L’ÉDITORIAL DE MACO
La vérité comme exigence intérieure : un luxe devenu subversion !
Handi kadi weti ! Il est des situations où l’intelligence rusée croise la route d’une conscience droite, et la tension entre les deux dévoile le véritable drame de notre époque : nul n’ose plus emprunter le chemin exigeant de la droiture sans passer pour un naïf, un anachronisme ambulant.
Pourtant, la condition d’un vivre-ensemble harmonieux ne relève pas d’une utopie chimérique. Elle repose sur une donnée élémentaire que chacun pressent, même confusément, au fond de lui : accomplir avec rigueur et loyauté la tâche qui nous incombe. Non parce que l’on est surveillé, ni dans l’espoir de flatter un ego décoré d’honneurs, mais parce qu’il s’agit de répondre justement à une mission pour laquelle on est reconnu — et rémunéré — que l’on relève du service public ou du secteur privé.
Mais la pente est glissante, et nous y avons glissé avec entrain. L’esprit de la combine a désormais colonisé tous les étages de la société : on ne vole plus seulement l’État, devenu vache sacrée pour prédateurs publics ; on s’attaque aussi sans vergogne aux entreprises privées, ces structures souvent fragiles, qui ploient déjà sous le poids des charges fiscales, administratives et logistiques. Comment espérer une économie florissante si même ceux qui paient leurs impôts doivent encore se battre contre des clients qui viennent siphonner, frauder, ou se dérober aux engagements contractuels ?
Il ne s’agit plus de servir, mais de se servir. Et dans cette confusion érigée en système, celui qui refuse les circuits parallèles, les pots-de-vin, les faveurs entachées de compromission, est vite regardé comme un benêt ou un empêcheur de tourner en rond.
Nous avons pris l’habitude d’approcher la sortie du labyrinthe en traînant nos ruses et nos duplicités, croyant pouvoir retrouver le ciel avec une boussole faussée par la malhonnêteté. Mais tant que chacun vient à la table commune avec des intentions opaques, il n’y a rien à espérer. La reconstruction ne surgira jamais de l’addition de petits mensonges privés.
La voie du redressement ne serpente pas dans l’ombre. Elle est droite, exigeante, frontale : elle commence par un travail intérieur, une réconciliation avec soi-même et, surtout, par l’acceptation du vrai — aussi tranchant, brutal ou dérangeant soit-il.
C’est pour avoir constamment repoussé cette exigence de vérité que nous nous sommes enlisés dans cette incohérence collective. Et c’est en croyant pouvoir nous en extraire par des ruses supplémentaires que nous accélérons notre propre affaissement.
La vérité n’est pas un supplément d’âme pour idéalistes. Elle est le seul sol ferme sur lequel il reste possible de bâtir.
Abdoulaye SANKARA