Kassory Fofana et la valse des interprétations : médias, justice et mystères de la CRIEF !
Il faut bien le reconnaître : les médias guinéens excellent dans l’art de transformer une décision judiciaire en un véritable labyrinthe d’interprétations. Prenons par exemple la décision rendue ce 11 décembre 2024 par le juge de la CRIEF (Cour de Répression des Infractions Économiques et Financières), autorisant l’ancien Premier ministre Ibrahima Kassory Fofana à recevoir des soins dans un centre spécialisé.
Certains journalistes, sûrs d’eux, affirment que la cour a validé un transfert à l’étranger pour ses soins. D’autres, plus prudents, reconnaissent que si le principe d’une prise en charge spécialisée est acquis, la cour n’a pas spécifié si ce traitement se ferait en Guinée ou à l’étranger. Pourtant, tous les spécialistes consultés par la CRIEF ont été unanimes : s’il existe en Guinée une clinique ou un centre capable de poser un diagnostic fiable et précis sur le mal dont souffre Kassory Fofana, eux ne le connaissent pas. Logiquement, cela signifie que son traitement devrait se faire à l’étranger. Logiquement, oui. Mais encore faut-il que cette logique survive à l’interprétation hasardeuse des médias et à la complexité du labyrinthe judiciaire.
Le problème ? Les médias qui se sont précipités pour annoncer que la CRIEF avait explicitement autorisé un transfert à l’étranger — avec une amplification notable par des vlogueurs — ont livré une information pas très exacte. Or, l’information repose sur l’exactitude et la rigueur, non sur des extrapolations ou des désirs personnels. De plus, même si la décision avait mentionné l’étranger, l’imprévisible procureur spécial Aly Touré, fidèle à sa réputation d’opposant farouche à toute mesure favorable aux anciens dignitaires du régime déchu, n’aurait pas encore dit son dernier mot.
En deux ans, ce procureur n’a jamais manqué une occasion de faire appel, surtout lorsque les décisions de justice semblaient atténuer la sévérité des sanctions envers ces figures du régime déchu. Il est même allé jusqu’à contester des décisions de la cour de justice de la CEDEAO. Pourquoi ferait-il une exception cette fois-ci ?
Et si l’on connaît un tant soit peu Aly Touré, on peut imaginer qu’il irait jusqu’à invoquer un féticheur de renom à Siguiri – pourquoi pas le célèbre Môfa Sory ? – pour soutenir l’idée qu’un traitement en Guinée est tout à fait envisageable. Après tout, pourquoi envoyer Kassory aux États-Unis, là où se trouve son médecin traitant, quand une alternative « locale » peut être façonnée pour les besoins de la cause ?
Mais au-delà des hypothèses et des spéculations, il est temps de revenir aux faits. Selon des sources plus fiables, la décision de la CRIEF ne mentionne aucun lieu précis. Elle se contente de stipuler : « La cour ordonne le transfert du prévenu dans un centre spécialisé pour une meilleure prise en charge. Et renvoie l’affaire au 6 janvier prochain. »
Alors, que faut-il attendre ? Une clarification lors de l’audience du 6 janvier ? Ou devrons-nous, d’ici là, nous contenter, avant cette date, des déclarations tonitruantes d’un procureur toujours prompt à brouiller les pistes ? Une chose est sûre : la confusion règne, et comme souvent en Guinée, nous sommes condamnés à patienter dans un interminable wait and see.
Abdoulaye SANKARA