouvoir ne veut pas dialoguer aujourd’hui. Il ne peut pas justifier les actes qu’il pose. Il ne peut pas justifier qu’on installe de façon parcimonieuse les exécutifs des communes au gré des intérêts des partis présidentiels. Il attend d’avoir retourné les élus des autres, puisqu’il n’en a pas suffisamment pour contrôler les communes, pour installer les exécutifs. Depuis combien de temps ? Depuis le 5 octobre, on est en train d’installer les exécutifs. C’est lorsque le pouvoir a fini de retourner, par la corruption et l’intimidation, les élus des listes indépendantes et de l’opposition, qu’il procède à l’installation [des exécutifs]. Et si ça ne lui est pas favorable, il annule l’élection.
Vous dites que vous n’êtes pas seule l’UFDG, à vouloir protester contre un tel projet constitutionnel. Mais depuis le retour de Sidya Touré dans l’opposition, les relations ne sont pas simples entre votre parti l’UFDG et le parti UFR de Sidya Touré. Vous avez eu du mal par exemple à vous mettre d’accord sur une liste commune de candidats dans la nouvelle commission électorale ?
Oui. Il y a des malentendus, mais il y a un certain nombre de points sur lesquels on est d’accord, l’UFR, l’UFDC et l’opposition républicaine, le PEDN. C’est par exemple contre le troisième mandat. Nous sommes des concurrents pour 2020, c’est évident. Chacun défend peut-être ses positions et ses intérêts. Mais par rapport à la défense d’un certain nombre de valeurs, l’alternance démocratique, le respect des dispositions de la Constitution, notamment ceux relatifs à la limitation et à la durée du mandat, nous sommes d’accord et nous sommes prêts à nous battre ensemble.
A partir du moment où le président Alpha Condé est majoritaire à l’Assemblée nationale, est-ce que votre combat n’est pas perdu d’avance ?
Non, il n’a pas la majorité absolue. L’UFDG seule a la minorité de blocage, même si elle est fragile. Si Sidya se joint à nous, ils ne peuvent prendre aucune loi allant dans le sens d’une modification de la Constitution.
Donc vous combattrez d’abord sur le terrain législatif ?
Le problème est celui-là parce que vous savez, Alpha Condé aura le choix soit de demander un référendum ou il se remettra à l’Assemblée. Mais à l’Assemblée, il n’a aucune chance pour faire passer une telle modification de la Constitution.
Et si c’est par référendum ?
Si c’est par référendum, on s’opposera au principe du référendum.
C’est-à-dire ?
C’est-à-dire qu’on le dira. Je ne peux pas vous dire aujourd’hui quelle sera la stratégie, mais la concertation existe déjà à cet égard entre l’UFR et l’UFDG, et l’opposition républicaine.
Entre Sidya Touré et vous ?
Oui.
rfi