A 68 ans, l’opposant charismatique guinéen, Président de l’Union des Forces démocratiques de Guinée (UFDG), candidat perdant de la présidentielle de 2010, Cellou Dalein Diallo s’érige en bouclier face à la dérive autoritaire du Chef de l’État Alpha Condé. Homme d’État accompli, figure de vigie de la sentinelle démocratique, Cellou Dalein crache du feu sur le projet illégal et conflictogène de troisième mandat que prépare à faire passer avec force le locataire du palais Sékoutoureya et dresse un bilan chaotique du régime. Front National pour La Défense de la Constitution, syndrome du chaos insurrectionnel, menace potentielle sur la cohésion nationale, péril djihadiste ouest-africain, position molle de l’UA-CEDEAO, création de la monnaie ECO, révisions des contrats miniers.., Cellou Dalein DIALLO muscle sa garde. Entretien-vérité. EXCLUSIF
LA GRANDE INTERVIEW EXCLUSIVE
‘’Alpha CONDÉ veut s’octroyer illégalement la présidence à vie’’
Confidentiel Afrique : M. Cellou Dalein Diallo, Bonjour, Le Front National pour la défense de la Constitution a appelé les forces vives de la nation guinéenne à manifester jusqu’à l’abandon total du projet d’un troisième mandat que tente de faire avaliser le Président Alpha Conde. Comment comptez-vous mener la résistance unifiée ?
Cellou Dalein DIALLO : Permettez-moi avant de répondre à votre question de rappeler le contexte. La Guinée s’est dotée en 2010 d’une Loi fondamentale qui stipule que nul ne peut exercer plus de deux mandats présidentiels, consécutifs ou non. Elle classe les articles relatifs au nombre et à la durée du mandat du président de la République dans les dispositions dites intangibles, c’est–à–dire qui ne peuvent faire l’objet de révision. En outre, cette Constitution n’a pas prévu de dispositions permettant son abrogation dans un contexte de continuité de fonctionnement des institutions.
Alpha Condé n’a donc aucun moyen légal de briguer un troisième mandat en 2020. Voulant coûte que coûte se maintenir au pouvoir au-delà de cette échéance, il décide de changer la Constitution à huit mois de la fin de son second et dernier mandat. Pour lui, un tel coup de force lui permettrait de ramener les compteurs à zéro et lui donnerait le droit de briguer, à 83 ans, un troisième mandat.
‘’Alpha Condé n’a donc aucun moyen légal de briguer un troisième mandat en 2020’’
Pour garantir sa victoire à ce référendum, aux législatives et à la présidentielle, il se taille un Fichier sur mesure, mobilise l’Administration et l’armée, corrompt la justice, inféode la CENI et encourage, par l’impunité et la corruption, les forces de l’ordre à réprimer dans le sang toute voix discordante.
Ayant constaté l’échec de toutes les démarches engagées pour convaincre Alpha Condé de renoncer à son projet illégal et conflictogène de troisième mandat, le FNDC a décidé d’user de son droit de manifester dans les rues et sur les places publiques pour empêcher la réalisation de ce coup d’état constitutionnel. Cette répression a déjà fait 35 morts, des centaines de blessés par balles, l’enlèvement et la détention arbitraire, y compris dans des camps militaires, de dizaines de cadres et partisans du FNDC. Malgré ce bilan très lourd, le FNDC continuera sa lutte jusqu’à la victoire.
Cellou Dalein DIALLO, Président UFDG
Confidentiel Afrique : Sur France 24, en marge du dernier sommet de l’Union africaine à Addis Abeba, le Président Alpha Condé affirmait que le pays a perdu trois années de crise sanitaire et de mise en route d’une administration, c’est pourquoi il a pensé opportun cette année de poser le débat d’une nouvelle constitution qui sera soumise par voie référendaire. Cet argumentaire vous agrée-t-il ?
Cellou Dalein DIALLO : Evidemment que non. Le pouvoir a aligné toute une litanie d’arguments aussi absurdes les uns que les autres afin de justifier son projet illégal de changement de Constitution. Le seul objectif visé par Alpha Condé est, comme on l’a dit plus haut, de s’octroyer une présidence à vie. Tous les éléments nouveaux relatifs à l’environnement, aux droits de la femme ou de la famille introduits dans son projet de Constitution auraient pu être adoptés à travers une loi organique ou ordinaire ou par des actes réglementaires.
Ébola est un argument fallacieux pour justifier l’injustifiable. Ébola est certes apparu en Guinée, mais l’épidémie a frappé, aussi sévèrement, sinon plus, la Sierra Leone et le Libéria. Contrairement à la Guinée, les dirigeants de ces deux pays voisins n’ont pas cherché à instrumentaliser cette crise sanitaire pour justifier un quelconque report des élections ou une modification de la Constitution pour rester au Pouvoir au-delà de la limite autorisée par la Constitution de leurs Pays. Ils ont, au contraire, organisé à bonne date et dans la transparence, toutes les élections-locales, législatives et présidentielles- pour partir dans l’honneur au terme de leur second et dernier mandat après avoir favorisé de véritables alternances démocratiques dans leurs pays respectifs.
Le pays s’installe progressivement dans une spirale de chaos insurrectionnel, du fait d’un malaise et de tension généralisés depuis plusieurs mois, suite à l’escalade meurtrière du côté des civils. Pourquoi ne pas privilégier le dialogue dans l’intérêt du pays ?
L’UFDG a toujours privilégié le dialogue pour sortir des crises nées de la violation récurrente par le Gouvernement des lois de la République. L’Opposition a participé à plusieurs dialogues politiques au terme desquels d’important Accords ont été signés. Mais jamais le Gouvernement n’a respecté ces Accords.
‘’L’UFDG a toujours privilégié le dialogue pour sortir des crises nées de la violation récurrente par le Gouvernement des lois de la République’’
Ceci dit, nous sommes toujours disposés pour le dialogue comme on l’a notifié récemment au Conseil inter–religieux et à la mission de la CEDEAO, mais dans le cadre du respect de la Constitution et des lois de la République. Il importe de relever que Alpha Condé, dans sa logique de confiscation du pouvoir, agit au mépris de la légalité et refuse même que soient appliquées les rares décisions de justice rendues en faveur de l’opposition, comme ce fut le cas de l’Arrêt de la Cour suprême faisant injonction au gouvernement d’installer les Conseils des quartiers et des régions conformément à la loi.
Le régime en place vit un isolement diplomatique de la part de certaines puissances jusqu’ici considérées comme des alliés de premier plan, comment comptez-vous optimiser ces leviers dans la conquête du pouvoir ?
Cet isolement est dû d’abord aux maladresses et incohérences de Alpha Condé, et ensuite au travail de communicationeffectué par le FNDC tant en Guinée qu’à l’étranger. Le FNDC se félicite bien entendu des nombreuses prises de position de certains partenaires qui ont privilégié la défense de la démocratie, de l’État de droit et des droits humains. Même si on doit déplorer le silence des organisations africaines comme la CEDEAO et l’UA.
Ceci dit, le peuple de Guinée continuera son combat pour l’avènement en Guinée d’une société juste et démocratique, indépendamment de ce que fera ou dira la communauté internationale.
En vous prenant mot à mot, il n’y a pas d’issue de sortie de crise, la seule et non négociable qui sied, est celle de l’abandon du projet révisionnel constitutionnel ?
Bien sûr, c’est la revendication autour de laquelle a été fondée le FNDC. Elle n’est pas négociable. Ce projet illégal et anti-démocratique de changement de Constitution constitue une menace sérieuse pour la paix et la stabilité de la Guinée et de la sous-région. C’est une véritable forfaiture dans le sens où Alpha Condé a juré de respecter et de faire respecter la Constitution et s’est engagé à subir la rigueur de la loi en cas de parjure. Si la Haute Cour de Justice existait, elle aurait pu poursuivre aujourd’hui Alpha Condé pour haute trahison. Malheureusement, il a refusé, durant ses deux mandats, de mettre en place cette juridiction, seule compétente pour juger le Président de la République.
‘’Ce projet illégal et anti-démocratique de changement de Constitution constitue une menace sérieuse pour la paix et la stabilité de la Guinée et de la sous-région’’
Qu’attendez-vous des partenaires de la Guinée, l’Union Africaine et de l’Union Européenne en particulier pour aider le pays à sortir de cette impasse ?
Il faut se réjouir déjà de la résolution adoptée par le Parlement européen le 13 février 2020 demandant au Président guinéen d’arrêter de massacrer ses citoyens et de respecter la Constitution. Nous attendons de la Commission européenne l’application des dispositions de l’Accord de Cotonou.
’’L’Union africaine et la CEDEAO ont trop tardé à réagir face à la dérive autoritaire’’
L’UA et la CEDEAO ont trop tardé à réagir. Il est temps que ces deux organisations africaines s’impliquent pour arrêter la violence, promouvoir le dialogue et défendre la démocratie, la paix et la stabilité en Guinée.
Vos détracteurs vous reprochent souvent d’instrumentaliser la fibre ethnique pour assouvir vos ambitions politiques. Que répondez-vous à ces allégations portées contre vous ?
Ces allégations sont fausses et dénuées de fondement. Tout le monde sait que le président Alpha Condé est devenu depuis son élection controversée de 2010 le champion de l’ethnostratégie et de la division ethnique.
J’ai toujours dénoncé cette politique irresponsable et appelé tous mes compatriotes à ne pas tomber dans ce piège. J’ai toujours défendu l’égalité des chances dans les recrutements à la Fonction publique, dans l’Armée ainsi que dans l’octroi des marchés publics.
Il est bien connu que la stigmatisation et l’exclusion ethniques, l’incitation à la haine et les discriminations sont des pratiques courantes du pouvoir d’Alpha Condé.
Tout n’est pas mauvais sous l’ère Condé. Un récent rapport de Doing Business de la Banque Mondiale salue les progrès pour la création d’entreprises dans le pays. Qu’en dites-vous ?
Ce qui importe ce sont les conditions de vie matérielle et morale des populations. A cet égard, il n’y a pas eu de progrès. La pauvreté et le chômage des jeunes se sont accentués. Il y a eu un véritable recul de la démocratie, de l’État de droit et de la protection des droits humains. Globalement, le climat des affaires s’est plutôt dégradé puisque dans le classement Doing Business, la Guinée est passée de la 152ème place en 2018 à la 156ème en 2019.
‘’La pauvreté et le chômage des jeunes se sont accentués. Il y a eu un véritable recul de la démocratie, de l’État de droit et de la protection des droits humains’’
Malgré les énormes ressources sur le plan hydraulique, les Guinéens ont du mal toujours à bénéficier de l’eau potable ou encore de l’électricité. Dans votre projet politique, vous consacrez des axes à cette épineuse question énergétique. Pouvez- vous décliner votre recette ?
Beaucoup de ressources ont été absorbées dans le secteur de l’électricité sans résultats probants. En effet, à l’heure actuelle, dans la capitale, on n’a pas plus de 6 heures de desserte alors que les villes de l’intérieur du pays sont laissées pour compte. On parle de 3 milliards de dollars investis dans ce secteur où la gouvernance laisse à désirer. En effet, tous les marchés sont attribués sans appel d’offres, souvent à des amis du pouvoir ou à des intermédiaires peu scrupuleux. A cela, il faut ajouter les faibles performances financières, techniques et commerciales de la société nationale d’électricité (EDG).
Pour redresser ce secteur, il faudra bien sûr commencer par améliorer la gouvernance dans le secteur, procéder à la privatisation d’EDG avec un contrat-programme qui engage l’opérateur à relever le niveau des performances de la société. En outre, il faudra engager l’État à mener les réformes permettant d’intéresser les investisseurs et accroitre l’offre énergétique de manière à disposer d’une électricité de qualité à des prix compétitifs pour les industriels et accessibles aux petits consommateurs.
‘’3 milliards de dollars ont été investis dans le secteur hydraulique mais la gouvernance laisse à désirer’’
Quels sont aujourd’hui vos rapports avec Bah Oury, un de vos anciens alliés historiques. Accepteriez-vous de vous retrouver s’il vous tendait la main dans la perspective des élections de 2020 ?
Bah Oury est désormais Président d’un Parti. Moi je suis le Président de l’UFDG. Nos deux partis militent au sein du FNDC contre le changement de Constitution et le troisième mandat.
La situation sécuritaire se dégrade dans des pays comme le Mali, le Burkina, le Niger entre autres. La Guinée est-elle à l’abri d’une contagion du phénomène djihadiste ?
Aucun pays n’est à l’abri d’une contagion du phénomène djihadiste surtout si la qualité de la gouvernance et de l’éducation laisse à désirer. La pauvreté, l’injustice, le chômage et l’exclusion peuvent favoriser la délinquance, l’émigration de masse et peut-être le terrorisme. Heureusement, notre pays, la Guinée, est épargnée par ce fléau.
Vous êtes économiste. Quel est votre point de vue sur l’Eco, la nouvelle monnaie qui devrait voir le jour dans l’espace CEDEAO ?
L’avènement d’une monnaie unique pour l’Afrique de l’Ouest est aujourd’hui bien engagé. Je m’en réjouis d’autant plus que c’est un projet qui ne manquera pas de renforcer l’intégration économique de la sous-région.
Les avantages attendus sont bien connus au plan économique et commercial. Je ne reviendrai pas là-dessus. Il y a un avantage d’ordre politique et psychologique qui est beaucoup attendu par la société civile et les nouvelles générations.
’’ L’Afrique de l’Ouest va se débarrasser du FCFA considéré comme une relique coloniale’’
L’Afrique de l’Ouest va se débarrasser du FCFA considéré comme une relique coloniale. Ceci dit, ce sont les difficultés rencontrées dans la création d’une monnaie unique pour l’Afrique de l’Ouest qui a prolongé la vie du FCFA. En effet, l’introduction d’une monnaie unique en Afrique de l’ouest devait déjà avoir lieu en 2003 avant d’être reportée à plusieurs reprises en 2005, 2010 et 2014.
Ce report n’est pas fortuit. Il traduit le fait que la monnaie est un bien spécifique dont le socle est la confiance. Sa création ne répond donc pas à des discours incantatoires. Elle obéit à des conditions d’une exigence particulière. Bien entendu, mon souhait est que tous les États membres répondent aux critères de convergence dans les meilleurs délais pour l’effectivité de l’Eco comme monnaie unique sur tout le territoire de l’Afrique de l’Ouest.
Demain, si vous accédez au pouvoir. Est-ce que vous renégocierez les contrats miniers signés par l’actuel régime ?
Aucun contrat n’est immuable. Tout contrat peut être renégocié et amendé mais nous devons respecter les engagements pris au nom du principe de continuité de l’État. Cela dit, s’il est possible d’amender ou de réaménager les contrats de longue durée pour mieux partager les revenus, pourquoi pas, mais il ne faudra pas perdre de vue que le secteur minier est un secteur à haute intensité capitalistique requérant plusieurs années, et parfois des décennies entre l’injection initiale de capital et le retour sur investissement.
’’ Toute révision de contrat ou de convention doit se faire dans le respect des intérêts de la Guinée et des investisseurs privés’’
Il va sans dire que toute révision de contrat ou de convention doit se faire dans le respect des intérêts de la Guinée et des investisseurs privés.
Propos recueillis par Ismael AÏDARA (Confidentiel Afrique)