Député et Président du groupe La France Insoumise à l’Assemblée nationale, Jean-Luc Mélenchon a répondu aux questions du Monde arabe. Il nous livre ses sentiments sur la crise électorale et politique en Guinée, où une violente répression s’est abattue contre les opposants au Président Alpha Condé.
Le Monde arabe — Vous avez multiplié les prises de parole sur vos réseaux sociaux en soutien aux opposants guinéens mobilisés contre le troisième mandat d’Alpha Condé. Considérez-vous aujourd’hui la victoire d’Alpha Condé comme illégitime, alors même qu’elle a été reconnue par les organisations régionales africaines (UA – CEDEAO) et la plupart des pays de la région ?
Jean-Luc Mélenchon – Officiellement la Guinée est une démocratie, non ? En démocratie le peuple est souverain. Le peuple guinéen a déjà répondu à votre question. Il s’est opposé au referendum imposé par Alpha Condé en mars 2020 pour modifier la Constitution et se présenter à un troisième mandat. Cette séquence a vu les plus grandes manifestations dans le pays depuis des décennies. La victoire du « oui » à 90% est reçue comme une provocation. On le comprend. Le peuple guinéen est ensuite resté mobilisé contre la candidature d’Alpha Condé jusqu’aux élections d’octobre. Cela malgré une répression qui a fait des dizaines de morts dans ses rangs. La force de cette mobilisation s’explique aussi par la cohérence des revendications. La défense de la Constitution contre l’arbitraire du président a fédéré toutes les colères. Du coup, la Guinée a rejoint la liste des pays du monde où le peuple est entré en révolution citoyenne. Il y a de quoi me semble-t-il. Plus de 10 ans après l’arrivée au pouvoir d’Alpha Condé, la Guinée se classe toujours au 174ème rang sur 189 pour l’indice de développement humain. Pourtant, d’énormes richesses sont issues de ce pays, notamment minières. Mais cette richesse n’est jamais redistribuée. Les Guinéens comme de nombreux peuples dans le monde veulent retrouver le contrôle sur leur démocratie, leurs richesses naturelles, leur économie. Les Français devraient prendre modèle sur leur courage.
Le Monde arabe — Les parlementaires français s’étant prononcés sur la question guinéenne se comptent sur les doigts de la main. La réaction timide de la France et de l’Union européenne semble arriver bien tardivement, alors même que les exactions contre les populations sont documentées depuis presque deux ans par les ONG et l’opposition, qui dénombrent aujourd’hui une cinquantaine de morts.
Jean-Luc Mélenchon – Dites « le gouvernement français », plutôt que « la France ». Ne confondons pas tous les Français avec leurs dirigeants. Notre peuple a tendance à avoir de la sympathie pour qui lutte pour la liberté. Mais personne ne lui parle de ce qui se fait en son nom en Guinée, hélas ! Emmanuel Macron a en effet envoyé un de ses ministres à l’investiture d’Alpha Condé. Il n’y avait personne à celle de Roch Marc Christian Kaboré au Burkina Faso, pourtant élu démocratiquement à la tête de son pays. Macron a condamné du bout des lèvres la violence d’Alpha Condé. Mais, « en même temps », il lui a envoyé une lettre de félicitations. C’est là un étrange signal pour qui prétend défendre les droits humains. Il offre aussi un miroir de la situation des droits humains dans la France de Macron.
Enfin, des considérations affairistes ont peut-être compté. Rappelons que la concession du port de Conakry a été accordée par Alpha Condé à un oligarque français (Vincent Bolloré, NDLR) dans des conditions qui ont été jugées troubles par certains. Rappelons également le rachat de l’usine Alteo de Gardanne par le groupe guinéen United Mining Supply (UMS), dirigé par un très proche d’Alpha Condé. Cette reprise s’est effectuée dans des conditions pour le moins opaques. Comment comprendre une telle attribution malgré une offre de moindre qualité sociale, financière et écologique que celle d’autres repreneurs potentiels. Des représentants influents des oligarchies française et guinéenne partagent clairement des intérêts d’affaires. Mais ni le peuple français ni le peuple guinéen n’en tirent aucun bénéfice.
Le Monde arabe — En Guinée, comme ailleurs en Afrique francophone, la France semble être incapable de trouver le bon équilibre entre maintien de relations privilégiées et volonté de rester le plus inflexible possible face aux atteintes aux droits humains. Quelle serait, selon vous, la politique à adopter pour répondre à une problématique qui s’affirme comme un jeu d’équilibriste ?
Jean-Luc Mélenchon – Il n’est pas si difficile d’imaginer d’autres relations avec les Guinéens. Elles seraient fondées sur le respect de la souveraineté des peuples. Je suis convaincu que nous avons beaucoup de choses à faire ensemble. L’humanité fait face à des défis communs, par-delà les spécificités de telle ou telle situation nationale. La crise écologique nous concerne tous. La pauvreté de masse n’est pas un phénomène délimité à l’Afrique. Même si évidement les peuples africains comptent parmi les plus touchés. Mais la France à son tour la connait avec 10 millions de pauvres alors que le pays n’a jamais accumulé autant de richesses. La pandémie de Covid déclenche une prise de conscience : la santé publique est une question politique mondiale. Bien sûr, en Afrique, on le sait depuis longtemps. Dans tous ces domaines, il faudra construire des solutions communes, basées sur l’entraide. L’espace francophone est un atout pour avancer collectivement. L’humanité est à un carrefour historique. La compétition généralisée ne peut mener qu’aux guerres sociales et aux guerres entre nations. L’alternative est la coopération entre peuples souverains dans un monde ordonné plaçant l’intérêt général de l’humanité au-dessus de tout. C’est le sens des processus de révolution citoyenne qui se sont multipliés depuis le début des années 2010. Leur inscription dans les cadres nationaux, qui seuls permettent à ce jour l’expression de la souveraineté populaire, ne doit pas faire oublier leur dimension internationale, indissociable. Ce cadre global doit déterminer les relations entre la France et les pays africains.
Le Monde arabe — Vous dénoncez les politiques de prédation de puissances étrangères, dont la France, sur les ressources et les infrastructures guinéennes. La France devrait-elle, rationnellement, renoncer à ce qui lui reste d’influence économique dans le pays, au risque de voir d’autres pays (Russie, Chine), s’y engouffrer ?
Jean-Luc Mélenchon – Les pays comme la Chine ou la Russie se sont déjà « engouffrés ». En Guinée, par exemple, ils ont pris des parts importantes dans l’extraction et le commerce de la bauxite dont le sol renferme les premières réserves mondiales. Je n’ignore pas les objectifs de ces « nouveaux » acteurs sur le continent africain. Ils s’inscrivent dans la compétition généralisée que j’ai dénoncée déjà. Pour autant je n’accepte pas la petite musique selon laquelle toute évolution progressiste de nos relations avec l’Afrique serait un cadeau fait aux Russes ou aux Chinois. Le seul objectif de ces « arguments » est d’interdire tout questionnement sérieux sur nos relations bilatérales avec les pays africains. La situation au Mali le démontre. Il n’y a pas eu besoin que telle ou telle puissance s’en mêle pour que l’image de la France et de son armée s’érode au fur et à mesure auprès du peuple malien. Les gouvernements français successifs ont enlisé la France et le Mali dans une guerre dont j’avais pointé dès le départ les dangereuses inconnues. Plus globalement, l’Afrique ne peut pas être résumée au nouveau théâtre d’un « grand jeu » entre puissances étatiques. C’est oublier les peuples africains, leurs capacités de mobilisation et leur souveraineté. Je crois profondément à un destin commun possible entre nous sur la base de la francophonie et du respect mutuel. Je n’oublie pas les relations de connivence intéressées entre certains secteurs économiques français et certaines élites de pays africains. Elles ne profitent qu’à une poignée d’oligarques de part et d’autre. Je crois à tout autre chose. Africains et Français peuvent faire causes communes sur des dizaines de projets communs chacun apportant le meilleur de lui-même au pot commun.