À l’issue de la première édition du Guinea Investment Forum (GUIF), Financial Afrik s’est entretenu avec Namory Camara, le directeur général de l’Agence guinéenne pour la promotion des investissements privés (APIP), agence organisatrice du forum. Il revient sur les enjeux et les retombées de la rencontre tenue le 24 février 2021 à Conakry.
En organisant le Guinea Investment Forum (GUIF) dans un contexte de crise sanitaire mondiale liée au Covid-19, quels étaient les objectifs poursuivis par le gouvernement guinéen ?
Le gouvernement recherchait quatre objectifs principaux : le premier des objectifs naturellement, c’est de promouvoir et de faire découvrir les potentialités du pays ; permettre au monde entier et aux investisseurs en l’occurrence, de toucher du doigt les potentialités et les opportunités d’investissement en Guinée. Le deuxième objectif recherché à travers ce forum, et c’était l’objectif principal, c’est de permettre l’accès au financement des promoteurs de projets. On voulait en faire un forum transactionnel; pas un forum comme les autres. Donc le financement était le leitmotiv du forum. Je pense que les résultats engrangés en si peu de temps le prouvent. Le troisième objectif, c’était de permettre de nouer des partenariats concrets entre les différents acteurs ; des partenariats entre le secteur privé guinéen et le secteur privé étranger. Le gouvernement guinéen avec un certain nombre d’institutions et enfin le secteur privé national avec des institutions de financement nationales et étrangères. Le dernier objectif, c’était de permettre de booster les activités économiques de notre pays en accueillant les investisseurs étrangers et malgré la pandémie, le contexte sanitaire et le climat, nous avons eu des investisseurs qui ont bravé les écueils pour venir assister à ce forum.
Est-ce que ces objectifs ont été atteints?
Pour un forum qui a eu lieu pour la toute première fois, je pense qu’on peut s’en réjouir. Il y a eu des motifs de satisfaction majeurs. Il est vrai qu’on avait le climat qui était contre nous avec la crise sanitaire liée au Covid-19; mais lorsqu’on regarde un peu les chiffres, on a présenté 51 projets, il y a eu des engagements pour plus de 220 millions de dollars de financement actés par des institutions financières nationales et étrangères. Il y a eu une forte mobilisation du secteur privé national et des investisseurs étrangers, 62 pays étaient représentés avec 1600 participants. Je pense que c’est au-delà de ce que nous attendions. Nous sommes totalement satisfaits. Vous savez, ce n’était pas évident. On a mis en place un dispositif de test covid-19 parce qu’il fallait tenir compte de la crise sanitaire, il fallait avoir été testé négatif pour accéder au forum. L’équipe d’organisation de l’APIP a relevé ce grand défi qui n’était pas évident du tout. Franchement, à travers l’expérience que j’ai eu à travers le monde, le GUIF n’avait rien à envier aux événements qui se tiennent à Londres ou ailleurs. Je pense que le défi a été relevé. Ceux qui n’ont pas pu venir à l’événement ou accéder au Forum, ont assisté au forum en ligne comme s’ils y étaient. Donc, c’est le lieu de dire que tout cela été possible grâce au leadership du président de la République le professeur Alpha Condé qui s’est impliqué lui-même dans la mobilisation de certains des acteurs ainsi que les ministères de tutelle, le Premier ministre aussi était en première ligne. Nos partenaires de la BAD et de SFI se sont aussi fortement mobilisés et la grande surprise pour moi a été la forte mobilisation du secteur privé national qui s’est manifesté non seulement à travers sa participation effective à l’événement, mais aussi à travers le sponsoring. On était débordé de sponsoring. Nous avons eu plus de 17 exposants, des multinationales présentes en Guinée mais aussi des entreprises 100 % guinéennes.
Quel enseignement tirez- vous de la tenue de ce forum ?
Je pourrais tirer trois (3) enseignements majeurs. Le premier, c’est le dynamisme du secteur privé national. Vous savez, nous vivons une situation particulière dans le pays. La crise sanitaire Ebola s’est rajoutée à la dernière minute à celle du Covid-19. En dépit de tout ça, nonobstant tous ces obstacles, nous avons connu une forte mobilisation de notre secteur privé et des institutions de financement. Une cinquantaine de projets ont été présentés; 200 millions de dollars de deal ont été scellés; les bailleurs de fonds aussi ont réaffirmé leur engagement d’accompagner la Guinée dans son développement. Le président de la BAD l’a réaffirmé à l’ouverture du forum; la SFI, la BADEA, Afriximbank, les fonds d’investissements américains, donc cela aussi, il faut le souligner et le président de la République l’a manifesté à travers sa présence et le discours qu’il a tenu. Je pense qu’il y a eu des enseignements positifs à tirer. Il faut faire confiance à son pays, c’est ce que l’équipe de l’APIP a fait ainsi que les ministères de tutelle et moi-même. Nous avons fait confiance à l’équipe d’organisation, c’est ce qui nous a permis d’atteindre ces objectifs. Maintenant, si l’on doit se projeter sur l’avenir, on doit tirer les leçons afin de faire mieux. Il ne faut pas penser aussi que tout a été positif, il y a beaucoup de choses qu’on pourrait améliorer pour le futur. Mais dans l’ensemble, nous sommes satisfaits.
La Guinée a enregistré en 2020, un recul de 4 places dans le classement Doing business par rapport à 2019, passant de la 152ème à la 156ème place. Qu’est-ce qui explique cela ?
Cela est dû un peu aux mécanismes, au processus même d’approche du Doing business. Il est vrai que moi-même, j’avais fait une protestation qui avait finalement été prise en compte. Les gens du Doing business n’ont pas pris contact avec le gouvernement, ce qui n’est pas normal. Il y a des reformes qui ont été faites, mais qui ne sont pas arrivées à temps et n’ont pas été comptabilisées. Je pense que ceci explique cela. De toutes les façons, quand vous regardez grosso modo le chiffre de quatre points qu’on a perdu, le Rwanda a perdu des points, le Ghana a perdu des points, l’Éthiopie a perdu des points, l’Ouganda a perdu des points mais ça ne veut pas dire pour autant que dans ces pays-là, l’environnement des affaires s’est détérioré. Je pense donc qu’il faut faire attention à cet aspect, même si on doit redoubler d’efforts. Ce qu’il faut dire, c’est que même au sein même du Doing business, il y a eu des problèmes. Par exemple en 2020, il n’y a pas eu de classement parce qu’à l’interne, ils ont été obligés de revoir leur approche parce que des pays ont protesté et contesté les méthodes de calcul, ce qui a amené à la suspension momentanée du rapport. Grosso modo, la Guinée a gagné 23 points de 2012 à 2020. Donc, nous avons énormément progressé dans le classement alors que nous n’étions même pas classé avant 2012.
Concrètement, quelles sont les retombées en terme d’engagements ?
Des engagements ont été pris et le chiffre de 200 millions de dollars que j’ai avancé est un engagement de financement. Les investisseurs, non des moindres, ont découvert les potentialités énormes de la Guinée et ont commencé à s’engager même après le forum. Parce que ce qu’il ne faut pas oublier, le gros du boulot se fait après le forum. Voilà pourquoi nous avons mis en place une plateforme dédiée. L’équipe projet va continuer à travailler sur les retours. Comme je le disais, ce n’est pas un forum ad ‘hoc. Il faut continuer après le forum et c’est beaucoup plus important que durant le forum. Donc déjà, beaucoup d’institutions de financement ont commencé à interagir directement avec les porteurs de projets et certains d’entre eux n’auraient jamais imaginé être en contact avec ces institutions de financement non des moindres si ce forum-là n’avait pas eu lieu. Nous estimons que peut-être dans les mois à venir ou l’année prochaine, nous en tirerons concrètement des leçons, car ces deals prennent parfois un peu de temps avant de se concrétiser. Ce qui était important pour nous, c’était d’organiser un forum transactionnel ; présenter des projets bancables ; mettre en relation nos promoteurs privés avec les institutions de financement et ce pari, nous l’avons réussi. Nous avons eu plus de 80 demandes de B to B et ce, même après l’évènement, il y a des rendez-vous qui se tiennent, donc c’est vraiment un motif de satisfaction.
Comment percevez-vous l’environnement des affaires en Guinée ?
Positivement. Ça s’est beaucoup amélioré. Il ya eu beaucoup d’investissement. L’environnement des affaires, il faut le stimuler à travers des investissements lourds dans l’amélioration des infrastructures. Le gouvernement a beaucoup investi dans les infrastructures routières, agricoles, l’énergie, dans les nouvelles technologies (plus de 4000 km de fibre optique qui traversent le pays), l’amélioration des services de téléphonie, l’internet, etc. Cela stimule l’environnement des affaires et tout ceci a permis d’améliorer le climat des affaires. Des reformes majeures et courageuses ont été faites, telles que l’installation du tribunal du commerce, l’adoption d’une loi PPP, une loi anti-corruption pour rassurer les investisseurs, un code des investissements attractif adopté en 2015, la célérité dans les dossiers de création d’entreprises à l’APIP qui, elle-même est un instrument qui a favorisé cette amélioration du climat des affaires. Beaucoup de réformes dans l’amélioration du climat des affaires sont liées aux performances intrinsèques de l’APIP donc pour cela, il faut saluer le président de la République parce qu’aujourd’hui, en moins de 48 -72 heures, vous pouvez créer votre entreprise contre 3 mois ou plus à l’époque. L’APIP affiche un taux de 80 % d’entreprises créées en moins de 24 h donc l’environnement s’est amélioré. Cependant, il y a encore beaucoup à faire. Notre ambition, c’est d’être dans le top 100 dans le Doing Business. La Guinée a été classée parmi les 3 pays francophones parmi les plus grands réformateurs, cela il ne faut pas le nier, même s’il y a encore énormément de choses à faire. Je crois que l’engagement du président de la République nous rassure. Lors de son discours d’ouverture au GUIF, il a parlé de transparence, de lutte contre la corruption. Je pense que tout ceci va dans l’assurance donnée aux investisseurs qui vont venir dans un pays où la corruption sera à un niveau de tolérance zéro et où il y a un investissement lourd dans les infrastructures. Je pense qu’on est dans la bonne direction.
Ce forum sera t-il désormais institutionnalisé par l’APIP, ou c’était juste un sorte de remobilisation générale pour booster les investissements ?
Ce forum est déjà institutionnalisé par arrêté ministériel depuis l’année dernière. C’est un forum porté par le gouvernement guinéen même si bien entendu, l’APIP est l’initiatrice et l’agence d’exécution. Normalement, il doit se tenir chaque deux ans. Il devrait se tenir à nouveau en 2023 exceptionnellement et c’est une exclusivité, il se tiendra à Dubaï en marge d’Expo2020 qui est un événement universel.
Entretien réalisé Par Mamadou Aliou Diallo et Mohamed Camara in financial afrik