Au début des années 40, alors que la seconde guerre mondiale atteignait son apogée de violence et de destruction et que la désinformation avait été érigée en arme de guerre, un groupe de scientifiques reclus dans une bourgade anglaise se triturait les méninges afin de casser les codes de la machine ENIGMA.
ENIGMA était une machine électromécanique portable servant au chiffrement et au déchiffrement de l’information. Inventée par l’allemand Arthur Scherbius[1], elle fut principalement utilisée par l’Allemagne Nazie avant et pendant la seconde guerre mondiale. Grâce à cette machine réputée inviolable, les allemands étaient passés maître dans l’art de la désinformation en envoyant toutes sortes de messages cryptés, la plupart étant des leurs dont le seul but était de dérouter les services de renseignements alliés. C’est grâce à Allan Turing[2], que les codes générés par cette redoutable machine furent craqués et que l’issue de la dernière grande guerre du 20ème siècle changea radicalement.
Plus de 70 ans après, voilà que la désinformation refait surface mais cette fois ci en tant qu’arme de destruction massive. On lui a même trouvé une nouvelle appellation : les « Fake News[3] ».
En effet, à la suite de la révolution numérique qui a suscité l’espérance d’une société mieux informée, plus prospère et plus libre, des années plus tard, des appréhensions sérieuses naissent quant au maintien et l’équilibre entre le droit à l’information et la protection des intérêts légitimes de l’individu, des peuples et des Etats.
Aujourd’hui les nouvelles technologies au service de l’information causent des problèmes nouveaux et plus complexes au développement et à la démocratie. Ceci est encore plus vrai dans nos pays dits « en voie de développement » où l’apprentissage de la démocratie se fait tant bien que mal sur fond de crises sociales à répétition.
Le bond technologique de l’autoroute de l’information n’est ni entièrement bon ni entièrement mauvais. Comme toute nouveauté, il est un couteau à double tranchant : il est à la fois un bienfait et un désastre. Internet peut être utilisé pour donner un éclairage objectif sur la situation du pays, mais aussi pour répandre des idées fausses.
Si tous les Etats sont aujourd’hui confrontés au délitement des technologies de l’information, elles rendent en particulier les pays en développement bien plus vulnérables.
En effet, le risque de l’utilisation dans le village planétaire de l’information comme moyen de pression politique et économique à travers des élucubrations infâmes et dévastatrices est de nature à rompre le fragile équilibre national de nos jeunes Etats.
La démocratie guinéenne fait particulièrement les frais de ce qui est l’arme suprême du IIIème millénaire : l’information ou du moins la désinformation.
La désinformation est utilisée comme une arme politique redoutable pour notre démocratie, pour l’évaluer nous devons déterminer en quoi elle change nos réalités objectives et nos valeurs.
Au plan national, la désinformation crée un climat de tension sociale dans notre pays mal préparé à la relativisation des informations reçues ; celle-ci s’insinue de manière subtile et pernicieuse en fragilisant le consensus national.
Ensuite, sur le plan international, la Guinée sur certains aspects est le reflet de l’image que l’on donne à voir d’elle. Les informations fausses ou déformées pourraient nuire fortement à sa vie économique, sociale et politique.
Cette situation est d’autant plus préoccupante que la limitation de nos pays en ressource matérielle rend difficile la maîtrise du flux des communications électroniques circulant sur le réseau Internet. La désinformation peut donc contribuer de façon importante à déséquilibrer notre démocratie encore fragile.
Les réseaux de communications électroniques sont, de par leur nature, décentralisés et conçus pour contourner les tentatives visant à les bloquer. Même les régimes puissants comme les Etats-Unis, le Canada, la Grande-Bretagne ou la Belgique n’arrivent pas plus à contrôler le flux d’information sur le Net. Le plus grave pour les Etats en développement, c’est que l’incapacité à contrôler le flux d’information est d’ordre technologique.
Le terrorisme, les actions armées, les coups de force politiques n’ont pas disparu, ils ont quitté le champ trop visible de la force brutale, ils ont changé, se sont réinvestis dans une arme psychologique bien plus redoutable.
Les informations douteuses, moyens d’expression d’une dissidence radicale et extrémiste peuvent contribuer de façon importante à déséquilibrer la nation encore fragile.
Il est apparu ces dernières années avec clarté que des organisations, étatiques ou non, se sont emparées des réseaux sociaux pour manipuler l’opinion publique voire s’ingérer dans la vie politique et économique de certains pays.
C’est donc pour toutes les raisons ci-avant évoquées que les Etats dans leur ensemble, ainsi que les autres acteurs de la vie internationale, doivent s’insérer dans une évolution psychologique irréversible où la communication de l’information doit cesser de porter sur les apparences qu’elle crée ou veut créer, pour porter sur les réalités objectives.
Il est indispensable voire même primordial pour les pays en développement de dégager un espace de vérité et de transparence original pour s’offrir un éclairage objectif sur les problèmes des Etats et des peuples.
Les législations doivent être uniformisées afin que les responsabilités civiles et pénales des auteurs de fausses informations soient recherchées sur le fondement des lois et, pour entre autres, éviter leur propagation ou leur réapparition par le retrait rapide des contenus en ligne.
Ce nouvel arsenal législatif et réglementaire permettra de développer la coopération transfrontalière et transcontinentale à matière d’abord de prévention et ensuite de recherche des auteurs de fausses informations. Bien entendu, la coopération technique et le transfert de technologie en constituent la base indispensable.
Amara SOMPARE
Ministre de l’Information et de la Communication