CNRD – CRIEF ou la justice des plus forts
Ils sont rarissimes, les Guinéens qui n’ont pas salué la création de la CRIEF (Cour de Répression des Infractions Economiques et Financières), début décembre 2021, dans ce pays riche en ressources, mais parmi les plus pauvres du monde, en termes de revenu par habitant.
Tout semblait bien commencer. Installée le 21 janvier 2022, on apprend deux semaines après (4 février) que la CRIEF a de quoi pour débuter sa mission. Alphonse Charles Wright, le procureur général près la Cour d’appel de Conakry, transmet à Aly Touré, le procureur spécial près la CRIEF, un lot de dossiers sur lesquels des enquêtes ont déjà été menées, portant sur des ‘‘faits soupçonnés de corruption, de détournement de deniers publics, d’enrichissement illicite, de vol, d’escroquerie et de trafic d’influence’’, entre autres. Plus d’une vingtaine de dossiers, parmi lesquels l’audit d’Air Guinée, Friguia, EDG, LONAGUI, ainsi que le contrôle des effectifs de la fonction publique et celui des inscriptions des étudiants de l’Université de Sonfonia. Jusque-là, on pouvait espérer que les choses se passaient bien, sans ingérence, et que la CRIEF fonctionnerait en toute indépendance ; quand on sait que les Guinéens étaient encore dans l’incompréhension suite au limogeage de la Garde des sceaux, Ministre de la Justice, Mme Fatoumata Yarie Soumah, le soir du réveillon.
Même si ‘‘on cherche des poux sur un crâne rasé’’ dans le dossier Air Guinée, on a vite compris que ce 1er lot transmis à la CRIEF n’intéresse pas assez les nouvelles autorités ‘‘militaires’’ du pays. Apparemment, le colonel Doumbouya et ses camarades du CNRD sont partagés entre les règlements de compte et une chasse aux sorcières contre les gros bonnets de la classe politique, d’une part, et les dignitaires du régime déchu, d’autre part. C’est ainsi que les décrets de limogeage des responsables des EPA et EPIC (proches d’Alpha Condé) se sont accentués, accompagnés de la mise sous contrôle judiciaire de la plupart. Sans avoir le temps de monter correctement les dossiers en charge, et sous pression, la CRIEF devient l’outil de répression surtout contre tous ceux que le colonel Doumbouya et le CNRD veulent ‘‘éliminer’’ dans la course aux échéances électorales à venir.
Il suffit de critiquer la transition ou d’exprimer son ambition pour l’après-transition pour que la machine dégaine. C’est à partir de là qu’on peut dire que l’ingérence a commencé dans le travail de la CRIEF.
Début de la chasse aux sorcières
Quelques jours après sa mise en place, cette cour spéciale a assumé son qualificatif « spécial », surtout par ses méthodes orientées vers la justice des vainqueurs. Début mars, on apprend dans les médias que la CRIEF a envoyé à l’ancien PM, Ibrahima Kassory Fofana, la liste de tous les membres du gouvernement qu’il dirigeait. Ils seraient tous soupçonnés de détournements présumés de deniers publics et de corruption. Pour plus d’un, la CRIEF avait-elle besoin de passer par Kassory Fofana pour ça ? En tout cas, le but semble être un message envoyé à tous : « tu restes sur le carreau, ou tu passes ! »
Mais avant que cette information soit rendue publique, le 17 février, le procureur spécial de la CRIEF, s’adressant à la Direction Centrale des Investigations Judiciaires (DCIJ) de la gendarmerie, avait présumé que chacun des Ministres sur cette liste a commis des crimes économiques. Sans aucun dossier transmis à la DCIJ, à l’exception de cette liste, on peut imaginer que la démarche d’Aly Touré ressemble plus à une procédure téléguidée (une chasse aux sorcières) qu’à une investigation basée sur des faits.
Malgré cette menace à peine voilée, d’anciens Ministres et hauts cadres du régime déchu se sont fortement mobilisés, fin mars, pour la Convention extraordinaire du RPG-AEC. Et là, c’est la goutte d’eau qui a fait déborder le vase ; pour le CNRD et la CRIEF, c’est un affront, croyant sans doute que le message envoyé avait bien été compris. Quelques jours après, l’ancien PM qui avait reçu le courrier et qui préside désormais le Conseil Exécutif Provisoire, et d’autres collègues sont convoqués, puis écroués.
Ce signal envoyé semble désormais bien compris. Car, depuis l’emprisonnement de Kassory Fofana, Mohamed Diané, Oyé Guilavogui et Diakaria Koulibaly (libéré sous caution), suivi de celui de l’ancien Président de l’Assemblée nationale, Amadou Damaro Camara et de l’ancien Ministre Lounceny Camara, ceux qui avaient voulu rejoindre la lutte politique du RPG-AEC, se sont de nouveaux calmés. Ils semblent accepter le dicta du CNRD que la peur de se retrouver aux 5 étoiles de Coronthie (Maison centrale), aux côtés de leurs collègues. Pourtant, rien ne les rassure que le CNRD ne les draineraient pas devant la CRIEF, même par saut d’humeur.
Tous sont dans la ligne de mire…
Jusque-là, on aurait cru que le CNRD et la CRIEF ne visent seulement que les dignitaires du précédent régime. Mais, au vu des procédures engagées, tous les dignitaires des régimes Conté et Condé, devenus acteurs importants sur la scène politique, sont confondus.
Le jeu, soutenu par les rumeurs, est très compris. Quand, notamment, on a ramené le dossier Air Guinée et le patrimoine bâti a lancé sa fameuse opération de récupération des domaines de l’Etat, les partisans de ceux qui sont concernés ont dénoncé des actes guidés contre leurs leaders.
Parallèlement, la CRIEF entre en jeu. On apprend que d’anciens Ministres et Directeurs généraux sont convoqués. Comme pour dire que personne n’est épargnée.
Force est de reconnaitre qu’en République de Guinée, chaque régime cherche à bâtir sa légitimité sur la tombe du précédent. Du coup, même l’Administration fonctionne ainsi ; du haut jusqu’en bas de la pyramide. Dans les actes et discours populistes, on veut faire croire que le régime précédent est à la base du malheur de notre République de Guinée.
C’est dans ce contexte que les Guinéens découvrent les premières victimes du couple CNRD-CRIEF. Le 22 février dernier, le dernier Ministre du Budget d’Alpha Condé, Ismaël Dioubaté, et la DAF du Ministère en charge de l’Enseignement Technique, Evelyne S. Mansaré, ont été inculpés et écroués dans l’affaire Nabayagate, tout comme l’ancien Ministre et Conseiller personnel d’Alpha Condé, Tibou Kamara, placé sous contrôle judiciaire. Le lendemain, 23 février, c’est au tour de l’ex-DG du FER (Fonds d’Entretien Routier), Souleymane Traoré, de rejoindre les deux premiers à la Maison centrale pour ‘‘détournement de deniers publics’’.
Depuis, on assiste aux défilés d’anciens Directeurs généraux, Ministres, PM et président de l’Assemblée nationale d’Alpha Condé à la DCIJ. Peut-être, bientôt, des leaders politiques d’autres partis, notamment, Cellou Dalein Diallo, convoqué pas à la Gendarmerie, mais directement à la CRIEF ; on nous dira que parce que les enquêtes sont déjà bouclées dans le dossier Air Guinée.
Dans les premiers cas, on n’a pas besoin d’être du domaine judiciaire pour reconnaitre que la procédure n’a pas été respectée pour tous ceux qui se sont retrouvés en prison. A écouter leurs avocats, à la gendarmerie, aucune charge particulière n’a été relevée contre leurs clients, aucun fait précis n’a non plus été relevé contre eux. D’où, leur incompréhension de les retrouver brusquement en prison.
Cependant, pourra-t-on reprocher aux futurs dirigeants du pays, les mêmes démarches ; engager de telles procédures contre les autorités de la transition en cours (futurs anciens dignitaires du pays) ?
Aussi, on se rappelle que face aux présidents des institutions et des membres du gouvernement déchus, le lundi 06 septembre 2021, le colonel Mamadi Doumbouya n’avait-il pas affirmé qu’il n’y aura aucun esprit de haine ni de chasse aux sorcières, et que « la justice sera la boussole qui orientera chaque citoyen guinéen » ? Pourtant, au vu des actes posés depuis, soit celui que nous avions cru être ‘‘notre sauveur’’ ne comprend pas bien la langue de Molière, soit lui aussi nous a trompé. Et s’il s’agit du second cas, les Guinéens ne se laisseront pas faire.
Wait and see !
Cheick Ahmed T. Diallo