Tout d’abord, je voudrais commencer par vous féliciter, la merveilleuse République de Guinée et l’ensemble du continent africain, à l’occasion de la Journée de l’Afrique, qui est célébrée aujourd’hui dans le monde entier. Les 60 ans de l’Union africaine sont un anniversaire important qui a permis à l’Afrique de devenir ce qu’elle est dans le monde globalisé d’aujourd’hui. L’Afrique a une voix extrêmement puissante, une influence tangible dans le monde qui ne peut être ignorée.
L’Afrique a toujours été, est et sera au centre de l’attention de l’Ukraine. Depuis le tout début de la lutte pour l’indépendance et la décolonisation des États africains, l’Ukraine, en tant que cofondateur et membre actif des Nations unies, défend et promeut les intérêts des nations africaines. En outre, depuis l’indépendance de l’Ukraine, nos « casques bleus » – participants aux missions de maintien de la paix des Nations unies – ont rempli honorablement et continuent de remplir leur mission dans un certain nombre de pays africains, ce qui leur a valu une bonne réputation et de la gratitude.
L’Ukraine a également formé des milliers de jeunes Africains talentueux, que ce soit à l’époque soviétique ou aujourd’hui. Sur les plus de 80 000 étudiants étrangers qui étudient actuellement en Ukraine, environ 23 000 sont originaires du continent africain. Et ce ne sont pas que des chiffres. Derrière chacun d’entre eux se cache un destin humain, une carrière de médecin, d’ingénieur, de financier ou de politicien. Nous sommes très fiers du fait que de nombreux représentants des élites africaines ont commencé leur carrière en Ukraine.
En outre, les pays africains sont des acteurs puissants sur la scène internationale, ils sont nos partenaires et nos amis. Nous serons toujours reconnaissants aux pays africains qui ont voté en faveur de l’intégrité territoriale de l’Ukraine et qui continuent à défendre les principes et les normes du droit international, l’inviolabilité des frontières et l’intégrité territoriale. Après tout, ces principes de coexistence pacifique sont des valeurs fondamentales pour tout le monde, y compris les États africains.
2- Comment analysez-vous l’évolution de la position de l’Afrique sur la guerre russe contre l’Ukraine ?
Aujourd’hui, malheureusement, il est impossible de dire que tous les pays africains comprennent les causes et, surtout, les conséquences de la guerre russe contre l’Ukraine.
Mais je peux constater que pendant les 15 mois de la guerre russe en Ukraine, la position de l’Afrique dans son ensemble a quelque peu changé.
De plus en plus de pays africains commençaient à mieux comprendre les véritables raisons et, surtout, les conséquences de cette guerre barbare du Kremlin contre l’Ukraine. Et cela, à travers le prisme de choses spécifiques. Je veux dire le risque d’une crise alimentaire en Afrique due au blocage par des terroristes russes de la plupart des ports maritimes ukrainiens.
Je crois que la position de certains pays africains évolue très lentement. Et leurs appels prudents à mettre fin à la guerre uniquement dans l’intérêt d’exportations ininterrompues d’engrais, de céréales ou de maïs vers l’Afrique sont très peu convaincants. A mon avis, il faut trouver le courage et condamner haut et fort l’agression russe. Il ne faut pas craindre les envahisseurs russes. Nous devons comprendre que le monde change sous nos yeux.
Il faut aussi comprendre qu’aujourd’hui la «neutralité» ou « l’équidistance» ne fait que montrer que la Russie fait ce qu’elle veut. Et cela pousse ce pays terroriste à commettre de nouveaux crimes.
Je souhaite vraiment que la République de Guinée, un pays que j’aime beaucoup, puisse analyser objectivement la situation en Ukraine et exprimer sa voix importante pour condamner l’agresseur russe et soutenir mon pays dans une guerre juste contre le régime criminel de Poutine.
Je ne crois pas qu’il faille être neutre en temps de guerre. C’est une attitude erronée. Il ne peut y avoir de neutralité entre la vie et la mort.
Je suis fermement convaincu que si un pays n’a pas un poids économique ou politique suffisant pour influencer la Russie et la forcer à arrêter la guerre, il doit au moins, au niveau diplomatique, condamner la mort, l’autocratie, le racisme, le nazisme et le rasсisme (fascisme russe), et condamner l’agression.
3- N’avez-vous pas eu le sentiment d’avoir un peu négligé l’Afrique sur le plan diplomatique avant et juste après le déclenchement de la guerre ?
L’Ukraine a toujours cherché à développer ses relations avec l’Afrique, mais, comme vous le savez, en se basant principalement sur ses capacités financières et sur l’utilité économique.
N’oublions pas non plus que la guerre avec la russie a débuté en 2014, ce qui a également entraîné des ajustements de nos priorités en matière de politique étrangère. En février 2022, sa phase chaude a commencé.
Nous avons dû créer une nouvelle architecture de relations avec le monde extérieur, y compris avec l’Afrique. Même en état de guerre, un pays doit fonctionner et stimuler son économie. Aujourd’hui, c’est difficile car les terroristes russes continuent de détruire les infrastructures industrielles et de transport dans mon pays.
Mais la vie continue, et malgré cette guerre russe, nous continuons à développer notre présence diplomatique en Afrique, rattrapant ainsi le temps perdu. Et nous atteindrons sans aucun doute notre objectif. Parce que l’’Ukraine et l’Afrique sont beaucoup plus proches l’une de l’autre si l’on y regarde de plus près.
Je peux vous dire que d’ici la fin de l’année, nous ouvrirons plusieurs autres ambassades ukrainiennes sur le continent africain. Ce sera une confirmation supplémentaire de notre volonté d’approfondir et d’élargir nos relations avec l’Afrique, car nous avons beaucoup à lui offrir.
4- Il est vrai que le conflit en Ukraine est particulier, mais comprenez-vous ceux qui en Afrique font le parallèle avec les autres conflits sur le continent, déplorant le manque de sensibilité de l’Occident ?
Oui, je peux les comprendre. Mais la guerre en Ukraine – ou, comme vous dites, le conflit – est d’une échelle complètement différente, d’une idéologie différente, de ressources différentes. C’est une guerre des civilisations, c’est une guerre des visions du monde. Ce n’est pas un conflit local qui se déroule quelque part très loin, en Europe.
Une telle ampleur d’agression, de violence, de destruction et de génocide n’a pas été vue depuis la Seconde Guerre mondiale. Je suis convaincu, que non seulement l’Europe, mais aussi l’ensemble du monde démocratique et civilisé, y compris l’Afrique, doivent arrêter ce monstre Poutine, chroniquement malade des ambitions impériales. Il cherche à changer l’ordre mondial, mais il est tout à fait évident qu’il n’y parviendra pas. Il a déjà perdu.
Il ne fait aucun doute que si ce dictateur gagne, il ira plus loin. Qui peut garantir que l’impunité de ses actes criminels n’aura pas de conséquences pour l’Afrique ? Croyez-moi, personne ne vous le garantira !
5- Ces derniers mois la diplomatie ukrainienne a déployé beaucoup d’efforts pour convaincre les pays africains qui refusaient au début du conflit de condamner l’agression russe. Avez-vous senti un changement de perception des Africains sur ce conflit ?
Oui, comme je l’ai déjà dit, le changement de position parmi certains pays africains est évident. On peut appeler cela un progrès, mais ce progrès doit être plus rapide.
Le monde commence déjà à ouvrir les yeux sur ce que fait l’État terroriste russe en Ukraine. Vous comprenez que dans toute guerre il y a des règles. La Russie ne sait pas ce que sont les règles, ce qu’est le droit international, ce que sont les lignes rouges. C’est un pays qui fait tout ce qu’il veut, qui y va à fond. C’est une voie dans l’impasse.
Je veux vraiment que nos partenaires africains se réveillent enfin et condamnent cette guerre haut et fort. En adhérant aux sanctions internationales, en mettant fin à la coopération avec ce pays agresseur, etc. Mais cela, comme on le sait, nécessite de la détermination et de la volonté politique.
6- Des dirigeants africains appellent régulièrement à une résolution négociée du conflit. Etes-vous ouvert à une médiation venant de l’Afrique ?
Sur fond d’affaiblissement de l’offensive russe dans l’est de l’Ukraine et de l’offensive ukrainienne attendue, des voix du monde entier appellent à des négociations de paix entre la Russie et l’Ukraine, pour un cessez-le-feu immédiat. Ces voix ignorent le fait que la Russie n’a montré aucun intérêt réel pour des négociations de bonne foi ou une cessation des hostilités.
Je suis absolument certain que les paroles de Moscou ne valent rien et que le Kremlin continuera à attaquer l’Ukraine pour tuer plus de gens et s’emparer de plus de territoires.
Aujourd’hui, nous entendons de plus en plus parler de soi-disant plans ou initiatives de paix de la part d’un certain nombre de pays étrangers. Un plan de paix a été proposé par la Chine, le Vatican et d’autres. Il y a quelques jours, le Président sud-africain Cyril Ramaphosa a proposé une initiative de paix africaine, soutenue par la Zambie, le Sénégal, la République du Congo, l’Ouganda et l’Égypte. Les dirigeants de ces pays devraient se rendre à Kyiv et à Moscou dans un avenir proche.
À cet égard, il est très important de souligner deux choses.
Primo: L’Ukraine dispose déjà de sa propre Formule de paix, soutenue par la communauté internationale. Aucun pays au monde n’aspire autant à la paix que l’Ukraine. Mais nous savons aussi que la vraie paix doit être juste et durable. La vision ukrainienne de la voie vers une telle paix est réaliste et concrète.
Secundo: Tout plan ou initiative de paix ne peut en aucun cas envisager le gel de la guerre russe en Ukraine ou la concession d’au moins un centimètre de territoire ukrainien aux terroristes russes.
Kyiv étudie attentivement toutes les propositions et salue toutes les initiatives qui respectent l’intégrité territoriale de l’Ukraine, les principes de la Charte des Nations Unies et les résolutions pertinentes de l’Assemblée générale. Mais, je le souligne une fois de plus, toute proposition à l’Ukraine de faire des concessions territoriales sera rejetée.
7- Est-ce que l’Afrique ne court pas le risque de subir les conséquences de cette guerre?
Bien évidemment, et pas seulement l’Afrique. Mais aussi le Moyen Orient et l’Amérique latine et d’autres régions du monde.
L’Ukraine est l’un des plus importants exportateurs de produits alimentaires au monde.
Du blé, de l’huile végétale, du maïs et d’autres produits agricoles sont exportés d’Ukraine depuis des décennies. C’est la base de la stabilité et de la sécurité intérieure de nombreux pays dans différentes régions du monde.
Maintenant que les marchés mondiaux ne se sont pas encore remis des chocs de la pandémie, des chocs des prix aux denrées alimentaires, personne n’est à l’abri des pénuries alimentaires physiques.
Les сriminels russes minent des champs en Ukraine, font exploser des machines agricoles, détruisent les approvisionnements en carburant qui sont fort nécessaires aux semailles, ils ont bloqué nos ports maritimes.
Mon pays aura suffisamment de nourriture, mais le manque d’exportations de l’Ukraine touchera de nombreux pays. C’est sûr.
Malgré la guerre russe, l’Ukraine parvient à exporter du blé et d’autres produits alimentaires vers les pays d’Afrique, d’Asie et d’Amérique latine. Ceci est facilité par l’initiative du Président ukrainien Volodymyr Zelensky « Grain from Ukraine », lancée en novembre de l’année dernière.
L’Ukraine a déjà exporté plus de 3 millions de tonnes de blé. Et nous continuerons à le faire. Nous ne permettrons pas une crise alimentaire mondiale, en particulier en Afrique.
- Avec la présence de Wagner en Afrique, qu’est ce que l’Ukraine peut apporter à l’Afrique pour combattre cette nébuleuse ?
Nous, en Ukraine, savons très bien ce qu’est l’organisation terroriste WAGNER et surtout comment la combattre. Oui, ces voyous ont des capacités militaires à ce stade, mais cela ne durera pas longtemps.
Nous savons comment détruire efficacement ces brigands. Ils perdent jusqu’à 250 à 300 terroristes sur le champ de bataille chaque jour.
Sans aucun doute, nos services compétents surveillent et analysent attentivement les activités de Wagner en Afrique et nous sommes prêts à partager avec nos collègues africains notre expérience et les « technologies de destruction » de ces criminels internationaux.
- Qu’est ce l’Ukraine fait pour aider l’Afrique à combattre les djihadistes en Afrique de l’ouest ? Je vais vous répondre ainsi : nous avons quelque chose à offrir à nos partenaires ouest-africains.
Vous comprenez que je ne peux pas tout dire publiquement. Je suppose que le dialogue pertinent entre les parties prenantes est déjà en cours. Le temps nous le dira.
Soyons patients !