Affaire des 700 milliards de la Douane : entre espoir et méfiance vis-à-vis de la CRIEF !
Dans le scandale retentissant de détournement de 700 milliards de francs guinéens à la Direction générale de la Douane, la Cour de répression des infractions économiques et financières (CRIEF) a frappé fort en mettant aux arrêts le directeur général de cette institution, le Général Moussa Camara, également membre du CNRD, et son adjoint. Cette action, supervisée par le procureur spécial Aly Touré (photo à droite), confirme la volonté du CNRD d’aller jusqu’au bout dans cette affaire. Comme l’a toujours affirmé le Général Mamadi Doumbouya, sa lutte contre la corruption ne connaît ni amis ni parents, et sa main ne tremblera pas. La preuve vient d’être faite par ces arrestations de hautes personnalités.
Cependant, si ces arrestations marquent une étape symbolique, elles posent un défi monumental au CNRD. Ce dossier sera un véritable test de son engagement à appliquer une justice impartiale et sans favoritisme. Le glaive de la justice doit frapper avec la même intensité, quel que soit le statut ou la notoriété des mis en cause. Or, l’ombre du doute plane : peut-on confier un dossier aussi sensible à un procureur qui traîne un passif de décisions controversées et de légèretés troublantes dans des affaires similaires ?
En effet, le procureur spécial Aly Touré n’a pas rassuré par ses précédentes décisions, notamment en blanchissant de hauts cadres proches du CNRD. Qu’il s’agisse d’anciens ministres ou de directeurs généraux, malgré la pertinence des audis de l’inspection général des finances — cas de la SONAP et du Budget notamment — ses enquêtes se sont souvent conclues par des déclarations de délits non constitués, au grand dam de l’opinion publique. L’opacité qui a entouré les investigations autour de ces dossiers alimente la méfiance envers la gestion que fera la CRIEF de l’affaire de ces 700 milliards de la Douane.
Plus préoccupant encore, les compétences techniques de la CRIEF pour traiter des dossiers complexes de détournement sont régulièrement remises en question. L’affaire des 15 milliards impliquant l’ancien président de l’Assemblée nationale a révélé devant l’opinion publique un profond déficit de connaissances en matière économique chez le procureur spécial et les avocats de l’État. Ce manque d’expertise fait craindre que dans l’affaire des 700 milliards des innocents soient condamnés ou que des coupables soient relâchés, échappant ainsi à la justice, entachant une fois de plus la crédibilité des procédures judiciaires.
Le moins que l’on puisse dire, à la lumière des jugements passés et en cours, c’est que la CRIEF et ses avocats semblent méconnaître les mécanismes complexes de détournement de deniers publics. Ils se retrouvent régulièrement malmenés — pour ne pas dire publiquement humiliés — par des cadres guinéens accusés, manifestement experts en la matière, comme on a pu le constater au fil des audiences.
Outre ses lacunes techniques, Aly Touré est critiqué pour son manque d’humanisme dans certaines décisions. Pourtant la justice est également humaniste. Ses refus répétés d’accorder des libertés provisoires à des prévenus malades, malgré des bilans médicaux alarmants, certifiés par des médecins assermentés, interrogent. Ces choix intransigeants ont conduit à des tragédies, comme le décès en détention d’un ancien ministre et député.
Des situations similaires ont engendré des souffrances inutiles, à l’image du cas de l’ancienne députée Zeinab Camara, innocentée après deux ans de traumatisme émotionnel et un calvaire judiciaire injustifié. Pourtant, dès les enquêtes préliminaires menées par la direction centrale des investigations de la gendarmerie, il était évident qu’elle n’avait aucun lien avec l’affaire. Les principaux accusés eux-mêmes l’avaient disculpée dès le départ, exprimant leur incompréhension quant à sa présence dans cette « galère ». Mais le procureur spécial n’en a tenu aucun compte. Ce n’est qu’après deux longues années de souffrance morale, pour elle comme pour sa famille et ses proches, qu’un jugement final a conclu à un… délit non constitué.
Ainsi, confier l’affaire des 700 milliards à la CRIEF dans sa configuration actuelle serait une grave erreur stratégique pour le CNRD. Les efforts entrepris depuis le 5 septembre 2021 pour restaurer l’intégrité des institutions risquent d’être anéantis par une gestion incompétente ou biaisée de ce dossier. Pour préserver sa crédibilité et renforcer la confiance des citoyens, le CNRD devrait envisager de confier cette affaire à une autre juridiction ou de recomposer intégralement la CRIEF.
En somme, l’avenir de la lutte contre la corruption en Guinée repose sur des choix judicieux dans cette affaire emblématique. Et comme toujours, ceci n’est qu’un avis. Peut-être me trompé-je… mais la justice, elle, ne devrait pas.
Par Abdoulaye SANKARA