Dans cette seconde partie d’interview, Martin Perna et Duke Amayo, deux des fondateurs du groupe Antibalas, reviennent sur le fonctionnement de l’orchestre, et la recette de leur longévité.
Retrouvez la première partie de l’interview ici.
Si je résume la première partie de l’interview, vous êtes donc un groupe américain qui fait de l’afrobeat mélangé avec des arts martiaux asiatiques et vous avez un nom espagnol…
Amayo : N’est-ce pas intéressant ? (rires) J’avais besoin d’employer des musiciens à l’épreuve des balles. Je possédais les armes, et je voulais trouver des soldats. Certains d’entre eux venaient déjà à mon école de kung-fu, et sont devenus des membres du groupe plus tard. L’histoire a commencé dans ce quartier et dans la communauté de Williamsburg. J’avais mon magasin dans lequel je vendais des vêtements et pratiquais mon art martial. Cet endroit est devenu par la suite le studio d’Antibalas. Nous nous sommes ensuite fait expulser et sommes partis, j’ai eu l’impression de prendre mon école de kung-fu et mon studio avec moi sur la route. Les membres d’Antibalas étaient mes étudiants. Quand je peux utiliser mes compétences de sifu, je le fais sur scène ou avec les gars. Je suis dans ce groupe depuis 20 ans, et j’ai retenu trois mots : amour inconditionnel et profond. Ce concept est toujours autour de nous. Avec l’actualité et ce qui se passe aujourd’hui, j’ai soudainement rêvé une solution pour la planète. Nous, l’Humanité, devons revenir en enfance.
Les enfants n’ont pas de problème !
Amayo : Exactement ! Les enfants jouent, ils sont innocents, tu vois ce que je veux dire ? Si seulement nous pouvions y retourner régulièrement… La répétition est importante, car si tu y vas régulièrement, tu n’as plus besoin de ressentir de pression ni de devoir jouer un rôle comme être un chef ou un politicien. Même les politiciens les plus véreux sont des humains et ont des mères qui ont probablement pris soin d’eux !
Même Donald Trump a été un jour bébé…
Amayo : Oui, mais un bébé sans maman et c’est pour cette raison qu’il est en colère ! (rires) C’est la raison pour laquelle j’essaie toujours d’invoquer l’amour profond et inconditionnel. Nous avons besoin de nous materner entre nous. Nous devons materner des gens comme Trump ! Il a été oublié et ce concept lui est devenu complètement étranger. Nous devons nous dire : « c’est mon fils et je pense qu’il a besoin d’une grande aide ».
Il semblerait qu’il y ait un gros turnover au sein du groupe. Sur votre page Wikipedia, on peut même voir un histogramme avec les années de présence des différents musiciens. Comment gérez-vous de tels mouvements et comment faites-vous pour conserver l’identité et le son Antibalas ?
Martin : Comment la France continue de gagner la Coupe du Monde avec une équipe différente ? (rires) C’est la même chose. Plus sérieusement, nous avons un playbook. En musique, tout le monde à un rôle. Si tu rejoins le groupe en tant que guitariste, tu ne peux pas t’attendre à jouer solo, parce que tu fais partie de la musique. Tu dois t’attendre à jouer comme le batteur. Les gens nous écoutent depuis tellement longtemps qu’ils savent à quoi s’attendre quand ils nous rejoignent. Ils veulent honorer les musiciens qui étaient là avant eux et ne pas être nuls. Il y a beaucoup de musiciens qui sont là depuis longtemps, comme Amayo, moi-même, Jordan McLean, Marcos Garcia… Et certains d’entre eux sont avec nous depuis maintenant plus de dix ans.
Amayo : Il y a définitivement une génération de vieux briscards !
Martin : C’était aussi vraiment cool de garder un côté frais, comme lors des deux dernières tournées, avec la section cuivres. C’était une bonne opportunité de voir différentes manières d’évoluer et de changer. Tout cela a catalysé notre façon de jouer. Il ne s’agit pas d’enseigner, il s’agit plus d’apprendre de ces nouveaux membres. Voir ces différentes approches de la musique a été très enrichissant. C’est important d’avoir du sang frais parmi nous.
Amayo : Il y a quelques chansons qui demandent ce genre de choses. Quand tu intègres l’espace d’un groupe comme nous, tu réalises qu’il y a des choses que tu peux toujours faire. C’est la fin du patriarcat, on entre dans la nouvelle génération. Nous avons trouvé des hommes et des femmes géniaux, mais ils étaient en fait déjà là. Tout ce que nous avions à faire était d’appeler les bonnes personnes. Parfois, tu vois ce genre d’opportunités s’ouvrir à toi, à travers un ami ou autre. De nombreux musiciens qui ont tourné autour de New York ont entendu parler de nous via d’autres musiciens, parce qu’ils aiment notre façon d’être, sans le côté leadership par exemple.
(Martin quitte l’interview pour installer le merchandising, NDLR)
Tu veux dire qu’il n’y a absolument pas de leader dans le groupe ?
Amayo : Ce que je veux dire, c’est qu’il y a en fait une espèce de leadership, mais il n’y a pas de chef. Je suis peut-être le leader du groupe, mais je dois assurer ce rôle avec prudence. Je me fais régulièrement reprendre. Je les pousse, puis ils me poussent en retour, et je les pousse à nouveau… Mes demandes doivent avoir du sens ! Nous sommes dans un crew qui rejette ce concept. En arts martiaux, je suis déjà habitué à enseigner d’une certaine manière, car je viens d’une culture maître/étudiants.
En 20 ans d’existence, avez-vous souvent joué en Afrique ?
Amayo : Nous ne l’avons pas encore fait ! Mais nous sommes sur le point d’y arriver. Nous avons essayé pendant cinq ans, car l’un de mes amis vit à Lagos. Il habitait New York et c’est un grand fan du groupe. Il a vu une opportunité d’inviter Antibalas au Nigéria. Les choses n’ont pas fonctionné comme prévu, mais nous avons vraiment tout fait pour y arriver. Avec l’atmosphère du monde politique, il y a du sens à tenter de nouveau, pour aller y rendre un hommage. Tu sais, quand nous avons fait l’album « Where the Gods were in peace », il y a une chanson qui s’appelle « Gold Rush », et c’est sans doute notre morceau le plus puissant. Elle coïncidait aussi avec un moment où les membres du groupe bougeaient vers d’autres projets. Cette chanson n’a pas de parole. Il y avait une partie de moi qui essayait de comprendre comment cette chanson pouvait faire partie intégrante de ces changements. Il y a également une chanson appelée « Tombstown » que j’ai écrite il y a un moment, et elle ne rentrait pas vraiment dans le moule Antibalas à l’époque. Quand les changements sont arrivés, j’ai pensé que c’était le moment de sortir ou de revisiter ces morceaux. J’adore écrire des trilogies. J’ai écrit des paroles pour « Gold rush » et je pense que c’était le bon moment et la bonne manière de réparer. Nous devons regarder derrière nous et réparer nos mauvaises actions du passé, en exprimant nos regrets. « Gold rush » est devenu une façon pour moi d’exprimer l’Histoire. Le fait que nos ancêtres aient pris les terres de quelqu’un explique en partie pourquoi l’économie est si mauvaise. Nous devons rendre ces terres. Nos grands-parents ont créé l’économie en la basant sur ce qu’ils ont volé à d’autres gens. Pourquoi n’essaierions-nous pas de rendre ces terres, pour voir comment l’économie évolue ? Nous ne pourrons pas avancer avant d’avoir réparé le passé. Si les maths, la chimie, la physique sont erronées, n’importe quelle formule que tu écriras ensuite sera fausse. Nous continuons à avancer tout en nous enfonçant dans l’erreur.
As-tu d’autres side-projects musicaux ?
Amayo : Jordan McLean a un label, et je vais y sortir un album solo de piano, avec des choses que je fais à la maison, des sortes d’exercices de méditation au piano. Je vais également jouer dans une galerie avec une installation. Comme l’album va bientôt sortir, tout ça va être jeté aux yeux du monde en même temps ! 2020 sera une année de solutions, de permaculture, d’écoles vertes… Je construis une école au Nigéria. Depuis que ma mère a disparu, j’essaie toujours de sécuriser la partie légale. Tout arrive finalement en même temps, c’est le bon moment pour partager et pour montrer qui tu es en faisant les choses en lesquelles tu crois. Tu es un activiste ? Agis et grandis ! Tu es un rêveur ? C’est le moment ! Tu es écrivain et tu as besoin d’inspiration ? Fais-le !
Antibalas a collaboré avec des artistes pop tels que David Byrne, Talking Heads, et bien d’autres… À ton avis, que recherchent-ils dans le son d’Antibalas ?
Amayo : Je pense qu’ils sont intéressés par les cuivres, ainsi que notre réputation en tant que musiciens. Nous sommes un peu le groupe favori des musiciens. Ils parlent tous de la bande autour d’eux. Notre partie rythmique est aussi incroyable, mais je pense que ce sont surtout les cuivres qui ont créé cette excitation avec les autres groupes. En particulier, travailler avec David Byrne a été excitant, car nous avons eu deux jours de répétitions, et nous en avons sorti un petit paquet de chansons créées avec d’autres artistes qui sont chacun venus avec leur bagage. C’était une belle expérience, spécialement pour moi, car j’ai utilisé mes compétences de percussionniste au service des musiciens, des mélodies et des chœurs. Nous avons ensuite joué au Carnegie Hall, c’était spécial ! Martin a eu l’opportunité d’arranger quelques-unes de ces compositions pour se conformer aux requis de chaque artiste, ce qui représente un autre aspect complexe de cette expérience. Le travail inspiré des compositions de Fela et tous ces grooves complexes rendent cependant les autres musiques plus faciles à travailler. Ce travail te prépare pour n’importe quel style de musique. L’afrobeat est un matelas capable d’accueillir beaucoup d’autres styles. Nous avons utilisé notre technique pour amener notre univers au sein d’un autre univers. Mon approche est de développer l’esprit afrobeat pour comprendre ces autres univers.
Si je veux monter mon propre groupe d’afrobeat, de quel genre de fondations ai-je besoin ? Quelle est la recette ?
Amayo : Tu dois être prêt à te lancer pour un long moment. Tu dois être patient parce que tu devras gérer beaucoup de personnalités différentes, donc tu dois avoir un fort tempérament. Tu as aussi besoin d’avoir du cœur ! L’esprit et le cœur sont la base, ils sont très importants. Tu auras besoin d’une section de cuivres et peut-être de danseurs, mais tu peux aussi en trouver dans le public si tu ne veux pas faire à la manière de Fela. Tu as aussi besoin d’un tueur à la batterie, un mordu de Tony Allen, et aussi d’une bonne basse. De plus, tu ne peux pas seulement penser à toi, tu dois penser au groupe dans son ensemble. Si tu laisses ton ego de côté, tu as gagné.