Une phrase ambigüe lâchée en mai dernier par le président Alpha Condé, et ressuscitée sept mois plus tard par le patron de la police nationale, Bangaly Kourouma, est à l’origine d’une polémique intense en Guinée autour d’une éventuelle modification de la constitution pour un troisième mandat en faveur du président Condé.
L’opposition, elle, a déjà mis en garde contre tout tripatouillage de la constitution en 2020.
Pour permettre à l’opinion de comprendre jusqu’où ce sujet passionne, Guinéenews a dressé le récapitulatif des positions contradictoires défendues par les uns et les autres.
Au départ, ce débat a débuté lors de l’investiture du président Condé avec la mise en garde devenue célèbre du président de la Cour constitutionnelle, Kélèfa Sall. « Gardez-vous de succomber à la mélodie des sirènes révisionnistes car, si le peuple vous a donné et renouvelé sa confiance, il demeure cependant légitimement vigilant ».
Peu après cette annonce, le Général Sékouba Konaté, ex président de la transition, participant à une manifestation à l’honneur du RPG Arc-en-ciel à Manhattan, entre dans la danse. Il a estimé qu’un mandat de cinq ans est trop court pour faire des résultats. Donc, il sollicité un référendum pour passer d’un mandat de cinq à sept ans.
Dans la foulée, le gouverneur de Labé emboîte également le pas au général Sékouba Konaté. Sadou Keita s’est dit heureux d’avoir accompagné le président Condé pendant cinq ans. « Je suis sûr que notre résultat en fin de mandat fera qu’on soit comme le Rwanda, mais je ne vous dirais pas ce qui s’est passé au Rwanda », dit-il.
Six mois après, dans une interview intitulée « ceux qui m’empêcheront de réussir ne sont pas encore nés », JA a lâché la question, qui fâche. La Constitution guinéenne en vigueur a été adoptée en mai 2010, avant votre accession à la présidence. Vous convient-elle ? Réponse du président Condé. « Elle est améliorable sous certains aspects, dans le cadre évidemment d’un débat national et d’un consensus populaire ».
Mais le président est élu pour un mandat de cinq ans renouvelable une seule fois. Cela vous paraît-il suffisant, lui a-t-on redemandé. « La question est complexe. Les pays asiatiques ont fait des progrès économiques et sociaux considérables avec des dictatures. Aux pays africains, on demande de réaliser la même chose, mais avec des démocraties exemplaires, si possible parfaites…Conclusion : le débat est ouvert ».
En Guinée aussi, insiste le confrère. « L’humanité ne se pose que les problèmes qu’elle est capable de résoudre, disait Karl Marx. Mon problème, aujourd’hui, c’est Ebola ».
En avril 2016, invité de la radio Djigui FM dans l’émission « Club de la Presse », le premier vice-président de l’Assemblée nationale, Saloum Cissé, un des caciques du parti présidentiel, va à l’encontre du souhait de son champion en jetant un pavé dans la mare. « Je veux d’un troisième mandat pour le RPG, pas pour le Professeur Alpha Condé ».
En mai 2016, alors qu’il répondait à une question relative à ses relations avec certains pairs africains, le président Condé a dit collaborer avec eux dans le but de tirer profit de leur expérience. « Je n’ai aucun complexe à collaborer avec le président Kagamé ou avec d’autres. Je ne rentre pas dans ces débats pour savoir s’il est démocrate ou pas. C’est son problème avec son peuple. Mais s’il a une bonne expérience, je tire les leçons de son expérience, pour faire avancer mon pays », a-t-il déclaré.
Dans son exposé, il a également dit ne pas vouloir rentrer dans les débats liés aux limitations de mandats. Une décision qui, selon lui, revenait au peuple. « Dans un pays, ce n’est pas à vous de décider, c’est le peuple. Personne, je dis bien, personne ne me dira ce qu’il faut faire, excepté le peuple de Guinée. C’est vous qui vous préoccupez de Cela. Moi j’ai un programme, je suis réélu pour 5 ans, j’applique d’abord mon programme pour satisfaire le peuple de Guinée», a-t-il affirmé. « Il y en a qui s’agitent. Qui sera vivant en 2020 qui ne le sera pas. Qui est bon Dieu ? », a-t-il demandé.
Interpelé lors d’un séjour de travail à Labé, le nouvel ambassadeur des USA, Dennis Hankins, a été on ne peut plus clair. « On a vu des changements de constitution en Afrique centrale et en Afrique australe. Mais à Ouagadougou et à Dakar, les gens ne l’ont pas accepté. En Guinée aussi, c’est la même chose. Je n’ai pas suivi la conférence de presse du président, mais la constitution est très claire là-dessus », a-t-il prévenu.
En septembre 2016, lors d’un déjeuner de presse, l’ambassadeur des USA a également réitéré sa position. « S’il y a un troisième mandat, les USA sont clairs, c’est non ».
Alors qu’on croyait le débat totalement éteint, le patron de la police nationale, Bangaly Kourouma, profitant d’une visite de terrain, rallume le feu. Dans une mission en charge de régler une crise à l’intérieur de la fédération RPG-arc-en-ciel de N’Zérékoré. A la différence de ses prédécesseurs, Bangaly Kourouma est le plus explicite. « Aussi longtemps qu’Alpha Condé sera en vie, il sera président de la Guinée ».
Le 5 décembre 2016, l’ambassadeur de l’Union européenne en Guinée, Gerardus Gielein, profitant d’un déjeuner de fin d’année offert à la presse locale, a évoqué l’affaire d’un éventuel troisième mandat. « Pour moi, la constitution guinéenne ne prévoit que deux mandats et je n’ai pas connaissance d’une proposition d’amendement de la constitution guinéenne par rapport au nombre de mandats en Guinée ».
Invité de la radio Espace FM, le président de l’Institut national des droits de l’homme (INDH), Mamadi Kaba, a fait une courageuse prise de position dans l’affaire de troisième mandat. C’est la première annonce fracassante d’un dirigeant d’une institution.
« Alors quand le directeur général de la police a pris position pour aller contre la volonté de la constitution, c’est assez grave. Quand un haut cadre de l’Etat par son comportement, viole les dispositions de la constitution par ses propos, je pense qu’il appartient au président de la République de simplement le limoger. Ensuite, il doit faire une déclaration publique pour que personne ne se serve de son nom pour aller contre la volonté de la constitution ».