PDG de Westwind Guinée et Conseiller en agrobusiness du Président Alpha Condé, Mohamed Kagnassy croit fermement que la révolution technique et technologique en cours d’introduction en Guinée est la solution pour booster le secteur agricole du pays. Pour lui, l’application « Kobiri » dédiée au monde rural, conçue par son groupe et reliée directement à sept centres de développement rural mécanisé, constitue un tournant majeur. Entretien exclusif.
Emergence : Bonjour monsieur. Présentez-vous aux lecteurs d’Emergence. Qui est Mohamed Kagnassy ?
Mohamed Kagnassy est du secteur privé. Un homme d’affaires. C’est ce qu’on appelle un capitaine d’industrie. Mais Mohamed Kagnassy d’aujourd’hui, c’est « Monsieur Développement rural » pour l’Afrique Subsaharienne. Je m’implique dans le secteur du développement rural, donc le secteur primaire.
Voilà comment je présente Mohamed Kagnassy d’aujourd’hui. Mais issu d’une famille d’agro-business. Je suis de la troisième génération à l’internationale qui continue à porter ce défi qui consiste à ce qu’on gagne le secteur primaire, pour pouvoir parler du secteur secondaire et ensuite le secteur tertiaire.
Peut-on dire que vous aviez un destin tout tracé dans l’agrobusiness ? Vous étiez prédisposé à ce secteur ?
Je suis né dans l’agrobusiness. Donc si on peut employer le mot prédisposé, je pense que c’est très bien. Vu que j’ai été bercé, élevé et éduqué dans cet environnement.
Quels sont les pays dans lesquels vous intervenez ?
J’interviens principalement en Afrique de l’Ouest et en Afrique Centrale pour faire court. J’interviens sur ces deux parties du continent à des niveaux différents.
En Guinée où vous êtes très actif ces dernières années, vous intervenez certes dans l’agrobusiness, mais surtout au sommet de l’Etat puisque vous conseillez le Président Alpha Condé.
Le cas guinéen est un cas pilote sur tout le continent. N’oublions pas que la Guinée a présidé pendant une année, le destin de l’Union africaine. Donc le message qui est retenu de manière générale, c’est la vision du président de la République de Guinée, le Pr. Alpha Condé. C’est que le développement de l’Agriculture fasse partie des priorités. Parce que non seulement l’agriculture concerne plus de 70% de nos populations, mais c’est le secteur pourvoyeur d’emplois. C’est la raison pour laquelle je suis fier de servir la Guinée. Parce que la vision du Président de la République de Guinée ne parle pas de l’agriculture traditionnelle, mais d’innovation.
La mission que vous vous êtes assignée est d’innover le secteur agricole guinéen ?
Le président de la République de Guinée, le Pr. Alpha Condé, parle d’innovation. Innovation qui a un objectif bien clair : augmenter les revenus en multipliant les activités dans le secteur primaire, mais aussi augmenter les productions. Ça n’a rien à voir avec l’agriculture de subsistance ou d’autosuffisance. C’est une agriculture que j’appelle « nouvelle », même si certains préfèrent parler d’agrobusiness. Si aujourd’hui nous avons une activité inclusive et accessible au plus grand nombre, c’est bien ce secteur. Donc voilà ce que je porte en Guinée avec beaucoup de passion et beaucoup de résultats qui font qu’aujourd’hui on parle énormément du développement et de la vision du secteur primaire du Président Alpha Condé.
Qu’est que qui a changé depuis que vous intervenez dans le secteur agricole guinéen ?
Qu’on soit bien d’accord. Moi j’exécute une vision, celle du Président de la République de Guinée. Qu’on soit bien d’accord là-dessus. Alors, ce que j’apporte peut-être, c’est l’expertise technique par rapport à une vision, et des solutions par rapport à une vision. Ça c’est mon devoir.
Mais qu’on ne se trompe pas. C’est le président de la République, Professeur Alpha Condé, qui fixe les objectifs. Nous, en tant que Conseiller, nous nous devons d’apporter des solutions.
Vous venez de parler d’innovation. Est-ce dans ce cadre que la plateforme dénommée « Kobiri » a été créée ? De quoi s’agit-il exactement ?
Avant d’arriver à la plateforme « Kobiri », il faut comprendre l’écosystème. Et on saura que la plateforme n’est qu’une phase de data.
Quand on parle d’innovation, prenons les trois segments du secteur primaire : L’agriculture, l’élevage et la pisciculture.
Dans l’agriculture, l’innovation c’est l’introduction de semences améliorées, la mécanisation pour tous, l’introduction de variétés végétales améliorées, notamment le Cacao Mercedes qu’on appelle Cacao variété 18 mois et le Café arabica.
Dans le secteur élevage, l’innovation c’est insémination artificielle pour augmenter la production de viande et de lait qui est une première en République de Guinée. La vache Ndama ne dépasse pas 200 kg et pas plus d’un litre de lait. Avec les croisements, nous espérons arriver à 5 litres de lait et voir des vaches qui seront bien au-delà de 200 ou 300 kg. C’est aussi une innovation.
L’innovation c’est aussi l’accès à l’aviculture, c’est-à-dire la production de poussins d’un jour. C’est une innovation pour tous par rapport aux importations de poulets congelés du Brésil.
Innovation, ce sont des phytosanitaires certifiés. C’est la santé végétale. L’innovation, c’est l’accès à l’engrais de première qualité qu’on appelle NPK. Plus de 100 000 tonnes ont été importées en 2017 par la Guinée.
Il y a un dernier secteur qu’on appelle la pisciculture. La Guinée importe beaucoup de poissons congelés et qui fait que même le coût de conservation est très élevé. L’innovation pour nous, c’est la production d’alevins, notamment la race Tilapia, pour les fermes piscicoles en Guinée forestière, Moyenne Guinée et Haute Guinée.
J’insiste sur l’innovation : Variété améliorée pour l’agriculture, rendement élevé, plus d’argent. Production de poussins, 35-45 Jours, volet comestible, plus d’argent.
Production d’alevins, disponibilité de poissons à tout moment puisqu’on n’a pas besoin de congélation pour les fermes piscicoles à l’intérieur du pays, vente du jour aux consommations du jour.
Insémination artificielle, 9 mois de gestations pour avoir les vaux, plus de production de viande et de lait.
Justement qu’en est-il des premières inséminations artificielles faites déjà en Moyenne Guinée
On aura les premiers vaux métissés issus des premières inséminations faites dans le cadre du projet pilote au mois d’Avril. C’est ce qu’on appelle innovation.
Ça c’est dans le cadre de l’élevage. Mais prenons l’agriculture et la pisciculture. Est-ce que les innovations auxquelles vous venez de faire allusion ont abouti à des résultats concluants ?
Depuis deux ans déjà, le Cacao Mercedes est dans les champs et les premières récoltes sont attendues cette année. L’année dernière on a introduit 2 000 hectares de Café arabica au Fouta. Dans deux ans, voire trois, on aura les premiers cafés arabicas d’Afrique de l’Ouest. Il n’y a qu’en Guinée qu’on peut faire pousser cette variété et qui coûte plus cher que le Café robusta. Ni en Côte d’Ivoire, ni au Ghana, ni au Togo, on peut produire le Café arabica. C’est juste les hauts plateaux du Fouta qui nous permettent de faire ça. Côté agricole, avec la mécanisation, on a sept centres de développement rural mécanisé avec tracteurs et moissonneuses-batteuses sur le territoire national.
S’agit-il de centres qui abritent des chaines de montage d’engins agricoles ?
Non, ce sont des services que des paysans peuvent louer. Et c’est là que nous allons rebondir sur « Kobiri » pour dire que toutes ces activités se trouvent au niveau d’un monde digital.
Il existe sept centres sur le territoire national à savoir Kankan, Mamou, Koundara, Boké, Faranah, Forécariah et Famoïla.
Ce ne sont pas des centres administratifs, mais des bassins de production pour être proche des acteurs. Les paysans ont le choix de procéder soit par appel téléphonique, soit en se rendant physiquement dans les centres ou à partir d’un téléphone portable. Mais toutes les trois voies sont aiguillées vers la digitalisation pour qu’on ait des bases de données.
Ces centres sont-ils suffisamment dotés d’équipements pour satisfaire la demande des paysans ?
Tous ces centres de développement rural sont dotés de tracteurs, de moissonneuses-batteuses. Tous les équipements sont sur GPS. On peut savoir où se trouvent les engins et il y a toute une procédure opérationnelle.
À combien peut-on estimer le nombre de tracteurs dispatchés dans les centres ?
Le parc est évolutif. Le besoin est criard. Mais il faut aller progressivement vers une couverture de toutes les demandes. N’oublions pas quand même que nous sommes un pays à vocation agricole et qu’avec nos 6 millions d’hectares de terres arables, exploitées autour de 30%, nous souhaitons vivement faire de l’agriculture le moteur de l’économie nationale. Donc rien que par cette ambition, nous comptons augmenter le parc déjà disponible.
A quand remonte la création des centres de développement rural mécanisés ?
Nous avons commencé par les récoltes de l’année dernière. Ce n’est que cette année qu’on va commencer par les labours. Les centres ont été mis en place à la fin des récoltes de riz. Nous avons déjà fait une demi-saison et nous allons faire une saison entière à compter de cette saison des pluies.
Que faire pour les paysans qui vivent dans les régions non couvertes par les centres ?
Nous avons obligation de nous rendre partout où nous sommes sollicités. Le centre de Boké couvre Boké, Fria, Boffa et Dubréka. Celui de Kindia couvre Kindia, Coyah, Telimélé et Forécariah.
Le centre de Mamou couvre Labé, Tougué, Pita, Dalaba et Mamou. Le centre de Koundara couvre Gaoual, Koundara, Mali, Lélouma et Koundara. Le Centre de Faranah couvre Dabola, Dinguiraye, Faranah, Kissidougou. Le centre de Kankan couvre Mandiana, Kérouané, Kankan, Kouroussa et Siguiri. Et le centre de Famoila couvre Beyla, Nzérékoré, Guéckédou, Macenta, Lola et Yomou.
Quelles sont les conditions que les paysans doivent remplir pour faire recours aux services du centre?
C’est ouvert à tous les paysans. D’ailleurs pendant les récoltes du riz on a été agréablement surpris par la demande parce la mécanisation a un intérêt économique. Tous ceux qui font les récoltes manuellement font face au facteur temps.
Quand elles sont mécanisées ça va plus vite. Les rentabilités sont plus élevées, le coût est moins cher, le prix de l’hectare est nettement meilleur marché que quand vous prenez les manœuvres pour le faire. Donc il y a un facteur de temps, un facteur de rentabilité quantitative et un facteur de rentabilité économique.
Vous avez dénommé « Kobiri » la plateforme digitale qui relie les paysans à ces centres. Pourquoi ?
On a innové ce qui existait déjà. On n’a rien inventé. On a juste mis ce qu’il fallait de plus pour gagner plus. C’est pour cela d’ailleurs qu’on l’appelle « Kobiri ». On parle d’argent. Le mot « Kobiri » est Sousou bien sûr, mais on sait qu’il va dépasser les frontières guinéennes, comme c’est une innovation guinéenne. Il y a des pays qui sollicitent les mêmes systèmes. Notre souhait est de maintenir partout le nom « Kobiri » pour qu’on sache que cette innovation est guinéenne et que nous croyons à la digitalisation de nos communautés et de nos pays.
Peut-on avoir une idée du nombre de paysans qui utilisent votre plateforme digitale pour louer les engins des centres ?
Il y a plus de demandes aujourd’hui que nous ne pouvons satisfaire. Je n’ai pas les chiffres, mais je peux vous dire que jusqu’à la fin des récoltes, il y avait plus de demandes auxquelles nous ne pouvions faire face. Et notre défi aujourd’hui, est de faire face à toutes les demandes.
Sur l’application mobile on y voit diverses fonctionnalités comme la fourniture d’engrais, la location de moissonneuses, la fourniture de produits et matériaux avicoles, la fourniture d’alevins, de dépenses et de produits d’élevages. Laquelle de ces fonctionnalités est la plus sollicitée par les paysans.
Nous avons digitalisé tout le secteur primaire. Notre idée est de multiplier les activités en espérant multiplier les revenus. On ne veut plus de revenus annuels, mais plusieurs revenus dans l’année pour les paysans. Si vous voyez comment l’économie rurale est structurée par le Président Alpha Condé, c’est que l’acteur doit pouvoir avoir des revenus aussi fréquemment que possible. Donc toutes ces fonctionnalités seront utilisées à un moment donné par les mêmes acteurs.
C’est un écosystème qui doit être utilisé par les mêmes acteurs, avec un objectif bien précis, multiplier les activités en espérant augmenter les revenus.
Comment utiliser une plateforme électronique quand on sait que la majorité des paysans en Guinée sont analphabètes ?
L’analphabète d’aujourd’hui ne peut pas être qualifié de la même façon que l’analphabète d’il y a une décennie. Aujourd’hui pour communiquer on se rend compte qu’on a plus besoin de savoir lire et écrire. La technologie a bien évolué. Sur la plateforme, ce sont des icônes. Quand on appuie, ça veut tout dire. Nous ne sommes pas les précurseurs de la digitalisation. Aujourd’hui, vous avez la Banque mobile. Mais ceux qui sont réticents ont encore la possibilité de se rendre dans les centres ou de téléphoner. Donc tout est prévu pour qu’ils soient pris en charge.
Qu’est-ce-que ça change pour un paysan d’avoir accès à tous ces services ?
C’est tout bénéfice. Il est clair que ça sort de tout ce qu’il y a comme méthodes qui ont montré leur limite. L’agriculture de subsistance, l’agriculture traditionnelle et même l’agriculture d’autosuffisance ont montré leurs limites.
Aujourd’hui nous parlons d’agriculture pour s’enrichir. L’approche même est complètement différente et on n’a pas hésité à appeler la plateforme « Kobiri » parce c’est Finance.
Bien sûr qu’elle va être améliorée avec les besoins du moment parce que rien n’est intemporel. Les défis viendront. C’est une base qui doit évoluer par rapport aux défis de demain.
Mais avec le digital, la chose la plus importante c’est la base de données. Par rapport aux services que la plateforme exécute, on sait aujourd’hui qui fait quoi, qui cultive quoi et où. Même si demain nous voulons orienter une culture spécifique en Guinée, nous pouvons toucher les acteurs qui sont dans le secteur. Et nous pouvons suivre l’évolution des superficies. Donc on est maître de notre destin plus que jamais.
Vous êtes à cheval entre le secteur privé et l’état guinéen puisque vous êtes Conseiller chargé du développement rural auprès du Président de la République. Partant de là, peut-on dire que l’initiative « Kobiri » est privée ou étatique ?
Allez-y plutôt par Public-Privé. C’est le terme le mieux approprié. Comme le dit le Président Alpha Condé, la forme est bien. Mais si le fond est plus bénéfique, le bon sens veut qu’on aille vers le fond. Si la formule Public-Privé a donné de bons résultats dans les pays les plus développés, il n’y a pas de raison que l’on ne puisse pas la reproduire chez nous.
Est-ce qu’à date la plateforme « Kobiri » a présenté des limites ?
On verra les limites de la plateforme quand tous les secteurs seront opérationnels. Pour le moment c’est une plateforme qui est en construction, qui est évolutive. Je suppose que d’ici six mois on verra certains secteurs. On prendra par segment pour voir est ce que c’est l’agriculture, la pisciculture, l’élevage. On est ambitieux avec la digitalisation et comme le dit le Pr Alpha Condé on est obligé de trouver des solutions.
Quelles sont les perspectives pour cette plateforme ?
Le défi aujourd’hui, c’est le conflit entre éleveurs et agriculteurs, qui n’est pas propre à la Guinée, mais à l’Afrique de l’Ouest. Et nous sommes sur cette piste-là.
Nous voulons dans le cadre de la transhumance, faire identifier le troupeau par puce électronique et même suivre les couloirs dédiés aux activités de transhumance.
Voilà un défi que nous voulons relever à travers la plateforme « Kobiri ». J’ai eu à échanger avec des commissaires de la CEDEAO à ce sujet. Nous partons vers cette solution en Guinée et d’ici la fin de l’année, nous ferons les premiers projets pilotes. S’ils s’avèrent concluants, ils serviront aussi bien pour la Guinée que pour l’Afrique de l’Ouest. Ce sont des visions que le Pr. Alpha Condé a eu à porter au niveau du continent. L’un des projets phares qui nous tient beaucoup à cœur, c’est comment résoudre ce problème agriculteurs éleveurs avec la technologie. Ça, c’est le défi que le Président nous a sommés de trouver une solution.
Pour vous, toutes ces innovations permettent de penser que la Guinée est sur la bonne voie dans le domaine de l’agriculture ?
Oui. J’en suis tellement convaincu que je suis interpellé par beaucoup de Chefs d’Etats. La vision du Pr Alpha Condé c’est qu’on ne crée pas le développement sans impliquer les populations. On fait le développement avec les populations. C’est-à-dire que nous devons faire notre propre développement. C’est pour cela qu’on parle d’inclusion. Nous ne pouvons être compétitifs que dans les domaines où nous avons des atouts et qui sont accessibles à toutes nos populations. On est sur la bonne voie pour quelques raisons : nous avons l’expertise et nous savons comment arriver à nos objectifs.
Mohamed Kagnassy Conseiller chargé du développement rural du Président de la République de Guinée. Une fierté ?
Je remercie le Professeur Alpha Condé pour sa vision. La Guinée d’aujourd’hui, c’est la Guinée panafricaniste. Je ne suis pas le seul Conseiller. La vision du Président de la République de Guinée c’est toute compétence qui peut être utile à la Guinée. Nous la partageons et nous le saluons pour cela. J’assume mon rôle de Conseiller du président de la République. Je suis sûr et c’est pour ça que je m’investis corps et âme.
Quel bilan pouvez-vous dresser depuis votre nomination ?
Je suis à ma troisième année. Mais quand je vois le travail abattu, je n’aurais pas pu le faire sans la volonté du Chef de l’Etat. Parce que j’avais des limites que moi-même je m’étais fixées par rapport à mes capacités. Mais j’ai vu qu’il aime aller au-delà. C’est ce que nous, nous retenons. Aujourd’hui je suis emmené sur d’autres théâtres pour le développement rural de l’expérience guinéenne. J’avoue que pour moi c’est le plus grand des salaires. J’ai trouvé une reconnaissance continentale. D’habitude l’expertise venait d’ailleurs. Aujourd’hui notre expertise vient de nous-mêmes. Pour boire dans le bon marigot, il fallait s’adresser à l’enfant du village. C’est ce qu’on a toujours évité.
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